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« SDAT is the question » : Refus de prélèvement ADN et répression



Comment la 18e chambre correctionnelle du Tribunal Judiciaire de Nanterre prolonge la fonction punitive de l’intervention de la Sous Direction Anti Terroriste, alias la SDAT dans des enquêtes portant sur des dégradations.

Nous étions quelques soutiens des prévenu.es réuni.es dans le public de la salle d’audience ou était jugée le 7 mai, une simple histoire de refus de se soumettre à un relevé d’empreintes signalétiques. L’issue surprenante et non moins révoltante du procès nous invite à livrer ici quelques éléments d’analyse sur les raisons qui ont motivé la décision judiciaire.

La sécurité intérieure est un champ d’expérimentation permanent. Si elle a souvent besoin de faire valoir son arsenal afin de dissuader quiconque de lever le petit doigt et peut-être encore plus à l’approche des JO, elle mène par ailleurs et en toute discrétion des expériences pour tordre les limites du droit et jouer avec ses frontières. Parmi ses nombreuses expérimentations - qui vont de la mise en place à pas forcés de la vidéo-surveillance algorithmique aux techniques de maintien de l’ordre largement décriées - il y a aussi cette manière bien à elle de dresser les services enquêteurs d’élites et leurs bras armés contre celles et ceux suspecté.es de s’organiser pratiquement contre les infrastructures destructrices. La finalité est claire : la judiciarisation à outrance du moindre délit effectué dans un cadre d’action politique.

  • Les mesures d’interdiction de territoire sont devenues, des bassines du Poitou aux autoroutes du Sud ouest, la punition presque systématique adressée aux opposant.es.
  • Aucune forme de décence n’empêche de présenter, devant un procureur du Tarn, un homme arrêté et roué de coups par la police pour avoir tenté de ravitailler les écureuils de la crem’arbre (lutte contre l’A69). Il comparaitra avec trois fractures au visage et un traumatisme cranien.
  • Des dégradations matérielles dans le cadre d’actions politiques suffisent aujourd’hui à mobiliser la Sous-direction Anti-terroriste (SDAT). Ce service enquêteur semble effectivement s’être trouvé une nouvelle vocation en devenant le bras armé de la multinationale championne de la bétonisation Lafarge Holcim.

Le 7 mai dernier, cinq personnes passaient en procès devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour avoir refusé de donner leurs empreintes digitales et leur ADN au cours d’une interminable garde à vue dans les locaux de la SDAT à Levallois Perret fin juin 2023. Il leur était alors reproché d’être des instigateurs de l’action de désarmement d’une cimenterie de Lafarge située à Bouc Bel Air en date du 10 décembre 2022.
Pendant cette longue garde à vue, les enquêteurs ne s’étaient pas privés de subtiliser par la force leur ADN, et d’en demander immédiatement leur ajout au FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques), et leurs empreintes se trouvaient déjà dans le dossier d’instruction par de simples réquisitions judiciaires ayant abouti au versement des données figurant au sein de l’ANTS (note : Agence Nationales des Titres Sécurisés, dans lequel se trouve nos empreintes digitales prélevées pour les pièces d’identités).
La question des prélèvements systématiques au cours des gardes à vue permettant de remplir les fichiers signalétiques et génétiques de la police fait l’objet d’un débat au sein même du monde de la magistrature depuis de nombreuses années.

Les uns considèrent que le fichage systématique des mis.es en cause dans des affaires judiciaires porte atteinte aux libertés individuelles les plus fondamentales, les autres pensent au contraire que n’importe quel.le citoyen.ne qui est simplement suspecté d’avoir commis un crime ou délit est tenu, au delà d’une éventuelle condamnation, de délivrer ces informations.

Pour les cinq personnes qui passaient en procès le 7 mai, le bien fondé de cette procédure menée par le parquet de Nanterre a soulevé plusieurs questions. La juge d’instruction en charge de l’enquête sur le désarmement de l’usine Lafarge n’avait pas jugé nécessaire d’engager ces poursuites. Et pour cause, elle disposait de l’ensemble des informations génétiques des mis en cause, prélevée par la ruse et la force par les agents de la SDAT pendant les gardes à vue. Le refus de se soumettre alors aux relevés d’empreintes, digitales et génétiques, n’entraînait aucune incidence sur le déroulement de l’instruction. Il apparait ainsi que le procès du 7 mai dernier n’avait donc aucune autre raison d’être que celle de légitimer l’alimentation des fichiers de police.

Ce jour là et jusqu’au moment du délibéré, tout laissait croire que l’audience allait se dérouler comme les centaines d’autres. La plupart du temps, les personnes poursuivies pour ce délit sont condamnées à une amende de quelques centaines d’euros et voient inscrite la mention du refus dans leur casier judiciaire.
Lors de la garde à vue et de l’audience, les prévenu.es avaient fait le choix d’utiliser leur droit au silence, laissant ainsi dans le prétoire leurs avocats assurer leur défense. Ces derniers, plaidant pour la relaxe de leurs clients, ont pris appui sur une jurisprudence datant de janvier 2023 de la Cour de Justice de l’Union européenne. Cet arrêt fait une stricte application d’une directive européenne qui s’impose aux Etats membres et devrait ainsi s’inscrire comme une grille de lecture adressée aux juridictions nationales. En effet, il affirme l’opposition européenne au systématisme de la collecte biométrique et génétique qui serait faite dans le seul but d’alimenter les fichiers de police, c’est à dire hors de toute nécessité liée à une instruction judiciaire. En ce sens, il fixe les conditions nécessaires permettant de condamner un refus de signalétique.

Au regard de cet arrêt, l’examen objectif des éléments du dossier aurait dû mener à la relaxe des cinq prévenus. En effet, les poursuites pour refus de signalétique n’étaient motivées par aucune demande ni nécessité absolue de l’instruction judiciaire en cours.

Dans le cadre du procès du 7 mai, le procureur n’était pas entièrement convaincu du maigre dossier qui devait motiver son réquisitoire : il avait requis pour chaque prévenu une amende de 400 euros. Jusqu’ici rien de surprenant.

Mais après avoir longuement délibéré, les 3 juges décidèrent de condamner les prévenus à des peines allant de 7500 euros à 15000 euros, soit le maximum légal encouru en terme d’amende. On saura apprécier l’exer-cice de multiplication qu’il leur a fallu faire pour gonfler le réquisitoire du procureur : 37,5 fois supérieur !

Après avoir plus qu’ouvertement décrié le droit au silence des prévenus, au prétexte de leur supposée contestation systématique de toute forme d’autorité’, ils appuyèrent leur décision par l’implication de la SDAT dans les arrestations et la tenue des mesures de garde à vue sur la commune de Levallois.

Envoûtement ou raison, si la SDAT est dans le coup, ce ne doit pas être pour rien ! Bien qu’il ne s’agisse pas de faits à caractère terroriste, les dégradations à Bouc Bel Air devaient être particulièrement grave, la preuve en est que les chefs d’inculpation brandis sont criminels. Pourtant, si les juges avaient les motifs des placements, ils ne connaissent rien des suites. Ce qu’il faut retenir finalement, c’est que quand la SDAT intervient, ça fait peur et c’est du sérieux.

Ainsi, pour des juges qui font face à un dossier vide et qui ne peuvent résolument pas s’accrocher à des arguments fondés, le spectre de l’anti-terrorisme semble suffire pour condamner et prononcer des peines d’amendes hors du commun. Les visages des magistrats affichaient alors le sentiment du devoir accompli mêlé d’une pointe de cynisme digne du républicanisme Ciotiste le plus invétéré.

Cette issue, par ailleurs consternante, soulève une question. Comment l’imaginaire de l’anti-terrorisme influence les magistrats par delà la stricte fonction judiciaire qui leur est attribuée ?

La saisie de la SDAT, au delà de permettre un déploiement débridé de moyens et de force en matière d’investigations et d’interpellations, permet de prolonger une logique politico-punitive et un dépassement du cadre du droit.

Leur première mobilisation pour une action de désarmement (décembre 2022 à Bouc Bel Air) et leur recherche apparente de nouveaux débouchés dans le champs de l’écologie n’avait pas manqué d’interroger. Mais plus récemment, en avril dernier, la SDAT a été de nouveau mobilisée suite à une intrusion (en décembre 2023) dans un autre site Lafarge dans la commune de Val de Reuil dans l’Eure. L’action s’inscrivait dans une campagne appelée par plus de 200 organisations contre l’industrie du béton et en soutien aux mis en cause dans l’affaire de Bouc Bel Air.

On parle ici d’une intrusion et d’un blocage accompagné par quelques facétieuses actions de désarmement, mousse expansive en main, et de la présence désormais courante de combinaisons blanches.
Cette fois, l’intervention de la SDAT fut justifiée par une (’soit-disant’) séquestration de quelques minutes d’un agent de sécurité. Séquestration que ce dernier réfute.

Ainsi, le 8 avril 2024, le manège se répète. Aux aurores, un lourd dispositif d’intervention arrête 17 personnes et perquisitionne plusieurs lieux arme au poing.

Huit des interpellé.es sont les heureux.ses élu.es pour un passage de 72 heures au 4e sous sol de Levalois-Perret, tandis que les autres sont répartis dans des commissariats, à Rouen et Évreux. Une petite moitié de ces personnes sortiront sans suite tandis que neuf comparaîtront le 27 juin prochain au tribunal d’Évreux pour des faits sortis tout droit de l’imagination des enquêteurs.

Si la SDAT se vante volontiers de la salubrité de ses locaux à l’allure de cellule psychiatrique, elle ne se dérange pas pour littéralement bâcler des enquêtes et arrêter au lance pierre des personnes visées la plupart du temps pour leur engagement politique, qu’il soit récent ou de longue date.

Elle s’attaque depuis quelques temps à des formes de luttes qui excèdent très largement son cadre d’intervention habituel, c’est aujourd’hui un fait notoire. Comme s’il suffisait à un ministre un peu bavard de qualifier les Soulèvements de la terre d’organisation éco-terroriste, pour qu’une unité de police judiciaire (la SDAT) s’invente un nouveau marché, et qu’en aval de la chaîne, la justice s’affole et condamne sans raison garder.

La récente, et lourde condamnation pour refus de prélèvement signalétique motivée par l’intervention de la SDAT met en évidence le risque du développement d’une justice qui juge et condamne sur la seule foi du récit aveuglant qu’on lui met sous les yeux, et des spectres que l’on convoque pour faire oublier à ses détenteurs les règles élémentaires du droit français.

Aussi, il faudra regarder avec beaucoup d’attention le procès qui se tiendra le 27 juin prochain dans l’Eure concernant l’intrusion et le blocage de la centrale à béton Lafarge de Val de Reuil pour analyser le comportement des magistrats face au récit qu’il auront sous les yeux.
Faut-il craindre (dès à présent) un nouveau glissement sourd et vicieux des formes de la répression politique, SDAT is the question ?



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