Une puissante lame de fond est venue soulever les prisons de Regina Coeli et Rebibbia à Rome, Sant’Anna à Modène, Francesco Uccella à Santa Maria Capua Vetere, San Vittore à Milan, Poggioreale à Naples, Giuseppe Pagliei à Frosinone, Pagliarelli à Palerme, Torre del Gallo à Pavie, San Michele à Alexandrie, Montorio à Vérone, Nuovo Complesso à Lecce, Fuorni à Salerne, Casermette à Foggia, Billiemme à Verceil, San Donato à Pescara, Marassi à Gênes, Via Burla à Parme, La Dogaia à Prato, Casa Circondariale à Matera, Villa Andreino à La Spezia, Nuovo Complesso à Rieti, La Dozza à Bologne, Francesco Rucci à Bari …
Des fenêtres crachent de noires volutes de fumées. Des bâtiments rougeoient de l’incendie qui les dévore. Des détenus victorieux juchés sur les toits agitent au vent des tissus qui font les plus beaux des drapeaux. Des grappes de prisonniers s’échappent en se ménageant une ouverture dans un grillage. D’autres, retranchés dans un bâtiment qui constitue maintenant leur forteresse, négocient par les fenêtres. C’est la révolte. Mais la révolte c’est aussi les hélicos qui vrombissent, assourdissants, dans le ciel. Les colonnes de flics, de toutes sortent, qui prennent d’assaut le bastion insurgé. Les sirènes, les gyrophares, éclairs bleus qui se reflètent dans les fenêtres, …
Tout commence à Modène, dimanche en début d’après-midi, dans la section des détenus qui travaillent, à la prison de Sant’Anna. Le personnel a dû quitter précipitamment les lieux, deux agents de sécurité sont blessés. La prison est totalement détruite, trois épaisses colonnes de fumée noire s’en échappent. La réponse est cinglante. Les Gruppo Operativo Mobile [1], suréquipés, interviennent brutalement. Des tirs sont entendus. 6 détenus meurent. Une enquête est en cours pour déterminer la raison des décès. Très vite se rassemblent devant la prison des personnes venues manifester leur soutien à la mutinerie. La police tente de les disperser, en vain. Un bâtiment est encore tenu par les insurgés, les matons demandent aux familles des incarcérés de les convaincre de se rendre. Les solidaires de l’extérieur parviennent à parler avec les derniers retranchés. La plupart des prisonniers ont été transférés à Bologne, Reggio d’Émilie, Parme, Plaisance et Ascoli Piceno. Eux ont peur de se faire massacrer. Le soir, les flics sortent de la prison en escortant des détenus à coups de matraque. Les brancards suivent, certains chargés de corps enfermés dans un sac. Lorsque la nuit tombe les dernières barricades tiennent encore.
Mais rien n’est terminé. C’est que le soulèvement résonne, trouve des échos. Et voilà que 50 détenus s’échappent de la taule de Foggia. 30 seront rattrapés. Joyeuse escapades aux autres ! À Frosinone, une centaine de prisonniers se barricadent dans un bâtiment dont ils se sont emparés. À Palerme, les révoltés incendient draps, coussins et matelas et les jettent par les fenêtres. À Pavie, deux agents de la police pénitentiaire sont pris en otage et tabassés. Ce qui a déjà permis la libération de quelques dizaines de détenus. À Milan, une quinzaine d’insurgés ont élu domicile sur le toit de la prison qui est en train de brûler. Des manif’ de soutien émergent à Rebibbia (Rome), ou à Naples, où le tram est bloqué alors que les détenus tiennent le toit. Deux détenus meurent d’overdose à Vérone et Alexandrie après avoir dévalisé la pharmacie de la prison. Il semble que la nuit va se teindre des couleurs ocres de la révolte.
Ce fameux petit poison couronné, qui fait tant parler de lui, a des effets bien insoupçonnés. Le déclencheur du soulèvement étant la série de mesures prises pour enrayer la propagation du virus. Suspension des visites familiales et amicales en prison, révocation des médiateurs, rapatriement des détenus en semi-liberté. La prison doit devenir un vase clos, sans contacts avec l’extérieur. Les matons, eux, semblent ne pas pouvoir être porteurs et restent libres de leurs mouvements. Les prisonniers ne l’entendront pas de cette oreille ! Qui plus est parce que les raisons de la révolte sont bien plus profondes. Vogliamo la libertà scandent les détenus de Milan. Le message est on ne peut plus explicite. Il faut rappeler que, au-delà du fait que la taule soit un principe merdique, les conditions d’incarcération en Italie sont désastreuses. En 2018 un rapport du défenseur des droits épinglait le gouvernement sur divers points : surpopulation carcérale, taux de suicide élevé en prison, allongement des peines initiales, privations arbitraire pour les migrants placés en détention, violation du principe de non-refoulement des réfugiés. Il y a en Italie un peu moins de 70.000 prisonniers pour 46.904 places et en 2018, 64 détenus se sont suicidés.
Le 20 janvier, c’est au tour du Conseil de l’Europe de critiquer les conditions de détention italiennes. Il relève aussi la surpopulation carcérale, mais également les insuffisances matérielles, l’usage abusif des mesures d’isolement et les mauvais traitements par le personnel pénitentiaire. En effet, le Comité pour la prévention de la torture a relevé plusieurs cas d’extraction de détenus de leur cellule pour leur infliger des coups de pied, de poing et de matraque à l’abri des regards indiscrets. Au niveau matériel, on constate des douches délabrées, l’absence d’eau chaude, un éclairage naturel pratiquement inexistant et de la nourriture médiocre. Il faut aussi mettre en avant l’utilisation généralisée du régime carcéral 41bis qui consiste à isoler un détenu dans une cellule éclairée 24h sur 24, le faire sortir seulement occasionnellement, lui restreindre les visites et passer au crible son courrier. Autant de raisons de cramer les taules et de se faire la malle.
Nous exprimons notre solidarité avec les mutins et souhaitons que leur révolte soit féconde.
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