Initialement publié par Maïeul Rouquette le lundi 14 mars 2022
Colette Geuinlé épouse Lipietz est une très vieille Avallonnaise. Elle est en effet née le 19 juillet 1921 à Avallon et y sera inhumée le 18 mars 2022 à 15h30.
Fille de résistant et résistante elle-même, elle a épousé en 1946 Georges Lipietz, qu’elle avait rencontré au bief de la papeterie de Vesvres en 1943. Georges avait été arrêté en 1944 parce que juif. Au soir de sa vie, des cauchemars venaient le hanter, lorsqu’il se rappelait les enfants qu’il a vu partir vers les camps de la mort. Colette l’a alors soutenu du mieux qu’elle pouvait.
Il était donc tout naturel pour la famille Lipietz de faire mention de ces évènements familiaux traumatiques dans le faire part de décès de Colette ; en reprenant les mots du faire part de Georges Lipietz, rédigé par celui-ci longtemps avant sa mort ; et en rappelant le soutien de Colette.
Elle est partie rejoindre son cher Georges
(† 18 avril 2003), qu’elle a soutenu au soir de sa vie, alors que ressurgissaient les violences traumatiques :« Miraculeusement rescapé des griffes des gangsters SS,
il n’a jamais oublié les centaines de petits enfants
qu’il a vu partir vers une mort atroce.
Il n’a jamais pardonné à leurs bourreaux nazis,
ni surtout à leurs ignobles complices de Vichy,
dont le zèle a permis l’accomplissement de tels forfaits. »
Par ailleurs, étant donné l’ancrage avallonnais de la famille et l’origine résistante de l’Yonne Républicaine, la famille a demandé la publication de l’avis de décès dans ce journal.
Or, voici que le service faire-part de Centre France, dont dépend le journal, refuse de publier les lignes sus-citées, au motif ci-dessous :
Vous noterez que certains éléments ont été retirés du texte afin de préserver la neutralité de celui-ci. Merci de votre compréhension.
La famille a répondu alors que les éléments en question étaient tout ce qu’il a de plus neutre, et que leur négation était du reste constitutive d’un crime répréhensible pénalement.
La réponse apportée fut encore plus odieuse :
Toutefois, au coeur de la page des avis d’obsèques, nous nous devons de faire paraître des textes les plus neutres possibles, sans aucun sous-entendu ou avec des termes accusateurs, même si, et je le conçois, le sujet abordé ici est tout à fait condamnable (sic).
Qui plus est, le service a eu le culot de relancer quelques heures plus tard, afin de demander en urgence une validation de la version censurée du faire-part.
Fidèle à l’esprit de résistance de Colette Lipietz et à la mémoire de son époux Georges, la famille refuse bien évidemment, compte entamer une procédure juridique, et diffuse donc le faire part sur Valleeducousin.fr.
Mise à jour : mercredi en début d’après-midi
Les échanges mentionnés ci-dessus ont eu lieu le lundi 14 mars dans la journée.
Mercredi 16 en début d’après-midi la directrice de Centre France Publicité envoie à la famille un courriel comprenant le paragraphe suivant :
J’ai eu connaissance de vos échanges de mail et je comprends parfaitement votre sentiment. Mes équipes ont pris en charge votre demande dans le respect d’une charte interne, qui consiste à considérer l’environnement des avis d’obsèques comme un espace de faire-part, strictement, sans autre forme d’expression autorisée. Ce parti-pris a pour but de témoigner du respect à l’ensemble des défunts, avec sensibilité et dignité. Ce traitement de rubrique ne remet bien sûr pas en cause notre engagement, sur le fond, au service des valeurs que vous connaissez.
Ce courriel n’étant finalement qu’une reformulation des précédents, la famille Lipietz maintient sa demande initiale.
On peut du reste s’interroger sur deux points.
D’une part, si un avis d’obsèques doit être un espace de faire part « strictement », pourquoi accepter les appels aux dons pour différents organismes et causes ?
D’autre part, et plus fondamentalement, on se demande à quels défunts la mention de la Shoah et de la complicité du régime de Vichy manqueraient de respect ? À part aux nazis, à Pétain et à sa clique ? Autrement dit à des personnes qui n’ont eu aucun respect ni pour les morts, ni pour les vivants…
Mise à jour de fin d’après-midi
Le 16 mars vers 17h30, la directrice de Centre France nous appelle. Centre France accepte finalement la publication du texte intégrale, moyennant l’insertion de la phrase suivante « Selon le faire-part de Georges Lipietz, rédigé par lui-même » avant la citation. La famille accepte et envoie son bon pour accord à 18h30, une fois reçu le texte mis en forme.
Elle tient à remercier son avocate, Anne-Laure Archambault, les nombreuses personnes qui ont relayé l’information sur les réseaux sociaux [1], et les quelques médias qui ont commencé à s’intéresser à ce scandale.
Il n’en demeure pas moins extrêmement inquiétant qu’il ait fallu en passer par l’écriture d’un article et la mobilisation sur les réseaux sociaux pour ce résultat. Cette affaire témoigne bien de la banalisation des idées d’extrême droite.
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