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Une nuit à Cinco Senores



12 Novembre. Le croisement de « Cinco Señores » brille comme un champ de bataille, et de fait c’en est un. Celui-ci a été un des points où l’affrontement avec la Police Fédérale Préventive (PFP) a été le plus virulent. Aujourd’hui il continue à être un point chaud, les tirs des paramilitaires y sont choses courantes. A l’intérieur de l’APPO c’est aussi devenu un thème gênant. En effet il avait été décidé de rendre le carrefour comme mesure d’apaisement. Cependant ses défenseurs s’y opposent.

Bien qu’on la connaisse sous le nom de la barricade « Cinco Senores », il s’agit en fait de diverses barricades sur un carrefour à seulement une centaine de mètres du Campus Universitaire de l’UABJO (NDT : Université Autonome Benito Juarez d’Oaxaca). Ces barricades sont constituées de plusieurs bus mis en travers des avenues qui y convergent. Certains sont couverts de graffitis, d’autres sont complètement brûlés, squelettes muets des combats du jour des morts. Autour du rond-point se trouve « l’armement » pour la défense : des boîtes et des boîtes de soda, prêtes à être remplies et converties en cocktails Molotov, une table de matériaux pour faire des pétards, des morceaux de métal, des caddies remplis de pierres. Les « bazuqueros » exhibent leurs légendaires armes, des tubes de PVC qui leur permettent de lancer les « fusées » (cohetones) qu’ils portent sur le dos dans leurs musettes. Cette nuit, plusieurs bus de la caravane de Mexico et quelques personnes, la majorité des jeunes de l’université, sont venus renforcer la défense de cette barricade. Rapidement on leur apprend comment utiliser les pétards et les cocktails molotovs.

Incrédules, ils tiennent les bouteilles graisseuses à la main les regardants avec des grands yeux. Puis après viennent les instructions sur ce que l’on doit faire lorsqu’on leur tire dessus avec une arme à feu, comment réagir en cas d’urgence. Il est très clair que cela n’est pas un jeu pour ceux qui gardent le rond-point.

L’APPO avait décidé de donner cette position, en signe d’apaisement. Cependant, au début, les personnes de la barricade n’avaient pas été consultées. Cette position est importante pour deux raisons. Avec la barricade de Soriana, elle s’est convertie en une icône de la résistance de Oaxaca. En effet c’est ici qu’avec des pierres, des fusées et des molotovs, les défenseurs du campus universitaire ont contenu l’attaque de la PFP, obligeant cette dernière à se replier après 7 heures de combats.

L’importance de ce site n’est pas seulement stratégique, elle est aussi fortement symbolique. Réunis en assemblée, les participants de cette barricade ont décidé de ne pas la laisser. Cette décision est aussi dûe au coût élevé de sa défense. Les morts, les blessés, les séquestrés à cet endroit de la périphérie de l’université sont autant de motifs pour la garder.

« Vous savez déjà que cette barricade est la barricade de la mort ». Les visiteurs approuvent de la tête. Les compañeros ne blaguent pas. Les sicaires les ont constamment attaqués avec des fusils AK-47 et R-15. Ils circulent en camionnettes blanches ou rouges. À d’autres occasions, ils sont arrivés en taxis. A approximativement 1 kilomètre se trouve le parc de l’Amour, où la PFP a établi un campement. Cependant ils n’ont rien fait pour arrêter les incursions des sicaires. Au contraire la proximité de la PFP est un motif de préoccupation. Au parc de l’Amour plusieurs personnes ont été détenues et transportées en hélicoptère vers des camps militaires.

Certains de ceux qui défendent « Cinco Señores » sont des étudiants de l’université. Mais d’autres sont des enfants des rues. Avant l’incursion de la PFP « ils habitaient » ce croisement. Aujourd’hui ce sont ses plus féroces défenseurs. La barricade de Soriana est composée d’étudiants et de la « bande okupa » (des jeunes qui avaient décidé d’occuper un ancien commissariat de police). Ils ont tous participé aux affrontements du 2 juin. Nous sommes en train de parler de la jeunesse d’un des Etats les plus pauvres du pays, à laquelle se joignent les dépossédés, ceux qui n’ont plus rien à perdre et tout à gagner. En dessous de leurs masques improvisés on devine leur jeunesse, certains sont presque des enfants. Toutes les nuits, ils risquent de recevoir une rafale de mitraillette et pourtant ils ne doutent pas lorsqu’ils sortent de la barricade quand une voiture suspecte approche. Ils crient pour que le conducteur s’arrête et éteigne ses phares. S’il n’obtempère pas, un molotov ou un pétard explose à coté du véhicule en signe d’avertissement.

La nuit suit son cours entre soubresauts et fausses alarmes. La majorité sont des conducteurs perdus ou ivres qui rentrent chez eux. Au fond de la barricade il y a une cuisine improvisée avec du café et de la nourriture. C’est par là que se trouve la « Doctora », une des voix de Radio Universidad. Mais en ce moment, elle accomplit son premier devoir au poste de secours.

Un des moments les plus tendus fut lorsqu’une voiture blanchesans plaque n’a pas obéi aux ordres d’éteindre ses phares et de s’arrêter. Elle a reçu une pluie de projectiles, certaines pierres l’atteignirent et elle fut arrêtée alors qu’elle prenait la fuite. En fait il s’agissait de personnes alcoolisées. Elles ont été contrôlées et ils les ont laissées partir. Malgré la fermeté et la combativité de ces gardiens, aussi impressionnants qu’ils puissent être, cette situation m’a paru totalement suicidaire. Les dernières attaques ont été faites avec des armes de longues portées. Quelles chances aurait ce groupe armé de pétards et de bouteilles contre un groupes de camionnettes remplis de sicaires armés de « Kalachnikov » ?

Personne ne dort : l’alerte est constante. A la moindre alarme, tout le monde court, les bazuqueros devant, derrière eux d’autres avec des molotovs et des pertards, beaucoup de cris, il ne se passe rien, ils reviennent à leurs positions jusqu’à ce qu’il y ait une autre voiture suspecte ou des personnes qui ne s’identifient pas et de nouveau le vacarme, une fois puis une autre, c’est ainsi qu’arrive le matin et que la ville de Oaxaca commence à se réveiller, si du moins elle a pu dormir. Cette nuit a été tranquille. « On a seulement entendu des tirs du côté de Soriana, mais rien d’autre » me commente un compañero, la radio à la main.

La discussion sur le fait de rendre ou non cette barricade reflète les différences entre deux formes de faire de la politique qui confluent au sein de l’APPO, celle des leaders et de la « direction » et celle de l’horizontalité. Dans l’APPO il y a plus de 380 regroupements politiques qui, lors des 10, 11 et 12 novembre, ont cherché à consolider une organisation permanente. Créés au départ par les instituteurs sur le zocalo (place centrale), puis par des voisins en de nombreux points de la ville, les barricades sont devenues un symbole de résistance, de lutte, d’organisation, de camaraderie. Ils sont nombreux ceux qui ne veulent pas les démanteler, pour ces motifs, et bien sûr aussi pour des motifs de sécurité. "La caravane de la Mort" continue son action impunément, sans que rien ne lui coupe la route. La ville vit dans l’insécurité, les activistes et les voisins solidaires vivent sous de constantes menaces, ils sont suivis, et les disparitions continuent. Dans les rues où les barricades ont été retirées, les habitants ont été harcelés et ont été menacés. « Cinco Senores » est une des barricades les plus radicales, on y voit sur des bus tagués une pancarte où l’on peut lire :

"La barricade ne se vend pas, ni ne se negocie"

Traduit par Mik



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