De Battisti aux Gilets Jaunes : la presse, la violence et le pouvoir



Le 12 janvier 2019, Cesare Battisti était arrêté par la police bolivienne. La France était à ce moment là secouée par le surgissement des Gilets Jaunes. Deux ans après, c’est l’occasion de revenir sur le traitement médiatique appliqué à l’ex-guerillero en le confrontant à celui qui traitait du mouvement social en cours.

Cesare Battisti, ancien membre des Prolétaires armés pour le communisme, considéré comme terroriste par l’État italien, a été extradé vers l’Italie le 14 janvier 2019. Après deux ans d’actions clandestines, l’assassinat d’Aldo Moro en 1978 le fait renoncer à la lutte armée. Il est tout de même emprisonné en 1979 pour appartenance à une bande armée. Deux ans après, il est condamné à treize ans de réclusions grâce aux témoignages de repentis. Il s’évade avec la complicité des Prolétaires armés pour le communisme et se réfugie au Mexique où il créé la revue Via Libre. En 1988, il est condamné par contumace à perpétuité pour l’assassinat d’un maton et celui d’un flic. Il s’installe en France en 1990, profitant de la doctrine Mitterand qui s’engage à ne pas extrader les anciens activistes italiens. L’Italie demande son arrestation, il passe cinq mois à Fresnes mais ne sera pas extradé. Il entame une activité d’écrivain à Paris.
En 2004, les services antiterroristes français l’arrêtent et le mettent en liberté surveillée. Il bénéficie du soutien de nombreuses personnalités comme le collectif du Poulpe, Fred Vargas, Guy Bedos, Georges Moustaki, Bertrand Delanoë, l’Abbé Pierre, François Hollande, Valerio Evangelisti, François Bayrou... La Cour d’appel de Paris s’apprête à l’extrader, Perben et Chirac soutiennent la décision. Battisti se soustrait à son contrôle judiciaire, reprend la clandestinité et s’enfuit au Brésil où il est arrêté en 2007. Le procureur général du Brésil prépare son extradition mais Lula s’y oppose et la Cour suprême rejette son extradition en 2011. Battisti jouit d’un permis de résidence permanente dans le pays. Il sent que le vent tourne, et il est interpellé en 2017 alors qu’il tente de se réfugier en Bolivie. Bolsonaro, qui promet de le livrer à Salvini, est élu et ordonne son arrestation. Battisti se réfugie clandestinement en Bolivie et est arrêté par Interpol le 12 janvier 2019. Deux jours après il est extradé et emprisonné à Oristano. L’événement bénéficie d’une couverture médiatique des plus dégueullases. Tous les unes saluent l’acte d’extradition, présentant l’Italie comme unie derrière sa classe politique et approuvant d’une seule voix le drame qui acte l’affreuse entente Bolsonaro-Salvini. La presse française attaque sans vergogne les intellectuels qui lui apportent leur soutien, qu’elle considère comme le mépris total des victimes et dénonce la victimisation de celui qu’elle traite de « sanguinaire ». Le tout étant appuyé par une vidéo digne des plus sales heures de la propagande fasciste.

Ça nous donne envie de relire un article de Wu Ming datant de 2004 en réaction au déchaînement médiatique qui a suivi la mise en liberté surveillée de Battisti :

Cesare Battisti, ce que les médias ne disent pas

Salvini, fier de son "petit cadeau", s’engage à chasser les anciens activistes italiens réfugiés ailleurs dans le monde. Il compte réclamer à la France une trentaine d’ anciens membres de groupes armés : « J’en appelle au président français pour qu’il extrade vers l’Italie des fugitifs, qui au lieu de boire du champagne sous la Tour Eiffel, mériteraient de pourrir en prison en Italie. » Des noms sont évoqués : Giorgio Pietrostefani, Narciso Manenti, Simonetta Giorgieri, Carla Vendetti, Sergio Tornaghi, Marina Petrella.

C’est l’occasion de réécouter l’émission La Parole Trahie à laquelle participe Cesare Battisti en 2002 à l’occasion de l’extradition du philosophe Paolo Persichetti à la demande du gouvernement Berlusconi. Malgré la mobilisation, Persichetti a été emprisonné et ce n’est qu’en 2008 qu’il a pu obtenir une semi-liberté :

La parole trahie, 9 septembre 2002

Il est flagrant de voir à quel point la presse a traité selon le même régime l’extradition de Battisti et le mouvement des gilets jaunes. Elle s’offusque de la violence des manifestants sans parler de celle des dirigeants - Macron encore se réunissait avec 150 grands patrons à Versailles courant janvier 2019 - et de leur police qui laisse des blessés à chaque blocage, chaque manifestation et fait peser sa présence sur chaque assemblée. Christophe Dettinger est en prison alors que ce salaud de Didier Andrieux continue d’exercer son métier infâme. L’assassinat d’un Lillois par la police le soir de la St-Sylvestre est passée complètement inaperçue. Heureusement, plusieurs collectifs effectuent un travail de recensement des blessés du mouvement :

La presse nous a abreuvé de mots clés censés provoquer la défiance au sein du mouvement : "ultra-droite", "ultra-gauche", "casseurs", "état de siège", "blindés", "violences", "radicalisation", ... Alors qu’il proposait un peu de justice sociale, de répartition des richesses, d’urgence climatique, ...

Battisti quand à lui n’a jamais exprimé de regrets quand à sa participation à la lutte armée. Il est désormais en réclusion à perpétuité.

Pour mieux connaître sa position, dans un texte récent, Comment j’ai été enlevé, Battisti revient sur son rapport au passé de la lutte armée et ses déclarations à la justice. Il s’exprime sans auto-indulgence et en incitant à un retour critique sur les années dites de plomb. Mais sans renier non plus l’espoir révolutionnaire qui l’a porté dans sa jeunesse.



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