Ça faisait un moment qu’on n’avait pas vu ça, mais ça planait dans l’air depuis quelque temps. L’été avait été trop calme, pas tant à cause de la chaleur que de la grosse claque que tout le monde a pris avec l’élection de l’autre… Retraites, droit de grève, universités, justice, ça avait tapé dans tous les sens. La tension est montée doucement, en empruntant les formes conventionnelles et d’habitude inopérantes des grandes centrales syndicales (journée de grève dite « carrée »), ou en se manifestant par des explosions sporadiques (actions coup-de-poing des marins-pêcheurs). Côté étudiant, l’envie d’en découdre et le sentiment de puissance restaient bien présents depuis le mouvement dit « anti-CPE ». Pour couronner le tout, un fait divers ravive les cendres de novembre 2005 en banlieue parisienne.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l’agitation qui s’est emparée du pays cet automne 2007. La réapparition avec fracas des pratiques historiques du mouvement ouvrier (piquets, occupations, grèves du zèle, affrontements avec les petits et grands chefs, sabotages, etc.) ; le rôle prépondérant des médias aux ordres qui ont déversé des flots d’injures et de fiel sur le moindre gréviste ; la stratégie parfois surprenante du gouvernement pour contrôler la situation (comme qualifier un mouvement de « politique » pour le discréditer…) ; la trahison plus ou moins honteuse des centrales syndicales (pas vraiment une nouveauté, mais à un tel point qu’il ne doit plus rester beaucoup de travailleureuses se faisant encore des illusions sur leur capacité à réellement défendre leurs intérêts, même les plus immédiats) ; l’importance du blocage de l’économie dans le rapport de force ; la guérilla urbaine qui se révèle capable de battre les forces de l’ordre sur leur propre terrain, celui de l’affrontement armé ; la question de la démocratie qui se pose avec toujours plus d’insistance au fur et à mesure que tout acte politique est jugé à l’aune de pourcentages d’« opinion publique » ; l’intérêt de la convergence des luttes ; l’organisation et la spontanéité ; la réémergence d’une lutte de classes que certain·e·s pensaient avoir définitivement enterrée, etc.. Toutes ces questions, on aura le temps de les aborder dans d’autres écrits, dans des discussions, dans toutes les occasions de développer l’intelligence collective issue des moments de lutte.
Pour ce numéro de Blabla, on préfère revenir sur les évènements locaux, surtout sur ce qui s’est passé autour de la fac et des lycées en fait, parce que c’est là qu’on était le plus investi (même si des contacts ont été pris avec les cheminots en lutte).
Prémices - Fac en lutte
Sur la fac, dès la rentrée, certaines organisations politiques et syndicales étudiantes ont cherché à faire émerger un mouvement sur la question de la LRU (pour ce qu’on peut reprocher à cette loi, voir l’encadré) : tracts de présentation de la loi, réunions d’information, création d’un collectif de lutte contre la loi Pécresse, et appel aux premières AG, bref, les classiques du militantisme étudiant. Ce qui était peut-être moins classique, c’est la présence dans les esprits du mouvement dit anti-CPE, les rencontres qu’il avait permises et sa fin en queue de poisson sur une « victoire » qui a laissé un goût d’inachevé. Alors, contrairement à d’habitude, avant même que le mouvement prenne de l’ampleur, le collectif de lutte a été rejoint par des personnes, étudiantes ou non, qui souhaitaient reprendre la lutte là où elle était restée un an et demi plus tôt. Cette dynamique donne lieu à des initiatives intéressantes, comme la tenue quotidienne d’un infokiosque où l’on pouvait trouver toutes sortes de brochures subversives, sur les mouvements étudiants et le reste, ou la rédaction d’un tract qui replaçait la lutte contre la LRU dans une perspectives plus large (« contre la LRU et son monde »). Les premières AG n’ont pas été particulièrement massives, et il a fallu attendre que plusieurs facs commencent à se mobiliser pour que le mouvement prenne à Dijon, début novembre (la fac de Rouen était alors bloquée depuis le 25 octobre). Dès le départ, dans la foulée de la lutte contre le CPE, le blocage était dans toutes les têtes. Évidemment, fidèles à leurs habitudes, les organisations réformistes ou pseudo-révolutionnaires type UNEF [1] ou Jeunesse Communiste freinent des quatre fers (eh ouais on est comme ça à Blabla, on balance des noms…) : « c’est pas le moment, il faut d’abord massifier le mouvement ». Soit, attendons. Mais les plus motivé·e·s font quand même le forcing en comité de mobilisation pour occuper une salle comme espace d’organisation de la lutte, ce sera la salle S24 (puis S26). La salle occupée est un lieu de réunion pour le collectif, et d’information pour les étudiant·e·s, mais c’est aussi l’espace des premières divergences au sein des occupants, car voyez-vous, écrire au marqueur sur les murs ou afficher sa solidarité avec les marins-pêcheurs en lutte, « ça décrédibilise le mouvement ». Important, ça, la « crédibilité » ; au fur et à mesure du mouvement, on a compris ce que ça voulait dire : être « crédible », c’est ne rien faire d’autre que de distribuer des tracts explicatifs de la LRU (mais qui ne parlent pas d’autre chose), si possible en restant le plus neutre possible dans la présentation (qu’on ne puisse pas nous accuser de parti pris, surtout pas !), et ne s’adresser jamais à d’autres personnes que des étudiant·e·s. À la limite, on pourra se permettre de temps en temps un petit happening tout ce qu’il y a de plus symbolique, en prenant bien soin de ne pas choquer, ni déranger les autres étudiant·e·s, tout en veillant à être assez simplistes pour qu’ils nous comprennent ; être boutonneux ne nuit pas.
Blocage, occupation - Contre la LRU et son monde
Le mardi 13 novembre, la fac se réveille avec la pose de deux grandes banderoles « Fac en lutte » et « Contre la LRU et son monde » par un groupe qui s’est introduit sur les toits. C’est ce jour-là que se tenait la deuxième AG un peu importante, avec des bureaucrates qu’il avait fallu travailler au corps pour que le blocage soit proposé au vote (faut massifier, qu’y disaient). Seulement il semble que depuis le CPE, le blocage apparaisse comme un moyen de lutte aussi évident que l’AG ou la diffusion de tracts, et il est non seulement proposé au vote, mais emporte aussi la majorité. Il est décidé jusqu’à l’AG du mardi suivant, même si l’UNEF essaie de faire passer au dernier moment qu’il ne dure qu’un seul jour. À noter aussi, que le fait de voter à main levée pendant les AG après débat et sans présentation de la carte d’étudiant sera tenu à Dijon, alors que dans d’autres facs les étudiant·e·s en lutte se trouveront acculé·e·s à des votes à bulletin secret ou par email. À Dijon, le bâtiment Droit-Lettres est donc occupé le soir même par une centaine de personnes, qui en barricadent les entrées. C’est pas mal que ce soit arrivé aussi vite quand on sait qu’à Dijon, les bâtiments droits et lettres sont communs et que les tentatives de blocage se voient toujours opposer une assez forte résistance. Le lendemain justement, ça chauffe un peu du côté de l’extension Droit, fief des anti-bloqueur·euse·s, et finalement perdue avec l’accord plus ou moins négocié de l’UNEF, hors de toute décision de l’AG des bloqueur·euse·s. Mais le blocage et l’occupation se poursuivent dans le reste du bâtiment, et les occupants s’organisent : il a été décidé que tout ce qui relevait des moyens de lutte, excepté le vote du blocage, serait voté en AG de lutte, c’est-à-dire AG dont les anti-bloqueur·euse·s, UNI (syndicat étudiant de droite) et consorts seraient exclus. Ces AG ont lieu tous les soirs dans l’amphi Roupnel occupé. Des commissions sont également mises en place pour se charger des différents aspects de la lutte : commissions sécurité (barricadage du bâtiment), communication interne, communication externe, commission action, commission bouffe et commission trésorerie. C’est aussi pendant cette semaine d’occupation que ceux qui ont choisi d’agir concrètement vivent un certain nombre de moment intenses et de solidarités qui sortent de l’isolement, et enrayent définitivement pour un certain nombre d’entres elles/eux au moins un retour à la normale et à l’apathie.
L’occupation du bâtiment, tout comme l’occupation de la salle S24 mais à une échelle plus large, est l’occasion de faire apparaître les divergences de conception de la lutte. Par exemple, les tenants d’un mouvement responsable et raisonnable s’opposent à l’utilisation de chaînes et de cadenas pour bloquer les portes (« ça décrédibilise le mouvement »). Plus généralement, la crédibilité du mouvement est opposée à chaque tentative de se réapproprier réellement l’espace occupé : écrire sur les murs, refuser l’entrée aux personnes extérieures à la lutte (donc aux membres de l’administration et surtout au personnel de sécurité présent 24h/24), ne pas négocier chaque avancée dans l’occupation avec la présidence, s’organiser collectivement pour la bouffe (et faire en sorte que les végétariens puissent manger la même chose que tout le monde), etc..
Une fois l’occupation en place, les personnes en lutte ont pu se dégager du temps pour essayer d’étendre le mouvement hors de la fac, et faire la jonction avec d’autres foyers d’agitation. Certaines sont allées voir les cheminots sur leur piquet de grève et dans leur AG, et le courant est en général très bien passé, des projets d’actions communes commençant à s’élaborer. Certains d’entre eux disent clairement qu’ils seraient ravis que l’on vienne les aider à bloquer les gares, alors que les bureaucrates étudiants s’opposent à toute tentative de le faire, et ce au nom des mêmes cheminots. D’autres personnes se sont intéressées aux lycées, concernés assez directement par la LRU et par divers projets de réformes (orientation en fin de deuxième cycle, diminution des effectifs enseignants, passage du bac pro à 3 ans, etc.). Là encore, les bureaucrates y ont trouvé à redire car, oh surprise… « ça décrédibilise le mouvement » (« il ne faut pas partir dans tous les sens mais se concentrer sur la LRU ») et « c’est pas le moment, il faut d’abord massifier le mouvement » (« quand on sera des milliers en AG on pourra aller voir les lycéens »…).
Réactions
Les ennemis du mouvement qui se revendiquent comme tels s’organisent aussi : L’UNI fait savoir dans le Bien Public, avant même qu’il soit question du blocage dans les AG, qu’elle condamne ce mode d’action et qu’elle met à disposition des « victimes » un kit juridique et une assistance téléphonique. Ce même Bien Public relaie d’ailleurs complaisamment les réactions des pires profs réactionnaires, et étale des tartines sur la prise d’otage généralisée par une minorité d’agitateurs, étudiants ou cheminots. Cette prise de position dès le début du mouvement lui vaudra l’inimitié de la plupart des personnes engagées dans la lutte, ce dont les journaleux auront beau jeu de se plaindre de manière plus ou moins ironique, mais très sincère (ils sont assez cons pour ne pas se rendre compte que leur prétendue objectivité fait d’eux des ennemis du mouvement). Vers la fin du mouvement, une action anti-médias bourgeois visera le journal local, avec une lettre de menace anonyme et… des excréments (animaux et humains) balancés sur la façade !
Contrairement à de nombreuses villes [2], la présidence de la fac de Dijon l’a joué plutôt « paix sociale » (Béjean, la présidente, se baladant même au Chez Nous, expliquant qu’elle soutenait le mouvement). Ce qui ne l’a pas empêchée de tenter de court-circuiter le blocage en délocalisant les cours du bâtiments Droits-Lettres. Par contre, le conflit avec les anti-bloqueur·euse·s (notamment la corpo Droit et les membres du groupe d’extrême droite « le Cercle ») a donné l’occasion d’affrontements parfois physiques (les bons petits étudiants de droit(e) qui pètent des vitres pour aller en cours et les petits fafs qui se prennent quelques baffes lors d’un collage nocturne).
Lundi 19 novembre, lors de l’AG de lutte, les bureaucrates décident de régler à leur façon le différend qui les oppose aux « décrédibilisat·eur·ice·s ». Petite recette : d’abord, mobiliser ses troupes (beaucoup de gens qu’on n’avait jamais vus sur l’occupation à l’AG), ensuite, passer des alliances (l’UNEF et les JC, qui d’habitude se tirent dans les pattes, sont ce soir là plus que jamais unis). Puis, stigmatiser l’adversaire par des simplifications pratiques et largement tronquées, en l’identifiant tantôt comme « les gens des Tanneries », tantôt comme « les non-étudiant·e·s », et enfin trouver quelque chose à lui reprocher : les tags feront l’affaire, mais on pourra aussi au besoin romancer un peu la tentative de débrayage de lycée de l’après-midi (« Illes avaient des cagoules et ont agressé les lycéens »), ou revenir sur les prises de décision en AG (et critiquer la reprise de l’extension Droit durant le week-end, pourtant acceptée sans problèmes lors de l’AG de lutte). Les éléments sont alors tous en place pour un grand moment de manoeuvres politiciennes, d’une habileté laissant parfois à désirer mais finalement efficaces : parmi les perles des « débats », on pourra noter la proposition de s’excuser pour les tags auprès de la présidence et des étudiant·e·s, puis celle de condamner ces tags, et enfin celle d’exclure du mouvement tout ceux et celles qui refusaient de les condamner… Il y a aussi l’épisode du type des JC, arborant pourtant fièrement sur son t-shirt les noms des Brigades Rouges italiennes et de la Rote Armee Fraktion allemande, et qui explique combien il est mal de dégrader les murs d’une université avec des inscriptions politiques, de distribuer des tracts aux lycéens les appelant à agir et à ne pas se laisser faire par la police en manif. Et puis cet abruti qui, emporté par le grand n’importe quoi du moment, clame que la fac n’est pas ouverte à tout le monde en temps normal et qu’il n’y a pas de raison que ça change quand elle est occupée… Finalement, la proposition d’exclure les personnes non-étudiantes est adoptée à quelques voix près, ce qui met fin à l’AG puisqu’environ la moitié des personnes présentes (étudiantes ou non) partent à ce moment-là, empêchant de fait que soient votées les propositions annexes de virer aussi ceux qui ne s’opposent pas aux tags, et de dresser une liste nominative des personnes autorisées à participer à l’occupation. S’ensuivent d’âpres discussions de couloir qui ont le mérite de faire émerger des questions de fond (sur la « légitimité », sur le rôle des organisation bureaucratique dans un mouvement, sur ce que signifie être en lutte, …) et de radicaliser des positions. La plupart des personnes dégoûtées par le coup de force bureaucratique se retrouvent dans une autre salle pour envisager la suite de la lutte, pendant que l’UNEF et les JC continuent leur « AG » à 20… sachant que l’UNEF avait décidé la fin du blocage pour le lendemain et de provoquer ce putsch pour faire écran de fumée face à leur démission. Puisqu’il est clair que l’occupation va être stoppée, décision est prise par les personnes exclues et celles qui les soutiennent de quitter l’occupation, en emportant chaînes, cadenas et matos pour la cuisine qu’elles avaient fournis.
Fac off
À partir de ce moment, il semble que le mouvement se joue surtout en-dehors de la fac : d’abord dans les lycées, avec plusieurs tentatives de débrayages. La première a lieu le lundi 19, avec un appel à rassemblement à 13h30 en vue de faire la tournée des lycées. Le débrayage n’a encore à ce moment-là qu’un succès mitigé, mais ça permet de passer l’infos aux lycéen·ne·s et de donner le ton avec de la musique et des alarmes-incendie. Le même jour avait lieu une action « péage gratuit », qui consiste à se poster à une sortie d’autoroute en nombre et à bloquer les barrières, en demandant aux automobilistes de contribuer s’ils le désirent à la caisse de grève. En général, ces actions se passent bien et permettent de remplir un peu les caisses, et celle-ci ne déroge pas à la règle. On peut quand même déplorer que les cheminots, avec qui était organisée l’action, ont fait faux bond à la dernière minute, arguant qu’ils n’étaient pas assez nombreux à être motivés pour y participer. Et on peut aussi signaler que le seul incident au péage est dû à l’arrivée des gendarmes, qui sitôt sortis de leur voiture garée au milieu du passage se sont fait arracher la portière par une bagnole, ce qui a eu le mérite de retarder leur intervention sur le reste des personnes présentes.
La manif interprofessionnelle du mardi 20 est aussi l’occasion d’essayer de porter l’offensive dans la rue : un petit groupe s’est organisé pour profiter du cortège pour taguer des silhouettes et slogans, notamment en soutien aux étudiants sans-papiers. Tout se passe bien jusqu’à ce que 10 flics de la BAC, qui encadraient le cortège, notamment celui de la CNT, coincent trois personnes dans une entrée d’immeuble. Heureusement, un groupe d’une dizaine de personnes s’arrête devant la porte, et interpelle le cortège étudiant à son passage. Le temps de faire comprendre qu’il s’agit d’une arrestation, la majeure partie du cortège stoppe, malgré les appels d’une nana des JC à continuer car selon elle les personnes arrêtées ne sont pas des étudiants, donc les étudiants n’ont rien à voir avec ça et doivent continuer la manif comme si de rien n’était ! Après un moment à mettre la pression aux flics à l’intérieur et à ceux qui sont venus se poster devant l’entrée, les camarades arrêtés ressortent libres (avec tout de même une convocation au commissariat). Plutôt euphorisé·e·s par cette petite victoire sur les keufs, et comme les cortèges syndicaux de travailleur·e·s sont déjà partis, le cortège étudiant et lycéen repart en manif sauvage jusqu’à la fac, après un tour au centre ville, suivi par les flics, mais à distance cette fois-ci. C’est l’occasion de reprendre la fac un temps au nez et à la barbe de l’administration et de l’UNEF et de se coordonner sur les blocages des lycées. À ce moment-là, il semble qu’une dynamique semblable à celle du CPE puisse prendre dans les manifs…
Le même jour à la fac, le déblocage est voté à une large majorité, par une assemblée principalement tenue par les anti-bloqueurs (dans les rangs desquels on peut bien compter l’UNEF, puisqu’elle avait décidé de se prononcer contre la poursuite du blocage dans sa réunion de la veille). Il apparaît alors vraiment que la lutte doit se poursuivre ailleurs, et l’assemblée populaire appelée le lendemain en centre-ville par diverses personnes en lutte (notamment des personnes exclues de la fac) semble être le lieu d’organisation idéal.
L’idée qui anime l’assemblée populaire est de réunir les divers secteurs en lutte, cheminot·e·s, lycéen·ne·s, étudiant·e·s, profs, précaires, etc., pour que chaque mouvement se renforce mutuellement, à la fois matériellement et moralement. Plus de 80 personnes se réunissent ce merdredi 21 au soir, malgré une pluie battante et un rendez-vous « place Wilson » (pour ensuite bouger à la fac Chabot-Charny, où on peut s’installer sans problème dans une salle, discuter, manger en commun le couscous qu’un petit groupe avait préparé, ranger, nettoyer et partir à plus de 22h sans que personne de l’administration ne vienne nous demander des comptes !). Les discussions ont porté sur les luttes en cours, avec échanges d’expériences et de contact pour coordonner les blocages des lycées (assez isolés sans ce type d’initiatives), mettre en place de nouvelles actions, et sur d’autres problèmes qui peuvent nous tenir à cœur et qu’on aimerait pouvoir affronter en dehors d’un mouvement social spécifique, comme la biométrie ou la vidéosurveillance. Ceux et celles qui s’étaient coltiné les AG à la fac ont pu également apprécier la tenue et le contenu de l’assemblée populaire, qui a évité un grand nombre d’écueils venant habituellement plomber les arènes démocratistes : spectacle, gestion bureaucratique, peu d’écoute mutuelle et peu de choses concrètes qui en sortent.
À partir du jeudi, les lycées commencent à bouger : Charles de Gaulle, Saint-Joseph, le Castel et Simone Weil sont bloqués (notamment avec le matos qui ne sert plus à la fac…), et la mobilisation commence à Montchapet et Hippolyte Fontaine. Devant ce dernier établissement, il y a même un peu d’agitation (une « émeute » selon les termes des lycéennes présentes), qui se solde notamment par des dégradations sur une voiture du Bien Public. Malheureusement, tout ça arrive juste au moment où la fac débloque, ce qui n’est pas vraiment favorable à la mobilisation des lycéen·ne·s, pas plus d’ailleurs que le temps de merde qu’il fait en cette fin de semaine (bravo au passage aux personnes qui ont tenu les piquets de grève sous une pluie battante). Il faut dire aussi que les proviseurs ont mis le paquet au niveau répression (interdiction d’organiser des AG, heures de colle pour les élèves mobilisé·e·s, menace de non inscription au bac, etc.). Après quelques jours de blocage, les cours reprennent normalement dans les lycées dijonnais, et la petite poignée de motivé·e·s ont bien du mal à convaincre leurs petits camarades de se bouger. On peut quand même noter que plusieurs jours plus tard le lycée technique des Marcs d’Or sera bloqué quelques heures, dans le cadre de la lutte contre la suppression du BEP, mais sans lien direct avec le reste du mouvement.
Faiblesse
Le lundi 26 novembre est organisée une manif nocturne, à l’appel du collectif de lutte de la fac. L’idée de manifester la nuit est plutôt réjouissante, notamment parce qu’elle évoque la pratique des manifs sauvages qui a eu cours pendant le mouvement CPE, mais il faut bien admettre que cette manif n’a pas vraiment constitué un moment intense en termes de rapport de force : pas grand monde (200 ou 300 personnes), un parcours négocié avec les flics, des slogans débiles (enculer Pécresse avec un cactus ? la violence de la bravade est à la mesure de l’inconsistance et de la faiblesse du mouvement à ce moment-là…), des cracheurs de feu pour toute animation, alors qu’on peut faire tant d’autre chose avec de l’essence et un briquet…
Le lendemain, surprise, l’AG revote le blocage ! Certes, il n’y avait quasiment aucun·e anti-bloqueur·euse, celleux-ci étant confiant·e·s dans leur victoire définitive sur le mouvement, mais quand même, c’est plutôt une bonne nouvelle. Mais en réalité, si ce vote à servi à quelque chose, c’est bien à démontrer l’absurdité du vote : faute de force pour l’organiser et le tenir, le blocage n’aura pas lieu (tout comme d’ailleurs l’AG du jeudi, transformée d’abord en « point info », puis en vente de vin chaud…). Ainsi, les derniėr·e·s étudiant·e·s motivé·e·s ont pris conscience, un peu tard, de ce que l’important n’est pas de faire acter une décision par l’AG, mais d’être capable de la mettre en oeuvre concrètement. Bref, que la « démocratie » tant réclamée dans les AG n’est qu’une consommation de la lutte : on vient voter pour le blocage puis on rentre chez soi, d’autres le feront bien à notre place…
Tentatives
Lors de l’assemblée populaire du mercredi 28, il a été beaucoup question de trahisons des centrales syndicales, notamment chez les cheminots (une femme de SUD Rail venant raconter comment la lutte avait été coulée par la CGT). Il a également été décidé in extremis et un peu tard d’organiser la manif du lendemain, puisque le collectif à la fac ne l’avait pas prise en charge. Des gens sont donc allés l’annoncer le lendemain matin devant les lycées, mais ça n’a pas vraiment suffi pour que les gens se bougent : au rendez-vous prévu il n’y a que quelques dizaines de personnes, qui manifestent quand même joyeusement au rythme de la batucada improvisée avec des poubelles. Joyeusement, mais sans vraiment constituer une force suffisante pour agréger du monde. À noter qu’en fin d’après-midi, le cortège arrive néanmoins devant le Castel où le proviseur a fait mobiliser une bonne partie des policiers dijonnais, postés devant chaque porte pour empêcher les élèves de sortir et rejoindre la manif.
Pour la forme, histoire de faire un bel enterrement au mouvement, l’UNEF et compagnie (ainsi que les étudiant·e·s sincèrement engagé·e·s dans la lutte qui restent au comité de lutte) organisent une manif nocturne le 5 décembre. Même parcours, mêmes slogans débiles, même sentiment d’impuissance, et moins de monde qu’à celle du 26.
Alors que dans d’autres villes les occupations et les actions continuent, le noyau des plus motivé·e·s à Dijon cherche à maintenir la pression, avec des tracts (« c’est pas maintenant qu’on va s’arrêter »), et en tentant à nouveau de redonner du souffle au mouvement. Il y a la troisième assemblée populaire le jeudi 6 : beaucoup moins de monde que les premières, because pas de lieu en centre ville [3] et because rassemblement de soutien pour 3 sans-papiers au même moment devant la pref’. L’assemblée décide quand même de tenter l’occupation du rectorat le lundi suivant. Celle-ci aura lieu, même si la manif qui avait été appelée par le collectif à la fac a été annulée. Les occupant·e·s arrivent cette fois par surprise, se dispersent dans les étages, font du bruit, posent une banderole sur la façade. Cela fait plaisir par rapport à la dernière manif où le rectorat n’avait pu être occupé parce que l’UNEF avait prévenu les flics et le rectorat de l’arrivée du cortège. Après deux heures d’occupation et une arrivée conséquente de bleus avec qui une cohabitation serrée s’installe un temps, le représentant du recteur accepte d’envoyer un fax au ministère faisant part des revendications des occupants : arrêt de la répression, retrait de la LRU [4]. À défaut de vraiment relancer le mouvement à Dijon, ça permet au moins de soutenir ceux qui s’acharnent dans d’autres villes comme Lyon ou Grenoble et se prennent les flics au quotidien sur les campus. Le caractère non annoncé de cette action qui, comme dans toute bonne occupation, a permis son succès, permet aussi au chef de l’UNEF de la qualifier de « fasciste ». Le même lundi 10, un ponte du MEDEF local venait à la fac pour y parler lien université-entreprises. L’occasion rêvée pour une action d’éclat anti-LRU. Malheureusement, les étudiant·e·s parti·e·s pour entarter le cravateux se sont ravisés et ont préféré tailler le bout de gras avec lui (il faut dire, il était tellement sympa…) ! Misère…
La dernière action a lieu le mercredi 19 décembre, avec la perturbation du conseil d’administration qui devait appliquer les prescriptions de la LRU. Investissement de la salle de réunion, déménagement dans un autre bâtiment, bousculade avec les vigiles de Securitas : le chant du cygne du mouvement dijonnais avait plus de gueule que pas mal des choses tentées au plus fort de l’agitation.
Perspectives
Reste à savoir comment tout ce qu’on a pu vivre de fort et d’intéressant dans ce mouvement peut continuer en-dehors, comment on peut ne pas attendre le prochain pour revivre tout ça, et comment on sera plus forts dans le prochain. D’abord il y a toutes les rencontres et liens qui se sont créés, des gens qui se sont croisés et qui continuent à faire des trucs ensemble. Et aussi, à Dijon, il y a différentes initiatives issues du mouvement dont on peut se saisir, notamment l’assemblée populaire (qui devrait perdurer sous la même forme ou une autre), et le site brassicanigra.org (lire l’article dans ce même numéro de Blabla).
La Loi sur les Libertés et la Responsabilité des Universités, dite loi Pécresse
La LRU, votée pendant l’été avec la bénédiction des syndicats étudiants dits représentatifs, est une étape de plus dans la mise au pas des universités, quatre ans après la réforme LMD, et alors que toutes les facs de l’Union Européenne subissent cette politique. Cette fois-ci, il s’agit principalement de taper directement au cœur du problème : au portefeuille. En effet, la loi accorde de plus grandes responsabilités en matière budgétaire à chaque fac, et les rend propriétaires de leurs locaux. Ceci signifie notamment que les garanties en matière de contrat de travail pour les personnels disparaissent, et que les conseils d’administration devront trouver eux-mêmes les fonds pour gérer leur patrimoine immobilier souvent en mauvais état. Mais la loi a tout prévu, car dans le même temps elle ouvre la porte des universités aux financeurs privés, en leur donnant plus de poids dans les conseils d’administrations. Déjà sur le principe, on se rend bien compte que soumettre l’enseignement à la logique marchande des potentats économiques locaux est plutôt dégueulasse. Et les conséquences prévisibles de l’application de la loi viennent le confirmer : menace sur les filières non rentables, compétition des facs entre elles (dénoncées par les étudiant·e·s en lutte comme apparition de fac d’élite et de fac poubelle), diminution du poids des personnels et étudiant·e·s dans les prises de décisions (même si jusqu’ici on ne peut pas vraiment dire que le premiers concernés par les politiques universitaires pesaient vraiment dans la balance), et prévisible augmentation des frais d’inscription.
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