Densité heureuse
L’article Rebsamen : « Une densité heureuse est possible » publié le 29 septembre 2021 sur Dijoncter nous apprend que François Rebsamen, maire de Dijon et président de la Commission pour la relance durable de la construction de logements [1], est promoteur de la densité heureuse. En effet, le 22 septembre la commission publiait le Tome 1 du Rapport Rebsamen et il suffit de lire la première page de synthèse de ce rapport pour comprendre ses objectifs :
« Face aux réticences locales à la construction, la commission appelle à déployer un discours politique offensif et des mesures financières ciblées sur les communes et intercommunalités.
En effet, le premier obstacle à l’augmentation de l’offre de logements en zones tendues consiste en une dévalorisation de l’acte de construire. Celle-ci est d’abord politique : l’accueil de nouveaux habitants et la densification qui en résulte sont de plus en plus difficilement acceptés au niveau local. Des réflexes malthusiens, parfois des préoccupations environnementales, souvent une certaine fatigue vis-à-vis du mode de vie urbain, exacerbée par les confinements successifs, se mêlent et nourrissent une défiance forte vis-à-vis de toutes constructions nouvelles. Cette situation appelle un discours politique clair et offensif pour revaloriser l’acte de construire. Il faut affirmer qu’une densité heureuse est possible, à condition que l’on veille à la qualité des logements et des espaces urbains. Il faut également assumer la profonde convergence entre densification et préoccupations environnementales. Enfin, il convient de rappeler le devoir social de chacun vis-à-vis de toutes celles et ceux qui ont besoin d’un logement. »
Ce paragraphe est très clair :
1. Le lobby de l’immobilier avoue être menacé par des résistances qu’il nomme « réticences locales à la construction ».
2. Les agents du béton préparent une contre-attaque politique emballée d’écoblanchiment et de petite leçon de morale sur le « devoir social de chacun ».
Ce document très instructif cite un peu plus loin une démarche lancée par Emmanuelle Wargon, ministre du logement :
« Il faut d’abord affirmer qu’une densité heureuse est possible. Beaucoup des conditions de celle-ci sont connues, d’autres sont encore à définir. En février 2021, la ministre du logement a lancé la démarche « Habiter la France de demain » qui vise à justement identifier les solutions de quatre défis clés pour l’avenir des villes françaises : la sobriété, la résilience, l’inclusion et la production. Le premier axe de travail concerne la conception du cadre de vie à ses différentes échelles, du logement à la ville en passant par le bâtiment et le quartier. Des logements plus grands, mieux pensés et de meilleure qualité, des espaces urbains aménagés, des infrastructures de transport bien dimensionnées sont indispensables pour permettre à chacun de s’épanouir dans un cadre urbain dense. »
Pour rappel, la ministre du logement lançait en février 2021 la concertation « Habiter la France de demain » pour repenser l’aménagement urbain. Qu’on ne se leurre pas, il n’y aura aucune concertation, et le discours de clôture tenu par Emmanuelle Wargon le 14 septembre dernier est bien surprenant. Alors que la consultation citoyenne nous apprend que plus de 80 % des Français.es souhaitent vivre en maison individuelle [2], la ministre annonce vouloir en finir avec ce modèle là et utilise la notion d’intensité heureuse pour porter la volonté du gouvernement de multiplier les logements collectifs. On a fait passer cette « concertation » pour un grand moment où les Français.es étaient invité.es à repenser la ville de demain après le Covid-19. On se rend compte, par la conclusion de la concertation et les termes employés, que tout était déjà ficelé et que, le projet de l’État étant contradictoire avec la volonté des habitants du territoire français, il s’agit désormais de déployer une communication qui rende ce projet attractif. En effet, en mars 2019 déjà, bien avant tout soupçon de Covid, l’Atelier Urba des Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement [3] publiait La densité heureuse, un rapport qui définit quelles conditions sont nécessaires pour faire accepter le projet de densification urbaine à la population. C’est à partir de là que le terme s’est diffusé.
Mondialisation heureuse
La notion de densité heureuse nous évoque immédiatement celle de mondialisation heureuse, développée par Alain Minc en 1997 dans son livre éponyme. Et il est intéressant de comprendre dans quel cadre est née la mondialisation heureuse pour comprendre les vues de sa petite sœur la densité heureuse.
Conseiller de François Pinault, ami de Nicolas Sarkozy, membre du comité stratégique du groupe Bolloré, macroniste de la dernière heure, Alain Minc n’est pas une source d’inspiration très honnête. Président du conseil de surveillance du Monde, il est un agent de la crise que traverse le journal en 2007, dont l’objectif est une recapitalisation au profit de Lagardère SCA dont il est aussi le conseiller.
Il développe le concept de mondialisation heureuse alors que l’imposture de la fin de l’histoire [4] est contrariée par la déclaration d’indépendance tchétchène, le soulèvement zapatiste et l’émergence du mouvement altermondialiste. Alain Minc tente de relégitimer cette idée idée selon laquelle la mondialisation signifie la fin des guerres et l’amélioration des conditions d’existences. Il est aussitôt démenti par les émeutes de Jakarta, la guerre de libération du Kosovo, la révolution bolivarienne et la bataille de Seattle, entre autres. Quand on connaît les affinités d’Alain Minc, il est évident qu’à travers l’idée de mondialisation heureuse il défend son camp, celui de la finance. Nous savons très clairement aujourd’hui que la mondialisation n’a rien d’heureux, qu’elle multiplie les guerres, que les inégalités n’ont jamais été aussi exacerbées et que de nombreuses fractions humaines luttent pour l’effondrement de l’économie de marché.
Telle la mondialisation heureuse, la densité heureuse doit être vue comme une offensive politique de puissances économiques dont le but n’est autre que le profit. Que François Rebsamen soit l’agent de cette offensive n’a rien de surprenant. En tant que maire de Dijon, où s’épanouit le Quartier Libre des Lentillères depuis 11 ans, il a l’expérience d’un conflit avec un morceau de ville qui a assumé sa volonté de s’autonomiser des politiques urbanistiques métropolitaines. Et ce Rapport nous apparaît comme une pièce parmi d’autres dans une contre-attaque qu’il mène déjà localement comme contre les Jardins de l’Engrenage, le Parc Baudin-Mirande ou le Quartier Libre des Lentillères, par exemple.
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