Yvan Colonna
Yvan Colonna, le « berger de Cargèse », est une figure de la lutte indépendantiste corse. Il est éleveur de chèvres à Cargèse, membre d’A Cuncolta Naziunalista [1] dès 1983 puis du FLNC [2] dès 1990. Il prend ses distances avec le mouvement en 1993 suite à l’assassinat d’un militant par d’autres nationalistes. On n’entend plus parler de lui, pour la police il s’est rangé et partage son temps entre son travail de berger et l’équipe de foot de Cargèse qu’il entraîne.
Pourtant c’est son nom qui ressort suite à l’assassinat du préfet de Corse Claude Érignac le 6 février 1998 à Ajaccio. « Dénoncé » comme l’assassin du préfet, il fait une conférence de presse le 22 mai 1999 pour affirmer « n’avoir aucune responsabilité » dans la mort du préfet et prend le maquis le lendemain. Il réafirme son innocence dans une lettre manuscrite fin décembre 2000, tout en précisant qu’il ne se rendra pas à la justice en qui il n’a aucune confiance. Yvan est condamné le 20 juillet 2001 pour avoir été guetteur lors de l’attaque à l’explosif de la gendarmerie de Pietrosella en 1997. Il finit par être arrêté près d’Olmeto le 4 juillet 2003 et incarcéré à la prison de la Santé à Paris. Son arrestation est dénoncée par les indépendantistes comme un coup de com’ de Nicolas Sarkozy et provoque des manifestations, comme à Ajaccio où 15 000 personnes marchent derrière le slogan « On a tous hébergé Yvan Colonna ». [3]
Yvan Colonna est condamné à la réculsion criminelle à perpétuité le 13 décembre 2007 par la cour d’assises spéciale de Paris. Le 27 mars 2009, lors de son procès en appel, il est condamné à la perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans par la même cour. Yvan Colonna accuse violemment Nicolas Sarkozy d’avoir fait pression sur la procédure en le présentant comme le coupable. La défense appelle le peuple à se pencher sur les conditions dans lesquelles l’enquête s’est déroulée. [4] La décision de justice déclenche des émeutes dans toute la Corse. [5]
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Le 30 juin 2010, la cour de cassation annule la condamnation pour vice de procédure. Il est condamné à un an de prison ferme pour transport d’arme de première catégorie et relaxé des autres chefs d’inculpation le 8 juillet 2010. Un troisième procès s’ouvre le 2 mai 2011 à la cour d’assises spéciale de Paris suite à l’appel du parquet. Yvan Colonna sera finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité sans période de sûreté le 20 juin 2011. Signalons au passage qu’il est défendu par Éric Dupond-Moretti à ce moment là. Il sera détenu à Fresnes pendant 8 ans, puis 1 an à Toulon et enfin à Arles, sous le statut de détenu particulièrement signalé. C’est dans la salle de sport de cette prison qu’il est violemment agressé le 2 mars 2022 par un autre détenu connu pour sa brutalité.
Nationalisme corse
Pour comprendre la situation actuelle, remontons à la fin des années 90. Le FLNC, créé le 5 mai 1976, a subit diverses scissions, la lutte corse est divisée, les règlements de comptes gangrènent le mouvement. Cela jusqu’en juillet 1999, date à laquelle les organisations nationalistes signent les accords de Migliacciaru qui ont pour but de mettre fin aux vendettas meurtrières entre nationalistes. Suite à cet accord, les fractions clandestines FLNC Canal Historique, Clandestinu, Fronte Ribellu, FLNC du 5-Mai et Resistenza Corsa se réunissent au sein du FLNC-UC le 23 décembre 1999. C’est le début d’une lutte contre la Mafia qui dure encore, comme lorsque 800 nationalistes se réunissent le dimanche 29 septembre 2019 à Corte pour débattre de l’emprise du grand banditisme sur l’île.
Le début des années 2000 voit une réduction des attaques armées et un engagement plus marqué dans une voie électoraliste. Ce qui engendre une nouvelle scission. Le 22 octobre 2002, face à l’union des mouvements nationalistes en vue des élections de mars 2004, le FLNC du 22-Octobre fait scission avec le FLNC-UC en maintenant une ligne de lutte armée radicale face à l’État.
Le mouvement indépendantiste renforce encore le processus électoraliste dans les années 2010 et le FLNC affirme que toutes ses factions se sont réunifiées. Le 25 juin 2014 le FLNC-UC annonce qu’il enclenche un processus de démilitarisation. Le 2 mai 2016, le FLNC du 22-Octobre annonce une trève illimitée sans démilitarisation. Le 30 mars 2014, le nationaliste Gilles Simeoni devient maire de Bastia. Le 13 décembre 2015, la coalition nationaliste Pè a Corsica remporte les élections territoriales de Corse et Gilles Simeoni devient président du conseil exécutif de Corse. Le 18 juin 2017, trois députés de Pè a Corsica sont élus à l’Assemblée nationale française. Le 10 décembre 2017 Pè a Corsica renforce sa majorité au sein de l’Assemblée de Corse. Le 27 juin 2021 les autonomistes remportent les élections territoriales. Depuis 6 ans, le nationalisme est désormais la première force politique de l’île. Mais le bilan n’est pas très bon. Il s’avère que la lutte électorale est moins efficace que la lutte armée.
Ce qui a comme conséquence le retour de groupes armés au début des années 2020. On constate d’abord l’apparition du FLNC Per l’Indipendenza le 1er octobre 2019, et du FLNC 76 les 21 octobre 2019 et 28 octobre 2020. Ce qui pour certains indépendantistes ne serait qu’un soubresaut de fachos s’emparant de l’héritage du FLNC. Le véritable surgissement du FLNC se fait d’abord le 14 juillet 2020, puis lors d’une conférence de presse clandestine le 5 mai 2021. 45 ans jour pour jour après la fondation du FLNC, on apprend la création d’un nouveau groupe armé FLNC Magjhu 21. Regroupant des militants de toutes les composantes du FLNC en sommeil, le groupe annonce le redéploiement tactique de l’organisation armée en attente d’un véritable processus politique de règlement de la question nationale corse de la part de l’État français. Le nouveau FLNC s’annonce comme l’adversaire de l’État mais aussi de la gangrène mafieuse qui s’installe sur l’île.
Maintenant
Mercredi 2 mars, Yvan Colonna est agressé dans la salle de sport de la prison d’Arles. Les syndicats étudiants Ghjuventu indipendentista [6], Cunsulta di a Ghjuventu Corsa [7] et Ghjuventu Paolina [8] invitent les groupes nationalistes à une assemblé générale le lendemain à 14h. Jeudi 3 mars, l’Université de Corte est bloquée. À 14h 500 personnes se rassemblent sur le campus de Corte, tous les groupes nationalistes sont présents. Ils décident d’appeler à une manifestation le dimanche 6 mars à Corte. L’appel est rejoint par Associu di i Parenti corsi, Sulidarità, Ora di u ritornu, Sindicatu di i travagliadori corsi, Avà Basta, Femu a Corsica, Core in Fronte, Corsica Libera, le Parti de la nation corse, la Ligue des droits de l’homme, ... L’assemblée se termine en une manif qui marche sur la sous-préfecture.
Le Syndicat des travailleurs corses appelle à entraver le débarquement des forces de l’ordre sur l’île. Vendredi 4 mars des rassemblements ont lieu à Porto-Vecchio, Bastia, Afa, Ajaccio, Migliacciaru, Saint-Florent, Prunelli di Fium’Orbo, Figari, Propriano, Ota-Porto, Villanova, Bocognano, Lugu di Nazza, Ile Rousse, Cargese … Le port d’Ajaccio est bloqué, ce qui empêche les gendarmes de débarquer. Marine Le Pen annule son déplacement en Corse prévu pour dimanche. Des rassemblements continuent de se tenir samedi 5 mars à Cervione, Aleria, Porto-Vecchio, Figari, Tolla, Calcatoggia, Casinca, Bastia, Zonza, Lupinu, Luri, Vico, Castellare-di-Casinca… Dimanche 6 mars, 15 000 manifestants défilent à Corte de la gare à la sous-préfecture derrière la banderole « Statu Francese assassinu » D’autres rassemblements se tiennent à Paris et Nice.
La manif de Corte donne de la force au mouvement et ouvre une semaine de mobilisation très agitée. Lundi 7 mars, des tags sont inscrits sur les façades de la mairie et du point d’information touristique en construction à Lumio. On peut lire « Gloria à Yvan », « FLNC 76 », « IFF » [9]. Des rassemblements ont lieu devant les préfectures d’Ajaccio et de Bastia ainsi qu’à Solenzara, Aix-en-Provence... Mardi 8 mars, Jean Castex lève le statut de détenu particulièrement surveillé pour Yvan Colonna. Les Corses prennent ça pour une provocation, des rassemblements ont lieu devant les préfectures d’Ajaccio et de Bastia. Le conseil d’administration de l’Université de Corse adopte à l’unanimité une motion de soutien à Yvan Colonna et demande la libération de tous les prisonniers politiques.
Mercredi 9 mars, les mouvements nationalistes corses se réunissent et se mettent d’accord sur un mot d’ordre : « Vérité et justice pour Yvan, liberté pour les patriotes, reconnaissance du peuple corse. » Ils appellent les lycéens à se mobiliser le lendemain et annoncent une manifestation à Bastia le 13.
La journée se termine par des émeutes à Ajaccio, Calvi et Bastia. À Ajaccio le tribunal est envahi et incendié, une banque détruite à la mini-pelle et un début d’incendie détruit un bâtiment de la maison d’arrêt. À Calvi la sous-préfecture est attaquée aux coktails molotov. Jeudi 10 mars, 23 lycées et collèges sur les 47 que compte l’île sont bloqués. 500 lycéens manifestent à Ajaccio. Des affrontements ont lieu à Ajaccio, Bastia et Corte. La sous-préfecture de Corte et la préfecture de Bastia sont attaquées. Vendredi 11 mars, le gouvernement annonce la levée du statut de DPS pour Alain Ferrandi et Petru Alessandri. Les syndicats étudiants gardent l’initiative et s’adressent aux élus nationalistes en ces termes : « Vous n’avez pas le monopole de la lutte. Et ces jeunes à qui vous donnez des leçons ont plus fait que vous en sept ans. ». Dimanche 13 mars, 10 000 manifestants marchent du palais de justice à la préfecture de Bastia derrière la banderole "Statu francese assassinu" de 15 à 16h. Aussitôt arrivés les manifestants s’en prennent à la préfecture et affrontent les flics qui la protègent. Ils incendient la direction départementale des finances publiques et un engin explosif détruit un bureau de Poste. Il y aurait eu 650 cocktails molotov jetés sur les forces de l’ordre dans la soirée, alors que 400 cocktails avaient été saisis par la police avant la manif. Les flics eux ont utilisé leur 1200 grenades lacrymogènes puis se sont réfugiés dans la préfecture à cours de munitions. Les affrontements cessent vers 23h. Un rassemblement de solidarité à eu lieu à Rennes à 14h devant la prison des femmes.
Lundi 14 mars, trois députés nationalistes corses – Jean-Félix Acquaviva, Paul-André Colombani et Michel Castellani –, soutenus par Éric Coquerel (LFI), Stéphane Peu (PCF), Isabelle Santiago (PS), Pascal Brindeau (UDI) et François Pupponi (MoDem) demandent au gouvernement des actes forts concernant la Corse. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, annonce qu’il s’y rendra mercredi et jeudi sous réserve que les violences cessent. Les Corses attendent de voir ce qu’il promet, alors ils suspendent les actions violentes pour la semaine. Mardi 15 mars, le collectif d’avocats Sustegnu Ghjuventù s’inquiète de l’utilisation de Produits Marquants Codés par les forces de l’ordre sur les lycéens. Ils demandent au procureur d’en bannir l’emploi. Des rassemblements de solidarité ont lieu à Bayonne, Saint-Jean Pied-de-Port et Mauléon en Pays basque nord. Les revendications corses sont reprises à leur compte par les indépendantistes basques.
Mercredi 16 mars, c’est le premier jour de déplacement de Darmanin en Corse. La journée commence par des intrusions dans les hôtels des impôts de Sartène et d’Ajaccio. Le personnel est évacué et les locaux occupés. À Bastia ce sont les locaux de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer qui sont occupés. Puis un communiqué du FLNC qui menace de passer à l’action est publié. Le ministre arrive à 16h à la Collectivité de Corse pour discuter avec les élus corses. Un rassemblement a lieu devant le bâtiment. Lorsque les élus en sortent, ils sont hués par les manifestants, non satisfaits de l’issue des discussions. Gilles Simeoni, président du conseil de Corse, rappelle le caractère fondateur de la réunion mais reste vigilant, et Gérald Darmanin semble satisfait des discussions.
Jeudi 17 mars, pour Darmanin le début de matinée est réservé à un échange avec les parlementaires et une rencontre avec le recteur corse et le président de l’université de Corte. Une manifestation est organisée devant la préfecture de Bastia par le Syndicat des Travailleurs Corses de la Collectivité de Corse. Pendant ce temps là Darmanin va à la rencontre des forces de l’ordre à la base d’Aspretto à Ajaccio. Il se rend ensuite à la préfecture d’Ajaccio pour tenir une conférence de presse. Un rassemblement appelé par la CGT, la FSU et l’UNSA se tient devant. Darmanin appelle au calme, dénonce les « thèses complotistes qui consistent à penser que c’est un crime d’État » et annonce l’arrivée de nouveaux gendarmes ainsi que l’ouverture d’enquêtes par rapport aux violences. Le ministre se rend ensuite à Porto-Vecchio pour s’entretenir avec le conseil municipal et rencontrer la brigade de gendarmerie de Porto-Vecchio attaquée par les manifestants la semaine précédente. La justice annonce qu’elle suspend la peine d’Yvan Colonna. Pour les syndicats étudiants Ghjuventu indipendentista, A Cunsulta di a Ghjuventu Corsa et Ghjuventu Paolina, les annonces du gouvernement ne suffisent pas. Ils annoncent que sans un geste fort de la part de l’État la mobilisation continuera jusqu’à un point de non retour. Ils entendent que l’ensemble de leurs revendications soient satisfaites et appellent les organisations du collectif du 9 mars à se réunir le lendemain à Corte.
Darmanin prolonge son déplacement car Simeoni exige de lui que les engagements annoncés soient consignés dans un document avec un calendrier et actés par les deux parties : "Je souhaite que ces engagements très forts soient consignés dans un document, soient l’objet d’une feuille de route partagée avec la formalisation publique, à la fois de la méthode, du contenu, du processus et du calendrier. Dans ces conditions-là nous pouvons considérer que nous avons posé la première pierre d’un processus historique." Le conseil exécutif corse a donc rédigé un document qui a été validé par le gouvernement français et signé par Gérald Darmanin et Gilles Simeoni à la Collectivité de Corse à Bastia le 18 mars. En attendant, le ministre rencontre le maire de Bastia avec le préfet de Corse, le préfet de Haute-Corse et un député ; se rend à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Corse ; et rencontre les forces de l’ordre à la préfecture de Haute-Corse. La journée est marquée par des blocages de lycées et collèges dans une douzaine de villes corses. Une assemblée se tient à Corte, elle n’est pas dupe vis-à-vis de l’engagement de l’État français : « À un mois d’une échéance électorale, on peut se demander si ce n’est pas encore une fois une manière de gagner du temps. L’État a souvent joué ce jeu-là en Corse, on peut donc rester relativement circonspects. » Le collectif décide de continuer le mouvement. On note l’absence de Gilles Simeoni et du parti Femu, en négociations avec Paris.
La lutte n’est pas terminée, les engagements signés par Darmanin ne sont que du vent. Les représentants de l’État français refusent de prendre le moindre engagement sur la libération des prisonniers politiques - ni sur un calendrier ferme pour leur rapprochement pourtant annoncé au plus haut niveau de l’État depuis vingt ans -, sur la reconnaissance du peuple corse et de ses droits, sur la définition d’un statut d’ « autonomie » qui doit a minima inclure l’exercice du pouvoir législatif et rejettent d’ores et déjà tout statut de coofficialité pour la langue corse. Les mouvements Partitu di a Nazione Corsa, Core in Fronte, Corsica Libera et A Muvra refusent de signer et appellent à ce que la mobilisation continue.
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