Forêt des enfants : la Métropole se plante



Récit de l’opération de communication « Forêt des enfants », où des parents de bonne volonté découvrent que les arbres plantés ont peu de chance de donner naissance à une forêt, sacrifient des terres cultivées, et que la Métropole de Dijon gaspille des milliers de « crayons à planter » au nom de l’écologie.

L’évènement a été largement annoncé pendant des semaines à grand renfort de pages publicitaires dans Dijon mag’ et d’affiches dans les abribus. Les parents ont même reçu un texto les invitant à venir. « Dijon s’engage » annonçait l’affiche. Ce dimanche 24 novembre se tenait « la forêt des enfants », rendez-vous annuel de la métropole de Dijon. Le concept est simple : pour chaque enfant né dans la métro, Dijon s’engage à planter un nouvel arbre. Cet engagement se concrétise chaque année lors d’une journée où parents et enfants sont invités à venir le faire eux-même sur une parcelle dédiée. La mairie se vante d’avoir ainsi planté près de 9000 arbres depuis 2015. Tellement de promo que notre propre fille, qui vient d’apprendre à lire, à été séduite par les deux mots en gros sur l’affiche, « forêt » et « enfants », et s’est motivée à nous y entraîner pour un chouette dimanche en famille.

Il y a du monde sur le chemin qui mène du parking à la parcelle des plantations. Des enfants et des parents en veux-tu, en voilà, chacun avec son petit crayon à la main, on y reviendra. Pas de chance, cette année, la neige puis le vent ont eu raison de toutes les fioritures promises autour de la plantation : pas de tour en calèche, pas de présentation de chouettes vivantes, pas d’atelier dessins, de jeux en bois ni de contes racontés aux enfants. C’est dommage, raconte un papa déçu, l’année dernière c’était super sympa, et puis il y avait un goûter offert. Cette année les barnums n’ont pas résisté aux conditions météo et les services ne semblent pas avoir en leur sein la moindre personne capable de proposer une animation sans matériel dans un champ – n’est pas la Maison-phare qui veut ! (La Maison-phare est une asso dijonnaise qui pratique la pédagogie sociale – si vous ne connaissez pas la pédagogie sociale allez donc faire un tour sur laragedusocial.org, c’est diablement intéressant et ça peut même se pratiquer en forêt à l’occasion).

L’évènement tant annoncé se résume donc à quelques grilles autour d’un champ, une vingtaine d’agents vêtu-es de vestes oranges fluos, et une file d’attente pour recevoir son certificat de plantation – et son crayon. Un peu plus loin, le truck-food seul sur son parking qui vend du vin chaud à 3 balles a survécu aux précautions prises pour faire face au vent. Les enfants sont donc invité-es à choisir une pousse d’arbre parmi une dizaine d’essences vaguement présentées sur de petits panonceaux. Une veste orange prend les choses en main – enfin l’arbre, plus précisément – et le met en terre, avec l’aide de l’enfant. Un arbre tous les trente centimètres environ, d’espèces choisies aléatoirement, on peine à imaginer la forêt que ça va exactement produire. Les agents des espaces verts mobilisés un samedi pour l’occasion n’en savent rien non plus, il faut trouver un gradé (avec une veste d’une autre couleur) pour obtenir quelques éclaircissements. Oui ça va pousser. Il y a de la sélection naturelle, bien sûr, c’est normal, certains arbres prennent plus de place que d’autres. Après, une forêt… ça pousse, quoi. Oui, il faut pas trop en attendre. La parcelle juste à côté contient les pousses de l’année dernière, qui survivent tant bien que mal au milieu des rafales de vent... Un peu plus loin, quelques épicéas (des sapins) bien vivants témoignent de l’ancienneté de l’opération.

Les premières années, le sol était trop pauvre sur les parcelles choisies, toutes les pousses mourraient, raconte honnêtement l’homme-qui-s’y-connaît. Alors il a été décidé de faire les plantations sur des terres agricoles, comme ça au moins ça pousse. L’année dernière on a eu 100 % de réussite.  Le gradé nous voit venir : mais, c’est des terres agricoles ? Ça veut dire que d’autres choses pourraient pousser ici Bah… oui, répond-il avec un sourire gêné. Dans une métropole qui chasse les jardins urbains pour construire toujours plus (comme ceux de Larrey) tout en prétendant travailler à l’autonomie alimentaire sur le territoire, ça fait un peu tâche de sacrifier des terres agricoles pour une opération de com’ à base de plantations hasardeuses. De toute façon, les terres ne sont pas optimales pour la mise en culture, tente de venir à son secours un collègue. On hésite à engager réellement la conversation autour de la notion de terre optimale, quand on sait ce que l’agro-industrie fait aux terres agricoles pour les optimiser à coups de pesticides et d’arrachage de haies. Bref, les parcelles utilisées sont cultivables, voilà tout. On enchaîne : Mais donc, le champ de colza à côté, il est réservé pour planter des arbres l’année prochaine ? Retour du sourire gêné. Bah...oui.

Notre plantation fièrement réalisée malgré tout, nous voilà donc dans la file d’attente pour obtenir le « certificat de plantation ». Un bout de papier avec le prénom de l’enfant, signé « Dijon métropole s’engage pour la biodiversité ». L’Ours Pompon y embrasse un arbre, c’est trop mignon, ça ira bien entre le diplôme de ceinture jaune et le poster de baleine sur les murs de la chambre. Mais surtout, le certificat s’accompagne du fameux crayon offert pour tout arbre planté. Un bête crayon à papier ? Sûrement pas : c’est un « crayon à planter » ! Il est orné d’une petite capsule en plastique prétendument biodégradable, avec des graines d’épicéa à l’intérieur. Faire pousser un sapin chez soi, quelle riche idée ! « D’ici une à quatre semaines, de jeunes plantes germeront » promet le mode d’emploi donné avec. « Et d’ici deux ou trois mois, vous jetterez la plante dont vous ne saurez plus quoi faire », complètent les mauvais esprits. Sans compter l’immense majorité des crayons qui termineront oubliés dans la voiture du retour ou opportunément jetés par des parents qui ont déjà un hamster à faire gérer à leurs chères progénitures – ou une pousse de lentilles, ça marche très bien pour découvrir comment pousse une plante, sans engagement. Le site internet de la boite qui vend les crayons explique : « Nos produits à planter sont une manière simple d’illustrer le concept de durabilité, un contre-exemple à notre société du jetable et un symbole de possibilité. » Produire en série, au nom de l’écologie, des objets inutiles qui seront massivement jetés avant le moindre usage, il fallait oser. Qui sont donc les prestigieux clients écolos qui accompagnent la métropole de Dijon dans l’aventure des graines de sapins à emporter ? Le site internet de « Sprout » (oui, la boite s’appelle prout, ça aurait du mettre la puce à l’oreille du chargé de mission qui a commandé les crayons) nous l’annonce fièrement : Ikea, Schenker logistics, Lufthansa Airlines, et même Porsche et Coca Cola.
Alors que notre enfant, pleine de bonne volonté, s’inquiète de constater que cette activité remplit pas l’objectif d’une paisible promenade familiale, vu que ses parents ne font que râler, nous nous prenons à rêver. Une opération de guerilla potagère nocturne l’année prochaine, durant laquelle le champ réservé aux arbres serait remis en culture, avec la complicité de quelques jardinier·ères de la ville. On y aurait planté des carottes, des choux, des fèves ou des oignons blancs, par exemple. Des affiches auraient recouvert celles de la mairie dans les abribus, où il serait question d’autonomie alimentaire, de jardiner à plusieurs, d’apprendre à cultiver ce qui nous nourrit. Des écoles auraient même été invitées à mettre les mains dans la terre tout au long de l’année - truc de fou ! Ce pourrait aussi être une idée pour le chargé de mission au moment de la prochaine commande de crayons bidons : et si la Métropole arrêtait de faire mine de planter des arbres, et prenait simplement soin des champs cultivés, quitte à y associer la population. « Les poireaux des enfants », ça pourrait aussi faire de belles affiches.



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