À Lyon, la municipalité verte, occupée à sanctuariser son centre ville et à développer les start-ups de la croissance verte ne se positionne pas contre Bayer/Monsanto, entreprise extractiviste et grande saccageuse du monde, implantée en plusieurs endroits de son territoire. Un appel féministe à rejoindre la mobilisation appelée par les Soulèvements de la Terre le 5 mars à Lyon, à 12h30, place Valmy.
Chacun·e a pu constater que là où sont élu·es les adjoint·es à l’écologie, là où fleurissent les commissions résilience, rien ne bouge. De leur écologie ne sortent que quelques mesures cosmétiques visant à renforcer ce mensonge : la catastrophe est vivable. C’est, à Grenoble, une métropole apaisée qui cohabite avec le commissariat à l’énergie atomique. C’est, à Lyon, une mairie verte ceinturée d’usines chimiques qui héberge le siège social de Bayer/Monsanto. Ce sont ces élu·es qui, vomissant perpétuellement le discours de résilience, nous rendent co-gestionnaires du désastre. Nous refusons de croire que d’une pareille hypocrisie puisse naître une véritable écologie, c’est-à-dire la protection et la défense des liens intimes que nous entretenons avec nos milieux de vie. C’est dans la reconnaissance de ces liens que se joue l’écologie politique : en partageant la ville avec Bayer/Monsanto, nous y sommes lié·es et nous devons le combattre. Comme le dit Donna Haraway, « La technologie n’est pas neutre. Nous sommes à l’intérieur de ce que nous faisons, et c’est à l’intérieur de nous. Nous vivons dans un monde de connexions - et il importe de savoir lesquelles se font et se défont. »
Que nous enseigne le féminisme ? Il nous apprend à identifier nos ennemis intimes, à les combattre, à les défoncer.
Parce que l’analogie entre « nature » et « femmes » a pu essentialiser le vécu des femmes et exclure du débat les personnes trans ou non binaires, il peut sembler difficile de s’engager dans la lutte écologiste depuis une position féministe. Mais pour s’opposer d’une part à un certain féminisme nationaliste qui mélange lutte pour l’environnement, conservatisme, racisme et hétérosexualité naturalisée, et d’autre part aux féministes néo-libérales, partenaires de la croissance verte, les politiques de l’écologie en ville sont un champ à investir.
À Lyon, la municipalité verte, occupée à sanctuariser son centre ville et à développer les start-ups de la croissance verte ne se positionne pas contre Bayer/Monsanto, entreprise extractiviste et grande saccageuse du monde, implantée en plusieurs endroits de son territoire.
La notion d’« extractivisme » désigne les modèles de développement basés sur l’exploitation massive et industrielle de la biosphère : sols, sous-sols, minéraux, forêts, rivières, etc... Les féministes autochtones d’Amérique latine utilisent ce terme critique pour parler des violences faites à la fois à leurs territoires et à leurs corps comme une seule et même chose, un continuum de violence. Monsanto et Bayer sont des acteurs historiques de ce modèle à travers le monde et plus particulièrement dans les pays du sud. Que ce soit en Inde, au Mexique, au Vietnam ou ailleurs, les luttes pour la justice environnementale et la défense des territoires sont souvent menées par les femmes car elles sont les premières impactées. Expropriation, viols, traite humaine, meurtres, menaces, santé dégradée, paupérisation ou acculturation ne sont pas des effets secondaires de l’extractivisme mais bien les instruments nécessaires à son développement. Les luttes féministes et environnementales se révèlent de fait indissociables dans la bataille contre ce modèle.
Mais qui est donc Bayer/Monsanto ?
Bayer et Monsanto sont à l’origine des plus gros scandales environnementaux et sanitaires des cent dernières années, mais ont toujours prétendu œuvrer pour « le bien de l’humanité ». Aux grands maux du monde, ils administrent des remèdes chimiques et pharmaceutiques jusqu’à empoisonner la planète entière, très littéralement. À leur actif : les PCB, substances hautement toxiques et désormais présentes dans tous les organismes vivants du globe, le glyphosate, les OGM, mais aussi le zyklon B et l’agent orange.
Souhaitant développer ses activités dans le domaine des semences et des biotechs, Bayer rachète Monsanto en 2018. Le nom trop sulfureux de Monsanto est habilement absorbé par la filiale Bayer Crop-science. Leur slogan : « Science for a Better Life ».
Ainsi, pour Bayer, appliquer un défoliant intégral sur une monoculture transgénique, c’est « protéger les plantes », et vendre des implants contraceptifs toxiques, c’est « être au service de la liberté des femmes ». Il faut lire ce slogan paternaliste à la lumière de l’histoire passée et contemporaine de la firme. La liberté des femmes, mais pas de toutes : ainsi, en 1943, Bayer achetait aux autorités nazies 150 femmes déportées pour tester des médicaments. Aucune n’en réchappa.
De nos jours, Bayer Crop Science continue d’empoisonner des territoires dits sacrifiés avec la complicité des gouvernements. Parmi de nombreux exemples, dans les villes de Cordoba et Malvinas en Argentine, des mères s’engagent depuis des années dans des luttes très dures contre les épendages de pesticides cancérigènes et contre l’implantation de sites de production de la firme. Des luttes pour simplement rester en vie, dont certaines victorieuses. La santé des femmes, mais pas de toutes.
En fait, un bref coup d’œil aux produits contraceptifs Bayer nous révèle qu’il ne s’agit jamais d’œuvrer à la santé de quiconque. En Europe, en 2017, Bayer retire de la vente les implants contraceptifs Essure en réponse à la plainte collective de femmes dont la santé s’est dégradée suite à leur implantation. Hémorragies, paralysies, dont certaines irréversibles. Rien qu’en France, ces symptômes concernent plus de 1000 personnes, et 39 000 aux États-Unis, où la vente d’Essure continuera jusqu’à la fin 2018. Bayer invoquera des raisons commerciales au retrait du produit sans jamais admettre sa toxicité, et soldera les litiges à coup de milliards de compensation aux victimes.
Pour redorer son image, l’entreprise parraine et finance de nombreuses associations contre le paludisme, la contrefaçon de médicaments ou encore la lutte contre le cancer, maladie souvent provoquée par ses propres produits. En outre, l’entreprise siège au Global Impact, projet initié par l’ONU dont le but est d’inciter les entreprises à respecter une charte humaniste. Cette bienfaisance de façade lui permet de s’arroger le titre « d’entreprise citoyenne » en instrumentalisant au passage les luttes féministes, antiracistes, anti-validistes et en invoquant sans vergogne la « diversité » et « l’égalité des chances » comme priorités de ses DRH. D’un même mouvement, elle se présente comme seule capable de résoudre les problèmes sociaux et environnementaux qu’elle a elle-même causés.
En cette année d’élections présidentielles, la catastrophe suit son cours en arrière-plan.
Les responsables qui travaillent chaque jour à l’intoxication du monde pour en tirer d’immenses profits continuent leur œuvre dévastatrice. Or, ces responsables, êtres de chair et de sang, dirigent des entreprises depuis des bureaux faits d’un béton et d’un verre bien réels, dans des villes, des villages, au cœur desquelles iels conçoivent, fabriquent, transportent, cultivent, vendent leurs produits à l’instar de Bayer à Lyon. Dans son labo lyonnais, Bayer Crop Science crée et expérimente de nouvelles molécules chimiques pour ses traitements agricoles tout en affirmant abandonner les pesticides dans un futur proche grâce aux biotechs, à l’agriculture de précision, ou en promouvant une agriculture « décarbonée », « adaptée aux changements climatiques ». Ses cadres affinent son business-plan dans le bel immeuble vitré de son siège social national, dans le 9e. Tout un essaim de start-ups de l’agritech bourdonnent dans la région, grassement financées par la maison-mère et les plans de relance du gouvernement.
Le fantasme néo-libéral d’un individu toujours plus isolé semble s’exprimer à plein dans le mode de vie métropolitain. En témoigne le marché florissant de la livraison à domicile et de toutes les applis dispensant leurs utilisateur·ices de tout frottement à l’extérieur de la sphère privée.
De fait, les villes vertes entérinent la destruction du lien social et des relations de solidarités entre les habitant·es,
comme en témoignent les mesures qui rattachent la mobilité au pouvoir économique (zones à faibles émissions où est promulguée l’interdiction des véhicules diesel, par exemple), fameuses techniques de déplacement de la pollution en périphérie. En parallèle, elles tolèrent bien silencieusement le développement en leur sein des grands groupes de la chimie, des énergies fossiles et nucléaires, des biotechs, etc...
Les féminismes noirs enseignent la nécessité d’une politique du lien consistant, responsable et conséquent, et nous nous rallions à cette idée. La catastrophe consiste à se couper les un·es des autres, mais aussi, comme nous le démontrent avec ténacité les féministes sud-américaines, de notre territoire et du vivant en général. À la lumière de ces analyses et de ces luttes, féminisme et écologie sont bien indissociables et proposent des pistes pratiques contre le désastre et ses artisans.
C’est pourquoi il est urgent et essentiel de se battre contre cet ennemi qui détruit nos corps et nos milieux de vie, jusque dans leur interdépendance même, cet ennemi qui incarne les idéologies patriarcales, capitalistes et coloniales qui nous tuent, cet ennemi qui est aussi notre voisin relou : Bayer/Monsanto.
L’occasion nous en est donnée lors de la mobilisation appelée par les Soulèvements de la Terre le 5 mars à Lyon, à 12h30, place Valmy.
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