« Ce blocage, ça m’a fait chaud au coeur »



"Je connaissais personne, je me disais « Ah ce serait bien la révolution ! » mais j’avais aucune idée de par où commencer. Et puis y’a eu l’occupation...".
Récit et témoignages d’étudiant·es depuis l’occupation de la salle Diego Maradona.

Mercredi 4 avril, des étudiant·es ont bloqué la fac de Droit-Lettre pendant quelques heures, avant que des élèves zélé·es décident de forcer l’entrée du bâtiment. Quelques heures plus tard, dans la salle occupée Diego Maradona, certain·es d’entre eux reviennent sur l’occupation.

Comment ça a commencé tout ça ?
Marco : Y’a eu un rassemblement sur la fac pour réagir à l’expulsion violente de l’occupation de Montpellier, et au fait que des gens s’étaient fait courser par les flics sur le campus de Dijon au moment de la venue de Vidal. Le rassemblement s’est transformé en occupation de la maison de l’université. On s’est retrouvé le lendemain pour tracter. À ce moment-là on a fait une AG et on a décidé d’occuper une salle. Depuis, on a passé pas mal de temps à fabriquer des tracts et des affiches contre la loi Vidal [1], à les distribuer dans la fac et à discuter entre nous. Moi perso c’est la première fois que je m’engage dans un mouvement « politique ». J’aime pas trop ce mot parce qu’il évoque une certaine tradition d’un pouvoir vertical, alors qu’ici on fait pas de la politique comme un maire ou un président. Faire de la politique ici c’est expérimenter le vivre ensemble parce que mine de rien pour celles et ceux qui sont là depuis une semaine c’est déjà une putain d’expérience. Une expérience de prise de décision collective et d’action collective, voir comment c’est compliqué ! C’est pour ça aussi qu’on occupe cette salle, c’est pour nous donner un lieu pour construire quelque chose ensemble pour avancer.

Raphaëlle : Dans l’occupation, c’est incroyable tout le maillage de liens qui se crée ! Et c’est le plus important, le fait de partager toutes ces choses avec des gens, de se rassembler et de tendre vers quelque chose ensemble. On peut avoir des sensibilités vachement différentes mais ici on trouve les moyens de se mettre d’accord et d’apprendre les un·es des autres. On fait venir des gens, on leur demande de nous expliquer ce qui s’est passé ces dernières années, ils/elles nous racontent des choses sur d’autres luttes, sur les dernières expériences d’occupation, sur ce que c’est que de bloquer une fac,...

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Le blocage de ce matin ça vous paraissait évident ?
Marco : Non, parce que c’est assez radical, je sais pas si ça fait plaisir à beaucoup de monde de bloquer une fac, moi en soi ça me fait pas super plaisir. Mais tous les autres moyens d’actions (manif, tract,... ) qui visaient à sensibiliser ont pas trop marché, du coup on avait besoin de faire parler de nous et d’interroger les étudiant·es sur quelle université ils/elles veulent, et comment rejoindre la lutte.
Avril : Si vous voulez nous c’est la première fois qu’on vient à une assemblée, on était pas au courant du blocage et on peut vous donner un point de vue extérieur.
Marco : Qu’est-ce que vous en pensez alors ?
Bérénice : Moi franchement le fait que vous bloquez ça me dérange pas. C’est sûr qu’on peut trouver ça chiant de pas pouvoir entrer mais c’est pour nous défendre nous et les autres générations, y’en a qui pensent qu’à eux et leur partiels...
Avril : Nous aussi on a nos partiels, c’est sur que c’est pas forcément le meilleur moment pour nous, mais on s’en fout un peu.
Raphaëlle : De toute façon c’est jamais le bon moment pour les mouvements, à un moment faut bouger et c’est tout.
Avril : Quand on est arrivée ce matin, on a vu les étudiant·es en droit qui enlevaient les chaises, qui débloquaient la fac. On était dégoûtées. Quand j’ai vu tout le monde crier et enlever tout, j’ai halluciné.
Bérénice : Nous notre prof a annulé nos cours, et au final on est plus emmerdé par la levée du blocage…

Qui est-ce qui a débloqué la fac ?
Raphaëlle : C’est les étudiant·es en droit. C’est ce qui se dit en tout cas. Y’a pas mal d’étudiant·es que des potes ont reconnu. Le droit c’est une filière très sélective, ils sont plutôt abrutis par le mythe méritocratique.
Bérénice : On a vu un prof défoncer une porte pour rentrer et faire son cours. Il est monté sur la passerelle avec ses étudiant·es et il a défoncé une porte pour entrer, franchement on a halluciné.
Raphaëlle : C’est un peu décourageant mais mine de rien, y’a aussi pas mal d’étudiant·es qui ont eu des « tilts » quand on leur a parlé, qui se sont dit "ouah ça bouge enfin à Dijon". Et là on apparaît sur les cartes des facs en lutte. Faut pas voir nos actions à l’échelle locale, il faut se dire que sur le côté nationale, on fait partie de la vingtaine de fac qui se sont bougées aujourd’hui.

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C’est important pour vous de faire partie de cette cartographie de lutte ?
Marco : Ouais c’est carrément important. Je pense pas que ce soit par besoin de reconnaissance ou de gloire. Mais ça nous permet d’envisager le truc d’un point de vue national, on est pas les seul·es à se bouger, ça nous apporte une légitimité. On voit qu’à des endroits ça marche, à d’autres pas. Mais tous ensemble avec toutes ces petites initiatives ça peut mener à ce qu’on veut. Prendre forme et enrayer la marche engagée par l’université.
Raphaëlle : Et puis c’est la dimension lien et communication. C’est pleins de petits trucs qui s’accumulent. C’est important de savoir que dans ta ville ça s’est bougé. Il faut le savoir, il faut que les gens le sachent. Ça nous donne énormément de courage et d’envie d’avancer, un sentiment d’appartenance à un mouvement plus global, on est pas juste à se bouger dans notre coin pour nos petits trucs. On fait partie d’une dynamique nationale. Le plus important, c’est pas tant que nous on apparaisse sur la carte que de savoir qu’il y a une carte ! Savoir que dans 150 villes ça se bouge !
Bérénice : Nous ça nous a fait chaud au cœur ce matin de se rendre compte qu’ici aussi ça bougeait !
Marco : C’est aussi pour ça qu’on a fait ce blocage. J’ai l’impression que y’a quand même une sensibilité de gauche chez les étudiant·es, mais ils/elles sont pas au courant de ce qui se passe, ils/elles sortent pas de leur confort. Moi pendant la loi travail en 2016 j’ai pas bougé mon cul ! Je suivais ce qui se passait, je soutenais, mais j’arrivais pas à lâcher mon quotidien et mon petit confort. Je connaissais personne à l’époque, et peut-être que j’étais moins jusqu’au-boutiste, j’avais des belles idées mais je voulais pas les mettre en pratique. Tu peux être d’accord avec un truc dans le fond, mais pas savoir comment te mettre en action. Mais là le ras-le-bol est tellement fort, c’est chaud quoi, que ça parait impossible de pas se bouger.

Vous pensez qu’il manque quoi pour que les gens se ramènent ?
Avril : Je pense qu’ils/elles osent pas... Nous par exemple il nous manque un peu de courage. Mais venir à l’assemblée ça coûte rien alors on est venu aujourd’hui.
Bérénice : On hallucine des transformations qui arrivent, on a des petits frères, ils sont peut-être foutus...
Raphaëlle : Le déclic il vient d’où pour vous ?
Avril : C’est ce matin, le déblocage. La colère du moment où des étudiant·es ont viré les chaises, ça nous a grave vénère. Vous bloquez la fac pour nous, contre ce qui va nous arriver, et eux ils débloquent et ils s’en foutent, ils savent que dans leur monde ça va aller, ils pensent qu’à leur gueule. Ils ont sûrement les connaissances et le fric qu’il faut. Nous on est filles d’ouvriers, on a pas de thune et du coup on trouve ça formidable que vous fassiez ça, on a besoin de savoir que y’a des gens qui sont avec nous.
Marco : Moi j’avais déjà fait des manifs pendant la loi travail, et j’étais allé à deux ou trois AG étudiantes. Mais j’osais pas franchir le pas, j’avais peur d’être dans des dynamiques dans lesquels j’étais pas, j’avais l’impression que y’avait un groupe d’activistes qui se connaissaient et faisaient des choses ensemble, et je voyais pas comment j’aurais pu débarquer et dire « salut vous me connaissez pas... ! »
Rapahëlle : Des fois c’est dur de rattraper le wagon en route, de savoir que tu peux débarquer et que t’as ta place. Il faudrait qu’on réussisse à se montrer toujours ouvert·es et accueillant·es. Pour moi ça passe toujours par une discussion, parler de ce qui nous révolte pour se rencontrer et installer la confiance entre nous. Faut qu’on soit lié·e par autre chose que par nos idées, qu’on soit lié·e par des liens de confiance, de bienveillance, par forcément des liens d’amitié, mais au moins qu’on se connaisse...
Marco : C’est sur que maintenant on se fait confiance, dans la salle qu’on occupe y’a pleins d’affaire qui traînent partout, et personne a peur de se faire voler ses trucs alors que c’est toujours ouvert, que c’est pas évident. Ça montre que quand les gens ont appris à se connaître, ça marche.
Lamya : Moi j’avais assisté à plusieurs réunions, mais j’avais jamais vraiment pris part au mouvement. J’étais passée à l’occupation de la maison de l’université. Je connaissais personne mais deux étudiant·es étaient venu·es à mon cours pour parler de ça et je voulais savoir ce qui se passait. Quand je suis arrivée y’avait une AG avec des tours de parole, je voyais qu’ils/elles voulaient faire des trucs mais c’était mal organisé on aurait dit la première fois qu’ils/elles faisaient ça !
Marco : Bin c’était la première fois ! Toi ça t’a choqué la prise de la maison de l’université ?
Lamya : Bin pas tant que ça, mais les tags ça m’a un peu choqué, parce que pour qu’on te prenne au sérieux faut avoir une bonne image. Les tags je trouve ça sale et inutile.
Raphaëlle : L’image qu’on donne c’est compliqué… Je trouve ça toujours bizarre quand quelqu’un·e dit « je vais pas suivre le mouvement parce que les gens sont des casseurs » ou quand on te dit que tu dessers ta cause. C’est absurde, parce que soit une cause est légitime et tu la rejoins, soit elle ne l’est pas et tu t’en tiens loin. Mais dire que la cause est légitime mais que tu la dessers c’est étrange ! Celui qui veut trouver une raison de ne pas rejoindre un mouvement trouvera toujours le moindre prétexte pour se braquer. Si on était peace et super-non-violents, on nous reprocherait d’être des hippies !
Marco : Il faut aussi qu’on apprenne à jouer un peu avec tout ça, on a un peu de mal à le faire pour le moment. Le jeu médiatique c’est un peu de la merde. Ça nous oblige parfois à nous la jouer stratégique, sans se travestir complètement mais en faisant des compromis. Par exemple on a choisi de pas taguer la salle, pour éviter qu’on nous le rebalance à chaque fois, mais sans pour autant se dire que c’est affreux de taguer. Après le blocage de ce matin, on nous reproche de la casse, mais les gens se rendent pas compte que si on avait voulu on aurait pu tout niquer, on avait la fac entre nos mains, on aurait pu tout saccager !

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Et maintenant comment vous voyez la suite ?
Raphaëlle : C’est vachement difficile de penser à la suite parce qu’à chaque fois, à chaque mouvement, c’est un truc qui explose dans ta vie, un truc que t’avais pas prévu. C’était déjà ça quand j’ai participé à l’occupation de Mathiez il y a deux ans, et si tu m’avais dit y’a un mois que j’allais de nouveau revivre ça, je l’aurais pas imaginé... Du coup je prévois pas trop, mais pour moi la suite c’est surtout se tenir prête, saisir chaque occasion...
Marco : C’est les vacances dans 3 jours, et les partiels après, mais je sais pas si c’est possible que la parenthèse se referme, c’est une expérience qui laisse des traces. Même si on sait pas trop vers où on va et ce qui sera possible, on est archi ouvert·e à toutes les opportunités, il suffit d’un fait divers pour se retrouver et s’organiser. Si y’avait pas eu Montpellier, on serait pas là. On s’est rendu compte qu’il fallait bouger. Moi je connaissais personne, j’en parlais juste avec mon frère, on se disait « Ah ce serait bien la révolution ! » mais j’avais aucune idée de par où commencer. Et là y’a eu l’opportunité de la manif contre les violences policières et les fafs de Montpellier.
Raphaëlle : Aussi une fois qu’on a rencontré des gens ici, on s’aperçoit que le maillage se ressert toujours plus, que tu as rencontré les gens avec lesquels tu peux avancer.
Marco : Tu sais que y’a un terreau fertile et que y’a moyen que ça prenne un jour.
Raphaëlle : Que c’est plus large que ce qui se passe dans ta tête…
Marco : On est aussi tou·tes engagé·es dans d’autre choses plus générales. Moi mes parents me demandaient ce qu’étaient nos revendications, et je parlais de Vidal et assez vite je parlais de la destitution de Macron !
Raphaëlle : Toutes les occupations elles te changent la vie. Tu vis un truc bouleversant, avec un fonctionnement totalement différent de ce qu’on connaît d’habitude, une inversion des règles dans un espace particulier,...
Marco : La parenthèse elle se referme jamais vraiment parce que quand t’as vécu un truc comme ça t’as envie de recommencer.
Raphaëlle : L’occupation de Mathiez ça m’avait marqué, toutes les personnes avec qui j’ai des amitiés et avec qui j’ai continué de refaire le monde c’est des gens que j’avais rencontré là-bas. Moi y’a plein de truc que j’ai découvert là-bas, comme le féminisme par exemple, y’avait des projections, une commission féministe, etc... Y’avait des débats sur le vote et le consensus, j’ai joué le rôle de médiatrice dans certaines discussions, j’ai l’impression d’avoir été formée et d’avoir reçu des infos que j’aurais jamais pu avoir autrement. C’est l’autogestion, c’est la vraie vie !
Marco : Est-ce qu’on est pas en train de vivre la vraie vie pendant ces quelques jours, plutôt que le reste du temps !



Notes

[1Pour un décryptage avancée de la loi Vidal et des réformes de l’université, vous pouvez lire le dossier « En marche vers la destruction de l’université » des économistes attérés.

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