Battre l’enfer quand il fait chaud



Par temps de canicule la revue « terrestres » republie un article de 2019. Chronique de l’écocide, que faire de cette canicule comme moment et affect politique ?

Chronique de l’écocide. Depuis plusieurs années, le « jour du dépassement », symbole d’une économie de prédation qui conduit l’humanité à accélérer le pillage de la Terre, coïncide avec des vagues de chaleur sans précédent à travers le monde. Assiste-t-on enfin à la rencontre du monde sensible et du monde intelligible ? Comment transformer la violence de ces épisodes en énergie politique ?

Jusqu’à peu, la chaleur de l’été instaurait une souveraineté particulière sur les corps et les esprits : y dominaient des affects d’excitation, des désirs de délassement et d’évasion – même pour ceux, nombreux, qui ne partent pas en vacances. Désormais, la période estivale se couvre d’une gravité croissante, d’un malaise devant une nature qui rechigne à accueillir paisiblement les loisirs et le repos des humains. Plus qu’une campagne électorale ou la publication d’un énième rapport scientifique, l’été joue un rôle central dans l’avancée des thèmes écologiques dans l’opinion publique. Université d’été à ciel ouvert, le temps qu’il fait permet d’éprouver et de rencontrer l’épaisseur de la catastrophe climatique.

Saisi dans le bain-marie caniculaire, un nombre croissant de Français, d’Européens, d’Indiens1 découvre par les travaux pratiques la science patiemment établie par le GIEC. Derrière les volets clos ou dans le son hachuré des ventilateurs, les lointains discours alarmistes semblent envahir de leurs murmures amers chaque gorgée d’eau ou pièce fraîche. Dès 10h du matin, les abstraites projections des courbes de CO2 se confondent étrangement avec l’ombre des murs de la ville : les curieuses lignes qu’ils dessinent sur le sol ou les brutales verticales qui se dégagent des bâtiments valent une bonne leçon de climatologie. On sait maintenant que la terre a le profil d’une gueule cassée et que le siècle pourrait bien offrir à l’humanité industrielle les moyens ultimes de l’écocide.

Défaite du scepticisme écologique

Bouffée d’air chaud ou bouffée d’angoisse ? Depuis 30 ans, l’ensemble des médias de masse ont beaucoup contribué à biaiser le cadrage de la question climatique. Finalement, dans le sauna métropolitain, ils ont tranché la question : le réchauffement est une affaire sérieuse. Davantage que les petits comptoirs idéologiques fort rentables des Luc Ferry, Gérald Bronner, Pascal Bruckner, Jean de Kervasoudé, Benoît Rittaud, Bruno Tertrais qui ont largement participé à leurrer le public sur les enjeux écologiques2. La postérité, s’il y en a une, se souviendra avec quelle assurance et constance tout ce beau monde a matraqué les esprits et semé la plus grande confusion pendant une double décennie sur l’ensemble des sujets écologiques3.

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L’étrange défaite est d’abord celle de tous ces scribouillards qui feuilletonnent la misérable vie politique française, de ces conférenciers ès philosophie qui invitent à apprendre à vivre en écartant délibérément la question politique et métaphysique centrale de notre époque, de ces micro-cravates imposant leurs diverses obsessions à tout le pays. L’immersion dans les archives de la presse dominante illustrerait le néant informationnel dans lequel ces fabriques de l’information ont plongé leur lectorat, ou pire, la désinformation régulière qu’ils ont propagée durant toutes ces années.

Dans cet accident industriel médiatique de longue période émerge la voix d’un des éditocrates les plus conformistes, pro-business et pro-gouvernementaux qui puissent exister : Jean-Michel Aphatie. Mieux vaut attendre les maigres fraîcheurs de la nuit pour écouter avec étonnement ce chroniqueur en appeler à la décroissance sur une radio incitant sans cesse par ses batteries publicitaires à vivre en parfait larbin de l’Economie. A une heure de grande écoute, Aphatie explique dans sa chronique que nous vivons notre première canicule politique, que les hommes sont responsables du réchauffement climatique et que ce que la politique a fait, elle peut le défaire : « Les esprits malins (…) parlent de croissance verte pour lutter contre les dérèglements climatiques et changer les modes de production. Mais le mot est faux. Le concept n’existe pas. Ce qu’il faut organiser, c’est la décroissance. Consommer moins, voyager moins, se déplacer moins, produire moins : c’est de la décroissance. (…) Nous sommes prisonniers. Nous assistons au dérèglement climatique. Nous ne savons pas comment changer nos modes de production pour y faire face4 ». Passé le vertige d’un tel diagnostic, Aphatie suspend son survol critique et regagne des terres idéologiques bien cadastrées : finalement, affirme-t-il, une politique décroissante est compromise au regard de l’importance de la faim dans le monde et de la forte croissance démographique à venir. Voilà comment s’achève le réveil brutal d’un demi-lucide : en dépolitisant les phénomènes sociaux et en expliquant que l’ordre du monde est inaltérable. Convoquer ces deux enjeux importants, qui méritent une analyse en soi plutôt que de servir d’épouvantail, conduit à neutraliser complètement la charge subversive initiale de sa chronique. Conclusion : la décroissance est nécessaire, mais impossible. L’ébranlement idéologique d’Aphatie est de plus courte durée que le temps de sa chronique.

La décroissance, un mot déjà usé ?



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