Le vol noir des corbeaux sur la Plaine… - par Alèssi Dell’Umbria



À Marseille, la bataille de la Plaine est à peine commencée

Les médias font souvent les choses à moitié. Quand La Provence publie un article intitulé « Marseille : la bataille de la Plaine partie pour durer », elle témoigne d’un sens de l’actualité tout à fait actuel : rivé au scoop et aux manifestations explicites de ladite « bataille ». Le journal fait alors les choses à moitié car la bataille de la plaine, évidemment, dure déjà depuis plusieurs années. Sans parler de la guerre contre la gentrification des centres-villes qui se déroule depuis plus d’un siècle, un peu partout dans le monde. Couper ces batailles et cette guerre de leur histoire permet de les réduire à des conflits périphériques sans grand intérêt. Depuis plusieurs années, donc, la municipalité phocéenne entend réaménager le quartier de la Plaine et en particulier la célèbre place éponyme sur laquelle a lieu un marché plusieurs jours dans la semaine et où nombre de gens se retrouvent pour jouer avec leurs enfants, manger un sandwich ou prolonger leurs soirées.

Alèssi Dell’Umbria est l’auteur (entre autres) d’une Histoire universelle de Marseille, De l’an mil à l’an deux mille, pavé de 792 pages paru aux éditions Agone en 2006. Attaché au quartier de son enfance, qu’il n’a jamais vraiment quitté, il nous raconte ici l’histoire de la Plaine ; celle qui se joue, maintenant.

(Un site vient d’être créé qui appelle à la défense du quartier.)

Photos : Patxi Beltzaiz, Rolland Jean et Manym El.

« Qu’y pouvons-nous si les événements publics sont aujourd’hui racontés dans les journaux au lieu d’être proclamés, comme autrefois en Grèce et à Rome par des crieurs publics dans les thermes ou sous les portiques ? Qu’y pouvons-nous si les marchés quittent de plus en plus les places pour s’enfermer dans des bâtiments d’aspect peu artistique ou pour se transformer en colportage direct dans les maisons ? (…) Les fêtes populaires, les cortèges de carnaval, les processions religieuses, les représentations théâtrales en plein air, ne seront bientôt plus qu’un souvenir. Avec les siècles la vie populaire s’est retirée lentement des places publiques, qui ont ainsi perdu une grande partie de leur importance. C’est pourquoi la plupart des gens ignorent complètement ce que devrait être une belle place. »
Camillo Sitte

Nous y voilà… ce jeudi 11 octobre, à peine fini le dernier marché de la Plaine la flicaille a débarqué avec des camions chargés de buses en béton. Objectif, interdire l’accès à toute la place en vue des travaux. Mobilisés à l’appel de l’assemblée, une cinquantaine de courageux et courageuses ont bloqué le premier camion… les CRS et la BAC gazent et matraquent, les gens tiennent bon, les renforts arrivent de tout côté et c’est plusieurs centaines de personnes qui défient, ce jour-là, la mafia municipale et sa soldatesque. En fin de journée, les blocs de béton sont retirés au son des tamburelli

https://www.facebook.com/anne.puech.1/videos/10216953194852736/

La Plaine, comme son nom l’indique, est un plateau : un plan, en occitan… Lo Plan de San Miquèu, devenu la Plaine Saint-Michel… puis dans les années 1920, place Jean Jaurés mais les Marseillais continuent de dire la Plaine. Le terme désigne, au-delà de cette esplanade, tout le quartier environnant. Longtemps, il y avait le marché de gros, de minuit jusqu’à l’aube… le marché de détail, qui prenait la suite jusqu’à l’après-midi avait survécu au déménagement du gros vers le M.I.N en 1972, il n’aura pas survécu à Jean-Claude Gaudin et à sa clique de maquignons.

Un petit flash back s’impose pour comprendre les enjeux du conflit actuel. Nous n’irons pas jusqu’à ce beau printemps 1871 où les Communards marseillais campaient sur la Plaine, qu’ils défendirent âprement contre les troupes versaillaises, mais juste une trentaine d’années en arrière…

En 1986 Gaston Defferre meurt. C’était ce qui pouvait arriver de mieux à notre ville. Son successeur, Robert Vigouroux, n’était pas une lumière, mais il avait l’avantage d’être un peu fraca, comme on dit ici… il écrivait des poèmes à ses heures, et on l’avait vu parfois en état d’ivresse, ce qui changeait de ce calviniste au cul serré qui envoyait Marseille au lit à la tombée du jour. Il lâcha un peu de lest. La Plaine s’était assoupie, depuis le départ du marché de gros, seuls les dealers de poudre occupaient la place –le gros négoce des années 80’… Des rades qui vivotaient depuis 1972, des entrepôts vides, bref la place ne demandait qu’à être occupée : pour trois francs six sous on pouvait ouvrir un café-concert… Donc, les collègues ont investi les lieux… fallait savoir faire pour tenir un rade où fréquentait la jeunesse marseillaise la plus remuante. Supporters de l’OM, Redskins, bandes des Quartiers Nord, petits voyous d’en-ville, graffeurs et bikers… Ce fut le moment où une belle complicité se noua entre la génération du rock’n roll et celle du raggamuffin’ / hip-hop… Une entraide et émulation réciproque, dans un sentiment d’appartenance partagé, nous réconciliaient enfin avec notre ville. Les rescapés des années 80’ et la nouvelle génération se retrouvaient donc à la Plaine, vibrant aux mêmes rythmes. Entretemps, les dealers d’héroïne avaient dégagé, trop de présence sur la place…


Voir en ligne : Le vol noir des corbeaux sur la Plaine...

P.-S.

[Marseille] Appel à mobilisation : samedi 20 à 14h pour la Plaine !

La Plaine et sa vie de quartier mythique sont menacées par le chantier monumental qui vient d’y démarrer : 3 ans de travaux sans accès à la place, mise en danger des 300 forains qui y travaillaient et des petits commerces alentours, 115 arbres historiques voués à être arrachés, 21 nouvelles caméras installées… FÒRA SOLEAM, GARDAREM LA PLANA !

12 novembre 2018

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