Traçage des données mobiles dans le cadre de la lutte contre le coronavirus : arpentage du rapport Mahjoubi



L’association FAImaison, Fournisseur d’Accès à Internet nantais, raconte l’arpentage qui a été organisé à distance d’une note parlementaire remise aux député⋅e⋅s le 6 avril. Cette note fait un état des lieux du pistage des populations par le biais des smartphones pendant la pandémie, en s’appuyant notamment sur ce qui se passe à l’étranger. FAImaison partage ici ses réflexions à la lecture collective du rapport.

Article paru sur La Rotative

Jeudi 9 avril 2020, à l’association FAImaison, nous avons organisé l’arpentage du rapport de Mounir Mahjoubi [1], intitulé Traçage des données mobiles dans la lutte contre le Covid-19 et publié le 6 avril 2020. Cette note parlementaire a été transmise le 6 avril 2020 aux député·e·s. Nous avions envie de vous partager ce qui s’est passé pendant ces deux heures et ce que nous en avons retenu, car cela nous paraît indispensable.

L’arpentage est un outil d’éducation populaire qui permet de lire, à plusieurs, un texte (livre, brochure, etc). Le texte est découpé en autant de morceaux qu’il y a de participant·e·s. Chacun·e lit individuellement son extrait, s’en imprègne et en restitue sa lecture au groupe. Chaque participant·e a pu partager sa lecture à partir de trois questions :

  • qu’est-ce que je savais déjà dans ce que j’ai lu ?
  • qu’est-ce que j’ai appris dans ce que j’ai lu ?
  • quelles questions ont été levées dans ce que j’ai lu ?

Le rapport fait une quarantaine de pages, nous étions neuf. Cinq pages par personne et vingt minutes plus tard, nous avions fini de lire et avons discuté et partagé pendant encore une heure et demie. Voici ce que nous en avons retenu, les remarques et interrogations soulevées lors de nos échanges sur le sujet.

De quoi est-il question dans cette étude ?

Ce document fait un état des lieux du pistage des populations par le biais des smartphones pendant la pandémie, en s’appuyant notamment sur ce qui se passe à l’étranger. Mounir Mahjoubi y recense trois objectifs distincts :

  1. L’observation des pratiques collectives de mobilité et de confinement
    (i.e. cartographie des déplacements de population).
  2. L’identification des sujets « contact »
    (i.e. backtracking ou contact tracking)
  3. Le contrôle des confinements individuels

Y sont évoquées plusieurs technologies : le bornage téléphonique, des applications GPS, des applications Bluetooth, les systèmes de cartes bancaires et de transport, la vidéosurveillance dotée ou non d’intelligence artificielle.

Pour chaque objectif, sont déclinées les différentes technologies possibles, et y sont analysés les « potentiels » et les « limites ».

Les applications de traçage Bluetooth

Il est largement question d’applications utilisant le Bluetooth du téléphone. Leur but serait de savoir si notre téléphone a été à proximité du téléphone d’une personne infectée et d’en être informé·e. Ce type de système nous a questionné à plusieurs titres.

Tout d’abord, le rapport précise que l’efficacité de ce type d’outils sécuritaires n’est pas prouvée. De façon plus globale, le rapport ne mentionne que peu cette question et évoque un vague contrôle citoyen.

[Les applications Bluetooth] n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité sanitaire.

Les opportunités offertes par les nouvelles technologies ont pour clé de voûte l’acceptation populaire. Celle-ci repose sur plusieurs exigences, dont une proportionnalité des méthodes aux objectifs, une pleine transparence des pratiques, et notamment des codes informatiques, et une véritable gouvernance indépendante de contrôle, en capacité d’évaluer efficacement et à tout moment les pratiques et leurs performances sanitaires.

Citations issues du rapport, page 4

On apprend dans le rapport qu’il faut que 60% de la population soit équipée de l’application Bluetooth pour espérer en voir des effets. La France compterait un taux d’équipement de smartphones à hauteur de 80%. On comprend alors que l’on atteindra très difficilement 60% d’installation de ce genre d’application si on se base sur le simple volontariat. Les hypothèses avancées pour augmenter le taux d’équipement de la population seraient de passer par une phase de propagande dans les médias, l’utilisation de personnes faisant autorité (professionnels de la santé,...), d’utiliser des méthodes coercitives, voire d’imposer l’installation de l’application en demandant de l’aide aux éditeurs de système d’exploitation (android, ios,...) et/ou aux opérateurs mobiles.

Comment fonctionne ce genre d’applications ? Elles gardent la liste des identifiants des téléphones mobiles qui ont été proches les uns des autres en les communicant via Bluetooth. Dans le rapport, il est mis en évidence que l’identité du propriétaire du téléphone et que les informations personnelles ne sont pas nécessaires au fonctionnement de l’application : un simple identifiant unique par mobile est utilisé. Une liste de questions arrive :

- Combien de personnes portent le téléphone d’un·e autre ? On peut donc en conclure que quand bien même l’identifiant est porté par un téléphone on identifie assez fortement la personne porteuse elle-même.
- Quid aussi du fait qu’on oblige les gens à avoir le Bluetooth allumé en permanence alors que d’une part, cela peut poser problème en terme de sécurité et d’autre part, que cette technique est utilisée par les professionnels du marketing pour nous suivre à la trace ?

En plus de cette efficacité non-prouvée, le rapport souligne d’autres problèmes comme le faux sentiment de sécurité qui en découle :

- Une personne peut se trouver dans une zone infectée mais sans qu’un téléphone équipé ne soit présent (le risque est là mais l’application ne sert à rien).
- L’anxiété générée due au fait que nous pouvons être notifié à tout moment lors d’une possible infection.


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Notes

[1Responsable numérique de la campagne électorale d’Emmanuel Macron en 2017, Mounir Mahjoubi est ensuite élu député dans le 19e arrondissement de Paris sous l’étiquette LREM, et devient secrétaire d’État chargé du numérique dans le gouvernement Édouard Philippe. Il démissionne du gouvernement en mars 2019 en vue des élections municipales parisiennes, et retrouve son poste à l’Assemblée nationale. C’est également l’un des fondateurs de la plateforme La Ruche qui dit oui !

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