[GJ Acte I] Chantage vert, colère noire, gilets jaunes



Récit et analyse subjective de la manifestation dijonnaise des « gilets jaunes ».

On était plusieurs amis à scruter le mouvement des gilets jaunes qui s’annoncait depuis un petit moment. Attentifs parce que, mine de rien, le mouvement est relativement spontané, et part d’une colère légitime : une nouvelle taxe qui vient toucher des populations déjà bien précarisées, notamment les campagnes et leurs laissé·es-pour-comptes. Sceptiques aussi, puisqu’évidemment les tentatives de récupération de la classe politique, et en particulier de l’extrême-droite (de Wauquiez à Le Pen) ne nous ont pas échappé. On est donc allé sur place pour voir ce qu’il en était vraiment.

L’évidence selon laquelle Macron est un nuisible semble largement partagée. En se dirigeant vers le lieu du rassemblement - à Dijon c’était le parking du Zénith, aux abords de la rocade - les premiers groupes de gilets jaunes apparaissent plusieurs centaines de mètres avant le point de rendez-vous. On s’y attendait et cela nous le confirme : la foule va être massive. Comme on espère toujours la voir dans les luttes sociales, mais aussi comme on a pu la voir dans les douteuses marches « Je suis Charlie ». On ne va pas s’avancer à annoncer des chiffres : cette manif était bien trop massive et foisonnante pour permettre un décompte. On se contentera de dire que la manif dépassait largement les 5000 à 6000 personnes, chiffres annoncés par la Préfecture.

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Un débordement manifeste

Pour ce qui est de la forme, la manif’ est globalement restée dans un cadre très « civique », mais elle n’en était pas moins une manif’ sauvage du début à la fin. Dès les premières minutes, la tête de la manif’ a refusé d’emprunter le parcours balisé par les organisateurs et la Préfecture, qui prévoyait d’emprunter la rocade, fermée à la circulation pour l’occasion. Après un petit accrochage avec les CRS présents, et quelques tirs de lacrymogène, le cortège est parti dans un joyeux bordel en direction du centre-ville. Les organisateurs de l’évènement facebook, interlocuteurs officiels de la Préfecture, se sont donc désolidarisés de la manif après un petit quart d’heure. Ils ont emprunté la rocade à quelques centaines, pendant que des milliers de personnes empruntaient l’avenue de Stalingrad. Le dispositif policier s’est donc fait déborder dès les premières minutes, et a donc du se contenter de transformer la préfecture en fort Chabrol, laissant le centre ville totalement ouvert.

En ville, le cortège - à ce stade il faudrait même parler des cortèges - est resté incontrôlé : en l’absence d’organisation on a eut les coudées franches, mais on a aussi parfois manqué d’objectifs communs. De toutes façons, il aurait certainement été compliqué de mettre tout le monde d’accord, vu le pot-pourri qu’était ce rassemblement. Il n’empêche qu’après s’être rendue quelques minutes devant la mairie, une partie est allée bloquer la gare, et même les voies de trains, pendant un bon quart d’heure. Dans le même temps un autre groupe rassemblé devant la mairie a forcé les grilles, fait reculer la police municipale qui a du gazer et faire appel à la BAC [1] pour les repousser. Quand on est partis vers 16h30, dans un moment de flottement, le gros du cortège semblait repartir vers la Toison d’Or, mais un groupe était apparement encore en train de bloquer les rails.
C’est ici qu’on met le point final à notre récit, mais beaucoup de gens étaient encore dans la rue au moment où on est partis, peut être le sont-ils encore quand on écrit ces lignes.

« Être au milieu du peuple comme un poisson dans l’eau » ?

Si on a été heureusement surpris par la tournure des évènements, c’était plutot sur le fond que nos craintes portaient : quels seraient les mots d’ordres ? est-ce que les fachos seraient à la parade ?
Sur ce point on est plus mitigés. On a vu des drapeaux tricolores, on a entendu plusieurs fois la Marseillaise, reprise à pleins poumons par le cortège, et des slogans assez minables qui tournaient souvent autour de la supposée vie sexuelle de Emmanuel et Brigitte Macron et Alexandre Benalla. C’est jamais très agréable de se retrouver entre un motard qui fait ronfler son engin et une foule qui beugle la Marseillaise et qui traite des gens d’enculés (même si c’est de Macron qu’il s’agit). On doit bien se rendre à l’évidence : pour beaucoup de gens, la Marseillaise reste un chant populaire, voir même un souvenir d’une histoire révolutionnaire... Ça pique un peu mais c’est comme ça !
Pour autant, on s’attendait à bien pire à ce niveau là. À part ces trucs graveleux, on a pas entendu de remarques sexistes ou racistes, ce qui n’était pas gagné d’avance. Les fachos organisés, qui devaient bien être dans les parages, se sont fait discrets. On n’en a pas reconnu, ni vu personne arborer de signe distinctif. Au contraire on a pu voir plusieurs pancartes qui nous parlaient, bien plus que « les contribuables en ont ras-le-bol ».

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Au niveau de la composition c’est difficile de s’avancer sur toute la sociologie du cortège, mais de là où on se trouvait il nous a quand même semblé qu’il y avait pas mal de diversité. On a vu réunis dans la même colère des gars des chantiers, des jeunes des cités, des retraitées, des punks à chiens, des étudiantes, des syndicalistes. On imagine quand même que beaucoup des gens réunis cet après-midi étaient les premièr·es perdant·es de cette hausse des taxes : les gens de la périphérie de Dijon qui doivent faire 10, 20 ou 30 bornes matin et soir.
Beaucoup de gens avaient aussi l’air de manifester pour la première fois, ce qui n’est certainement pas pour rien dans l’exaltation qui transparaissait parfois, loin de l’ambiance blasée de beaucoup de cortèges de militants convaincus (de leur impuissance ?).
Dans tout ça on a vu émerger des moments de complicité réjouissants. Quand le dispositif policier a été débordé d’entrée de jeu, quand tout l’avant de la manif a couru pour repousser la voiture de police qui se mettait en travers de la rue, quand les grilles de la mairie ont été forcées, ou toutes les fois où on a pu retrouver les complicités qu’on affectionne dans les manifs sauvages auxquelles on est habitués.

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Alors cette manif ?

On avait pas vécu de manif aussi foisonnante et débordante depuis bien longtemps. Avec un dispositif policier et des organisateurs débordés ou absents, la manif a vraiment pu sortir des sentiers battus.
Pour autant on va pas se voiler la face : le jeu politique commence maintenant, sur nos écrans, sans qu’on ait plus de prises dessus, au moins jusqu’à la prochaine mobilisation.
Beaucoup se rendent compte de l’indécence des puissants - qui à travers les industries et leurs lobbies sont les principaux pollueurs - à faire payer la note écologique aux gens d’en bas. Il y a fort à parier que le chantage à l’écologie va nous accompagner dans la séquence politique qui s’ouvre et il est important de savoir le démonter.
On rentre donc avec quelques questions en tête :

Quelle forme d’intervention collective pour ne pas laisser les fachos capitaliser sur cette colère populaire ?
Comment construire un rapport de force favorable qui allie justice sociale et préoccupations écologiques ?
Est-ce que finalement c’est pas un peu glamour et subversif le gilet jaune ?

Des gilets jaunes plutôt habitués au K-way noir


Notes

[1Brigade Anti-Criminalité. Pour en savoir davantage sur cette unité de police bien spécifique, lire La domination policière, de Mathieu Rigouste.

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