Tout de jaune vêtu !



Tous les moyens sont mis en place pour venir à bout de cet insaisissable mouvement des gilets jaunes. Et pourtant il ne montre aucun signe d’essouflement. Mais il donne l’impression de commencer à se figer. Comment continuer ? Comment faire un pas de plus, en son sein et au-delà ?

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1888 - Portrait d’Armand Roulin (V. van Gogh)

« Cette fois on est venus en famille avec des masques à gaz ! »

La pression médiatique n’aura pas suffit. Les annulations du gouvernement n’y ont rien fait. La police a désarmé les manifestants, arrêté préventivement 2000 d’entre eux et quadrillé le terrain avec le maximum de leur force. Et pourtant le soulèvement n’a pas perdu en intensité samedi dernier. On nous annonçait un dispositif record, nous avions l’impression que nous ne pourrions pas sortir un gilet jaune sans nous faire tomber dessus par une horde de flics enragés. Pourtant nous nous sommes retrouvés. Nous avons tourné autour du dispositif qui nous empêchait d’accéder au centre-ville, nous arrêtant face aux barrages de gendarmes, jaugeant la situation. Jusqu’à ce que nous trouvions une faille, que nous nous engouffrions rue de la Liberté et que même la bac doive se replier pour nous laisser accéder à la mairie. Les quelques policiers municipaux qui la protégeaient ont eu de la chance, nous hésitions encore à lancer les hostilités. Mais une fois retourné à la préf il n’y a pas fallu longtemps avant que les gendarmes perdent patience et que l’après-midi devienne riche en affrontements. La rue de la préf, la rue de Suzon et la rue Jean-Jacques Rousseau ont connu les plus belles batailles de l’histoire de Dijon. Même le 31 mars 2016 [1] la place de la République n’avait pas autant été noyée sous les gaz. Et il il fallut attendre que la nuit tombe et que la foule fatigue pour que les flics arrivent à éparpiller la manif.

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1909 - L’Amazone (A. Modigliani)

« Quand Macron dit »je ne céderai pas« , il appelle à ce qu’on s’insurge ! »

L’euphorie est encore plus grande lorsqu’on se rend compte que le rendez-vous a été marquant dans toute la France. Les médias ont plus que jamais minimisé ce qui s’est passé samedi dernier. Mais quiconque a vécu cette journée la gardera en mémoire pour ce qu’elle a su affirmer tout feu tout flamme : « On ne cédera pas à la peur. » Et les voilà qui vont jusqu’à annoncer le retour à la normale alors que la police est en train d’évacuer les barrages uns à uns. Cela ne se fait pas sans résistance, et on nous parle encore des casseurs... Le soutien, lui, est plus fort que jamais, et même dans le show-biz on se prononce en faveur des gilets jaunes, de Patrick Sébastien à Philippe Lellouche, en passant par Kaaris et Brigitte Bardot. Francis Lalanne va jusqu’à donner des concerts gratuits vêtu d’un gilet jaune. Et ça résonne ailleurs, en Catalogne, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Algérie, en Serbie, au Monténégro, en Bulgarie, en Irak, en Pologne, en Hongrie on sort les gilets jaunes et un mouvement de contestation « gilets rouges » est en train de naître en Tunisie. Craignant des débordements à l’approche de l’anniversaire de la révolution de 2011, les autorités égyptiennes restreignent la vente de gilets jaunes, désormais contrôlée par la police. Et ironie du sort, c’est Erdogan qui dénonce la violence des autorités françaises, les désignants comme « aveugles, sourds et muets ».

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1914 - Autoportrait au gilet jaune (E. Schiele)

« C’est trop tard, il fallait parler avant. »

Lundi soir Macron a tenté de nous faire peur, de nous faire pleurer, de nous amadouer, peut-être même de nous séduire, les yeux dans les yeux, ayant du mal à retenir ses mains. Il nous aura fait rire, fait pitié, énervé et nous avons finit par le laisser là où il était, nous souvenant que son seul devenir possible était la démission. Jamais il n’a remis en cause les privilèges exorbitants des riches, ceux qui ne sont soumis à aucune taxe. Il n’a même pas prononcé le mot écologie, alors que là est l’articulation du conflit. Et il a soigneusement évité de parler de la mobilisation des lycéens, dont la parole semble n’interresser personne. Il n’a eu aucun mot pour ceux qui sont tombés sous les coups de sa police, il en a même promis plus pour ceux qui continueraient de troubler l’ordre républicain. Il a donné des miettes, une hausse du smic (par la prime d’activité), un allègement de la CSG sur les petites retraites (ponctionné au contribuable), la défiscalisation des heures supplémentaires (sans coût pour les entreprises) et une prime de fin d’année (pour les entreprises qui le pourront). Nous n’y voyons que la continuité de sa politique libérale. Ces mesures poursuivront l’affaiblissement des services publics, la déterioration de l’éducation et des soins, l’épuisement de la Sécurité Sociale, le creusement de la dette de l’État. Jamais on ne s’en prend aux actionnaires, aux grandes entreprises, aux banquiers, qui sont les premiers à rencontrer Macron cette semaine pour mettre au point un plan de sortie de crise.

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1917 - Laurette au turban blanc et gilet jaune (H. Matisse)

"C’est malheureux, mais sans violence, rien ne change."

« Il y a un état d’épuisement et de nervosité très important, on est tous d’accord là-dessus. Il faut tenir toute la semaine, avec les lycéens qui se mobilisent aussi, on va pas pouvoir laisser les forces au repos. » lache le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale. En effet, depuis le 30 novembre les lycéens n’en démordent pas. Tous les jours des blocages, des manifestations, des affrontements. Et ils ne sont tellement pas prêt à se mettre à genoux devant l’état qu’on les y contraint de force, armes braquées dans le dos. Ils font face à tous les affronts. Celui des profs qui les traitent d’irresponsables. Celui de l’administration qui fait tout pour annihiler tout désordre. Celui des parents qui, tenus par la peur, mettent la pression. Celui des RG qui négocient, intimident et envoient les CRS pour débloquer quand rien n’y fait. Celui des médias qui comme d’habitude sont complètement à côté de la plaque et servent d’organe de communication à la préfecture. Et comme si cela ne suffisait pas, certains rectorats mettent la pression sur les lycéens en menaçant les parents d’élèves de leur enlever repas et internat. Tout est bon pour faire taire la colère. Rien n’est mis en place pour y prêter ne serait-ce qu’une oreille.

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1941 - Claire dans un intérieur (L. de Smet)

« On l’a pas souhaité, mais c’est la guerre ! »

Le responsable de la sécurité à Paris l’avait annoncé après le 1er décembre : « 1000 policiers de plus n’y changeront rien, ce qu’il faut c’est une réponse politique ». Après le discours foiré de Macron, il ne restait plus que la carte de la terreur à jouer pour le gouvernement face à la détermination des gilets jaunes. On nous ressort le bon vieil attentat djihadiste. On active le plus haut niveau du plan Vigipirate. On supplie de tous bords de cesser les blocages et manifestations sous prétexte de sécurité. Laurent Nunez, Nicole Belloubet, Christian Estrosi, Damien Abad, Laurent Wauquiez, Marine Le Pen, Sébastien Chenu, toutes leurs voix ne font qu’une. Seule Clémentine Autain a déclaré : « Pourquoi instrumentaliser l’événement dramatique de Strasbourg pour régler un conflit social et politique ? » Et oui, c’était bien tenté, mais encore une fois ça ne fait que renforcer la colère. Et si les gilets jaunes expriment leur solidarité avec les victime de Strasbourg, ils restent déterminés à tenir les blocages et à retourner dans la rue samedi.

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1952 - Autoportrait au gilet jaune (J. Cocteau)

« On dirait que les Français se réveillent... Et peut-être même plus que prévu. »

En ce moment il y a une convergence incroyable entre la petite bourgeoisie qui se sent proche des plus précaires, ceux qui ne peuvent plus finir leur fins de mois, les habitants de banlieue qui subissent au quotidien la pression des decks, les préoccupés de la question écologique, les lycéens et étudiants qui flippent pour leur devenir, tous ceux qui ont la rage. Il n’y a que les vieux fossiles des centrales syndicales pour encore aller négocier quelque accord avec le gouvernement. Nous vivons l’épanouissement d’un mouvement autonome, qui refuse de se faire représenter et abhorre l’idée de dialogue avec les autorités. Nous vivons la réalisation de ce mot d’ordre si souvent répété : « Zad partout ! » sur tous les ronds-points, les péages et dans chaque centre-ville la journée du samedi. Et s’il y a quelques connards qui s’en prennent à quelqu’un sous prétexte qu’il n’a pas la même couleur de peau qu’eux, c’est à nous de nous opposer à leur comportempent dégueulasse. S’il y a des réflexions de merde dans les cortèges, c’est à nous d’aller prendre la tête à ceux qui les distillent. N’abandonnons pas la partie sous prétexte qu’on ne s’y retrouve pas. Imaginons des moyens pour ne pas rester aussi statique que samedi dernier. Détournons-nous du barrage policier infranchissable qui captive toute l’attention. Cherchons les failles, prenons-nous en à d’autres symboles que la préfecture inaccessible. Mettons-nous en mouvement, rendons-nous plus mobile, moins contrôlables, créons la surprise. Inventons des formes dans lesquelles ont se sent bien au sein du soulèvement. Inspirons-nous d’autre initiatives qui ont été lancées ailleurs comme à Commercy :

L’appel des gilets jaunes de Commercy

Refusons la récupération ! Vive la démocratie directe !
Pas besoin de Représentants régionaux !

A lire sur Manif’Est

ou à St-Nazaire :

https://www.facebook.com/osonscauser/videos/289558331677442/?t=3
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1968 - Portrait d’une dame dans un éclatant gilet jaune (D. Nichols)

On ne cédera pas à la peur !
Ne lâchons rien !
À samedi !

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1993 - Autoportrait en gilet jaune (D. Haughton)

P.-S.

Le logo de l’article est une peinture à l’huile réalisée en novembre 2018 par P. Debat intitulée Gilets jaunes.


Notes

[1Le 31 mars 2016 a été une des journées marquantes du mouvement contre la loi travail. Un ancien cinéma avait été ouvert pour être occupé et son mobilier s’est retrouvé sur le boulevard en guise de barricade. Les flics n’ont pas apprécié le geste. Ils ont dispersé la manif dans les gaz et lancé une traque aux petits groupes qui essayaient de s’extraire du nuage.

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