Sale temps pour les capitalistes : Rabasse.info rejoint le réseau Mutu pour relayer les luttes de Franche-Comté !

Échos du mouvement anti-cpe à Dijon



Après un automne brûlant marqué par une déflagration d’émeutes et de révoltes en banlieue suite à la mort de deux jeunes poursuivis par la police, la France a été ce printemps le terrain d’un long mouvement social, massif et radical.

Au mois de janvier 2006, Dominique de Villepin avait annoncé une loi dite "pour l’égalité des chances", notamment pour répondre aux émeutes de novembre : suppression des allocations familiales pour les mineurs absentéistes, possibilité de licencier sans justifications, rétablissement de l’apprentissage à 14 ans...

Quelques mois d’occupations massives des facs, d’émeutes dans la rue, d’actions directes et de blocages économiques ont fait reculer le gouvernement français pour la première fois depuis plusieurs années dans ce type de contexte (souvenirs de 1995...).

Au delà du retrait d’une loi parmi d’autres qui visait à précariser un peu plus le travail, mais dont la disparition ne change malheureusement pas grand chose à l’oppression capitaliste, le mouvement à renforcé la détermination et créé une brèche d’ampleur par ses modes d’actions et de vie collective. Un des aspects les plus enthousiasmants de ce "mouvement" contre le CPE et son monde a été la résonnance et le partage d’une critique radicale des structures de l’État et de l’économie, de la norme du travail salarié, des modèles de consommation, de croissance économique et d’individualisme libéral. La plupart des facs et de très nombreux lycées sont restés fermés pendant deux mois et plus. Comme une traînée de poudre, de ville en ville, se sont répandus des blocages de routes, de centres de tri postal, d’aéroports, de gares, de chantiers, des occupations de mairie, conseil général, Anpe, des sabotages, des déménagements d’agences d’interim, de locaux des partis politiques, des pratiques émeutières et organisation en groupe affinitaire pour agir, redécorer, casser pendant les manifs, autoréductions dans les magasins, sabotages de lignes de chemin de fer, de bâtiments, de meetings, de costumes de politiciens... Un tel soutien populaire ne s’était pas vu depuis longtemps, des solidarités se sont créées avec d’autres milieux, sans-papiers, rmistes, chômeur-euse-s, intermittent-e-s, salarié-e-s dépassant le soutien prudent des centrales syndicales. Dans nombre de ville, chaque journée était marquée par des manifestations sauvages, les soirées par des manifestations nocturnes, une partie des manifestations se terminaient régulièrement en émeutes.

Pendant qu’un premier ministre réduit à l’état de vieux disque rayé renforçait la colère quasi quotidiennement à la télévision en annônant son refus du retrait, des milliers de personnes décidaient en Ag de porter la destruction du capitalisme, l’amnistie des émeutiers de novembre, la disparition des frontières, de transformer les services d’ordre en services d’action directe ou les gazons de la fac en potager. La police française ne savait plus ou donner de la tête et un des principaux syndicats de flics a même imploré le gouvernement de lâcher et communiqué publiquement sa peur qu’une "haine massive de la police se développe dans la jeunesse" et que la situation devienne totalement incontrôlable. De fait, en comparaison à d’autres remous sociaux de ces dernières années, il était frappant de voir à quel point il y avait un accord partagé largement sur le fait que le succès de la lutte tienne à une diversité d’actions directes, de ressentir combien était revendiquée la nécessité d’un certain "illégalisme". Il était impensable de se contenter d’aller en cours et d’exprimer calmement et "démocratiquement" son désaccord en masse dans la rue, dans les défilés autorisés, aux moments autorisés pour le spectacle de la liberté de contestation. Malgré les pressions de tout part, il était clair qu’il fallait, pour faire vivre le mouvement, que le cours du quotidien s’arrête, que les facultés soient bloquées, repeintes, chamboulées, que les lycées soient bloqués et barricadés. Et c’est notamment ce blocage même du quotidien, qui a fait le sel de la lutte, dégagé du temps et de l’espace pour d’autres possibles qu’un morne enrôlement dans l’exploitation salariée et la consommation, qui a changé concrètement pendant quelques mois nos vies et bouleversé de nombreux rapports sociaux. Il en reste de multiples traces et énergies...

Bribes partielles du printemps dijonnais

Les révoltes du printemps m’ont apporté plein d’espoirs, de rages et de moments magiques. J’avais envie de partager quelques uns de mes ressentis sur ce qui s’est passé à dijon, ainsi que de raconter certaines actions. C’est fort incomplet, car je n’étais sur dijon que partiellement à cette période et n’ait entendu parler ou participé qu’à une partie des actions menées...

Occupations

  • De la fac...

L’occupation de la fac a duré plus d’un mois, elle a permis de dégager plein de temps, de complots, d’amitiés et de confrontations, de fêtes et barbecues sur le toit, d’ateliers et débats ... Elle a permis à plein de gens de se rencontrer et de vivre ensemble en brisant les cloisonnements habituels entre les loisirs, la privée, le travail, la fac... Ce contexte de lutte et de vie collective était nouveau pour beaucoup.

Les ag/point d’infos quotidiens étaient parfois enthousiasmants, intense et souvent quand même assez chaotiques..Malgré quelques efforts de formalisme, Il est indéniable que le manque d’expériences d’assemblées collectives, le star-system et le goût des syndicats pour les foules relativement malléables a entraîné des types d’ag-spectacles très chaotiques. L’assentiment ou le resentissement s’exprimaient "à l’émotion" et à l’emportée par le biais d’huées ou d’applaudissement, de processus d’humiliation ou de glorification assez agressifs et propices à assurer le règne des grande gueules, militant-e-s chevronné-e-s et rhétoricienn-e-s.

Même si, l’ambiance générale et une forte volonté d’autonomie du "mouvement" poussait les orgas traditionnelles à faire profil bas, les débats de fond et organisations d’actions se faisaient souvent aspirer par d’interminables querelles de représentations et de contrôle du terrain entre syndicalistes de l’unef de la fse ou de l’uec. Il eût été possible de réfléchir à nos processus d’organisation et d’utiliser divers outils présents dans d’autres collectifs et luttes pour amener des processus décisionnel clairs, plus d’efficacité, de participation et moins d’inégalités dans les prises de parole : petits groupes, tableaux, ordre du jours, rôle tournants, modérations visant à briser les phénomènes de spectacularisation, échanges de savoirs... On ne peut pas dire que tout cela ait beaucoup été expérimenté à dijon, dans les AG tout au moins.

Même si la présence à celles-ci s’imposait parfois, pour passer des infos, voir des gens, tâter l’ambiance ou avec un peu de dérision, "pour le spectacle", bon nombre d’actions et initiatives se sont donc organisées ailleurs et en plus petit groupe.

Et puis, ne noiricissons pas à outrance, ces ag, dans leur spontanéité même avaient parfois du bon, elles restaient un cadre précieux de débat ouvert entre personnes impliquées dans le mouvement.

  • Des lycées et...collèges...

La plupart des lycées de la ville ont été bloqué pendant plusieurs jours ou semaines. Des centaines d’ados ont connu les joies du barricadage, de la récup de barbelé et autres grillages, des promenades joyeuses, sauvages et groupées en ville, de l’illégalité, des jeux de construction et des barrages routiers devant les établissements.. Des personnes actives dans chaque lycée se sont constitué en assemblée indépendante, refusant la présence visible de représentants de syndicats ou de partis.

Les collégiens jaloux ont fini par s’y mettre aussi. Un beau matin après divers complots à base de sms et de tracts fait à la main, dans au moins deux collèges, les élèves se sont retrouvés dans la rue, ont bloqué la route, poussé des poubelles ou les ont renversé, et ont fait face au menaces de l’administration. Une banderole préparée soigneusement par un élève avec des feuilles de classe scotchées les unes aux autres et de la gouache a été accrochée aux grilles de Bachelard. Les collégiens de victor hugo épaulé par les lycéen-nes d’à côté et barrant la route devant leur collège se disaient prêt à attendre la police de pied ferme. Dans un autre collège de côte d’or, les élèves ont refusé de retourner en cours et ont entamé un sit-in dans la cour. La directrice s’est épuisé en menaces, jusqu’à appeler la police. Une escouade de policier a finit par venir en personne s’employer à rétablir l’ordre. Rien n’y a fait, les collégiens n’ont pas bougé.

Dans divers établissements l’administration a usée et abusée d’acharnements sur des boucs émissaires pour briser les rebellions. Dans un collège un jeune s’est vu menacé de renvoi jusqu’à la fin de l’année parce qu’il était considéré comme "initiateur". Au lycée privé de st-jo, un autre s’est vu dire par la direction que le lycée porterait plainte contre lui si les grèves continuaient même si lui-même était en cours. Puis il s’est vu administré deux heures de colle quotidienne jusqu’à la fin de l’année. Un guide juridique et pratique concernant les lycées a été édité et diffusé afin de mettre en confiance sur les possibilités de désobéissance et pousser à des réflexes de solidarité collective.

Actions et offensives

Pendant les premières semaines, les actions étudiantes ont été assez symboliques et théâtrales : enterrement du code du travail, semis des graines de la révolte, opérations escargot encadrées par la police, course pour l’emploi...

Et puis pour contextualiser par rapport à d’autres villes, il faut bien constater que dijon la bourgade bourgeoise a le plus souvent une culture de lutte assez molle dans le cadre des grands "mouvements sociaux" en général.

Petit à petit et comme un peu partout en France, les actions se sont pourtant ici aussi radicalisées. Elles prenaient clairement pour but de perturber, coûter de l’argent, du temps, bloquer les rouages économiques et institutionnels. La police n’était plus prévenue de ce qui se passait...

  • De manière générale le mouvement a créé un état d’esprit propice à l’illégallisme et à la combativité quotidienne face au mobilier urbains et aux institutions cibles. Il a été écho de diverses actions et équipées nocturnes à base de peinture, glue ou soudure à froid, sur le siège de l’ump, des permanences de député, ou le mac donald du centre ville. Les publicités de la fac ont commencé à être systématiquement détournées ou sabotées (apparemment ils viennent même d’abandonner un de leurs espaces publicitaires à l’expression libre).
  • Le mardi 7 mars, une contre-manifestation des Clowns Pour l’Esclavage, s’introduit dans le cortège au nom de tous les soumis silencieux, qui soutiennent le CPE. Des légumes pourris sont balancés sur la porte de la préfecture. (3 mois plus tard, lors d’un rassemblement contre les lois ceseda, nous trouvons avec étonnement 2 pieds de tomates en bonne santé poussant clandestinement dans les interstices de béton du donjon préfectural)
  • Début mars, il y a une opération de péage gratuit sur l’autoroute, pratiques héritées de 95 et du mouvement des chômeurs est organisée. Elle rapporte en très peu de temps 1500 euros pour le mouvement. Malheureusement, de sombres gestionnaires de la lutte se sont emparés de la caisse et ont choisi, au lieu de la mettre à profit pour agir et sans l’accord d’une bonne partie des gens qui avaient fait l’action, d’en reverser une grosse partie à l’université pour payer des extincteurs vidés lors d’intrusions nocturnes pendant l’occupation.
  • Le dimanche 19 mars, pendant la coordination nationale de Dijon, des journalistes refusant la décision de l’assemblée de fonctionner sans eux en cette occasion, se font sortir par la force.
  • Le 21 mars, alors que la présidence de l’université avaient décidé malgré les blocages de faire voter pour les représentant universitaires, les élections sont sabotées par divers vols d’urnes et de fiches de vote jusqu’à annulation.
  • Le 22 mars à 14h30, une quarantaine de personnes masquées s’introduisent dans les locaux de la permanence du député UMP jean-marc Nudant située rue d’Auxonne. Ils en sortent le mobilier et brandissent une banderole « Ils nous mettent dehors, chacun son tour ». Ils repartent ensuite en signifiant clairement qu’elles ne se laisseraient plus mettre à la rue ni par le CPE, ni par L’État, ni par le patronat. Les réactions s’enchaînent dans la presse locale pour dénoncer cette confrontationnalité inadmissible et dangereuse. L’ump fait une conférence de presse spéciale pour condamner l’action, le Medef compare à la "nuit de cristal". C’est l’enflammade....
  • Le 28 mars, la gare est occupée grâce à un premier détournement de parcours des grosses promenades syndicales officielles où rien n’était censé se passer, peu de temps après l’arrivée à la gare alors qu’il y avait 400 personnes sur les rails, les unefistes et autres férus d’ordre appellent les manifestant-e-s à partir parce que la police risquait d’intervenir. Tiens comme c’est étonnant quand on occupe une gare ! Ils/elles réussissent malheureusement à faire flipper une bonne partie des gens à coup de mégaphone et de grands discours. Quand la police arrive réellement, deux heures plus tard, il ne reste plus que 100 personnes, qui se sont fait vider sans sommations dans un échange de jets de pierres et de coups de matraque. Au final, 3 personnes se font arrêter par la BAC, à la sortie de la gare dont deux lycéen-ne-s et un majeur impliqué dans l’occupation de la fac depuis le début. Celui-ci prendra un mois ferme le lendemain, après que sarko ait demandé des peines de prison ferme pour les personnes interpellées lors des manifestations. Heureusement pour lui un paquet d’occupant-e-s de la fac avait constaté son implication au cours des semaines précédentes et s’étaient attaché à lui à travers cette expérience de vie commune. Ce "casseur" était plus retors à diaboliser que d’autres.

Le manque de soutien d’une partie des étudiants a choqué et créé assez vite une fracture dans l’assemblée. Certains leaders étudiants qui avaient amené à lâcher la gare, avaient par ailleurs fait passer dans les semaines précédentes sans consultations et donc sans grandes réactions, plusieurs communiqués condamnant les casseurs et tout ce qui pouvait s’apparenter à de l’illégalité ou de l’action directe lors des manifestations menées en France. Ils s’étaient notamment insurgé que les médias couvrent le premier acte de casse dans un lycée suivi de l’incarcération d’un mineur, alors que le mouvement était selon eux uniquement non-violent et pacifique. C’était alors pour s’opposer à cette vision lénifiante de la lutte et leurs dissociations incessantes que le texte Cpe : « violence », vous avez dit violence ? avaient été écrit et distribué. Ce texte démontait le mythe médiatique et gouvernemental des méchants casseurs, remettait en question les condamnations systématiques d’actions dites "violentes". Il démontrait comment le rapport de force du moment reposait notamment sur divers types d’actions offensives : illégalisme, occupations et blocages d’institutions et d’entreprise, sabotages matériels... Face aux efforts de division gouvernementale et syndicale, il appelait à une complémentarité des modes d’action et à une solidarité entre révolté-e-s.

  • Le 29 mars, un collectif dijonais de soutien contre la répression est créé suite à ces arrestations et lance un appel à une journée nationale d’action de soutiens aux inculpé-e-s, qui sera repris par l’ag dijonnaise puis porté à la coordination nationale qui choisira de relayer l’appel.
  • Le 30 mars, la chambre de commerce et d’industrie et la Drac sont occupé quelques heures lors d’une action commune étudiant-e-s et intermittent-e-s en lutte.
  • Le week-end du 1er et 2 avril, les occupant-e-s de la fac réalisent une banderole géante parcourant une bonne partie du bâtiment droit-lettre, elle annonce « il n’y a pas de méchants casseurs ni de bons manifestants juste des jeunes qui ont la rage »
  • Plusieurs manifestations nocturnes sauvages et bruyantes sont organisées. L’une d’elles est dispersée violemment a son terme par la police place Wilson. 2 policiers se prennent des cannettes et sont soit disant blessées. 2 manifestants sont arrêtés et inculpés après une garde à vue. Ils s’en tirent avec des amendes. De plus une personne est envoyée à l’hôpital par deux de ces camarades alors que les crs l’abandonne sur le trottoir après plusieurs coups de matraque : Traumatisme crânien. il tente actuellement des poursuites sans beaucoup d’espoir...
  • 4 avril "La Gare...le retour !" Une semaine plus tard, nouvelle manif unitaire. Au point d’info quotidien de la fac, il est annoncé que les lycéens prévoient de détourner de nouveau la manifestation pour occuper la gare. Un certain nombre de militant-e-s syndicaux frileux et échaudés se lancent dans des discours paralysants sur la répression policière, la nécessité de se protéger et de protéger les plus jeunes...et parviennent à un vote où il est décidé que les étudiants devront convaincre les lycéens de ne pas aller à la gare et proposent alternativement d’aller brûler des petites voitures majorettes sur la place de la république à la fin du cortège. Quelques minutes plus tard, la décision semble trop absurde et est remplacé in extremis par une décision de suivre les lycéen-n-e-s si ils/elles décident d’aller à la gare. Ouf !

Une nouvelle fois un cortège sauvage part donc de la manif place Darcy. L’entrée de la gare est déjà protégée par un rang de policier ; Une entrée alternative est trouvée derrière le quick et avant que la police n’ait le temps de réagir, des dizaines puis des centaines de personnes passent par dessus une grille. Cette fois l’occupation est massive, le sentiment de force collective est tangible. Des poutres sont mises en travers des voies, les gens s’étalent, la gare va rester entièrement bloquée pendant 5 heures. Quelques porte-paroles étudiants et syndicaux tentent bien encore régulièrement de faire partir et paniquer les gens en faisant planer l’arrivée prochaine de la police, mais cette fois la grande majorité ne les écoute pas ou les siffle, et reste sur les voies... Des guides légaux sont distribués...

Quand des escadrons de gendarmes mobiles de réserve (hé oui, des situations semblables se produisent en parallèle dans toute la france et les bleu commencent à manquer) finissent par arriver sur la route en contrebas. Un groupe de personnes courent les caillasser un peu en signe de bienvenue. Puis quand ils prennent position et se mettent en ligne arme au poing le long des quais et lancent de premières sommations, beaucoup se rapprochent au lieu de reculer et un certain nombre empoignent des pierres. Le mouvement semble avoir donné une détermination singulière et jouissive dans une ville où les manifestations de masse sont plutôt marquées depuis des années par une recherche de paix sociale autant du coté des autorités que des "contestataires". Du coup la police somme mais ne se décide pas à attaquer. Au final, alors que la nuit commence à tomber, nous constatons avec surprise que les gendarmes mobiles se retirent. Des "porte-paroles" ravis informent alors que des négociations ont été menées avec la préfecture et que les policiers acceptaient de se retirer pour autant que les manifestant-e-s le fassent aussi. Cette nouvelle magouille dans le dos des personnes présentes et à priori contre la volonté de la majorité finit par parvenir à jeter un trouble et briser l’unité...quelques personnes s’en vont puis d’autres de manière croissante afin de ne pas se retrouver trop peu quand la police reviendra. Malgré la satisfaction d’avoir tenu aussi longtemps, au retour beaucoup de petits groupes épars partagent aussi leur frustration de cette ultime manipulation. Dans le bus, quelques étudiant-e-s issus des banlieues du coin enragent « ben nous c’est notre quotidien de nous faire frapper et harceler par la police... Pour une fois qu’on les tenait... la prochaine fois on se fera pas avoir, on frappera en premier ! »

  • Lors de cette même manifestation unitaire du 4 avril, un bloc masqué est créé. Une trentaine de personnes habillées de manière fantaisistes et le visage couvert parcourent la manif en groupe avec des caddies magiques. Ils font des blagues, se protègent les un-e-s et les autres et redécorent les murs de la ville, des panneaux publicitaires, des vitrines de magasins et des distribanques avec des affiches, pochoirs, bombages.... Suite à ce premier bloc, de plus en plus de gens vont se masquer dans les manifestations pour agir ou par solidarité avec ceux qui agissent.
  • Le jeudi 6 avril, un chantier Bouygues est occupé à Dijon, mettant les ouvriers ravis aux chômage technique aux frais du patron. Deux immenses banderoles sont déployées sur la grue et appellent à « bloquer l’économie » et « libérer les inculpé(e)s ». Un tract distribué au sol précise entre autres « La coordination nationale étudiante a appelé cette semaine à une journée nationale d’actions de soutien aux inculpé-e-s. Si nous avons choisi dans ce cadre de bloquer un chantier Bouygues, c’est parce que cette multinationale se nourrit de la répression et de la mise en place d’une société sécuritaire en construisant des prisons et des centres de rétention pour sans-papiers. D’ailleurs les Hotel Ibis sont couramment utilisés comme geôles pour les expulsions de ces derniers. (...) Nous ne laisserons pas l’État et les médias diviser le mouvement en faisant le tri entre les "bons" et les "mauvais" manifestantEs, entre "jeunes des banlieues" et "lycéenEs/étudiantEs". Nous ne laisserons pas nos compagnon-e-s de lutte aux mains d’une institution carcérale qui ne fait que détruire, humilier et distiller la peur. »

La police est sur place depuis un moment...et ne peut rien faire. Elle se contente d’attendre les bloqueur/euses. Le même jour, à quelques centaines de mètres, une manif lycénne et étudiante était organisée à 15 heures place de la république. Au bout du boulevard, les manifestant-e-s voient les deux banderoles géantes couvrir la grue de 30 mètres. La manif se rend alors au pied de la grue pour aller soutenir les occupant-e-s bien que certains des militants Unef locaux appellent à respecter l’itinéraire déposé en préfecture.

La police bloque l’accès au chantier dans le but de contrôler les occupant-e-s à la redescente, mais des manifestant-e-s entrent dans le chantier et forment un long couloir reliant hermétiquement la grue à la manif. Une dizaine de formes humaines masquées se faufilent entre les gentes. La police n’aura pas un nom, ni un visage. La manif repart alors de plus belle.

Pendant la manif, de faux agents de services d’ordre parodient le vrai en criant « laisser passer, c’est la police », « tous tous ensemble bêêê », « à ceux qui veulent précariser les jeunes, les jeunes répondent action directe », « S.O. S.O. S.O.cisson », incite les gens à rentrer dans les galeries lafayette, leur reproche de prendre le risque de décridibiliser le mouvement parce qu’ils cueillent des fleurs...

  • Le vendredi 7 avril, le président des ANPE de France, bon pote à villepin, fan du cpe et en visite dans l’agence majeure de Dijon se voit recevoir une charmante substance rougeâtre et huileuse sur son joli costume trois pièces. Ces deux alcolites sont victimes des giclures collatérales... Passé l’effet de surprise et comme la discussion pré-giclade ne menait à rien, les syndicalistes, étudiants, salariés et intermittents présents s’avèrent après coup assez contents de cette petite intervention qui brise la parodie de dialogue ; on entend même de la bouche d’un syndicaliste « c’est des pierres qu’il aurait fallut lui jeter ».
  • Le vendredi 7 avril, une manif de soutien aux inculpé-e-s est organisée devant la prison, deux cent personnes de diverses organisations de gauche sont présentes et ça fait plaisir de voir que divers gens se bougent quand même sur ce sujet.
  • Le samedi 8 avril, la grande porte de la préfecture est redécorée de messages de solidarité "étudiant-paysans" pendant une manifestation de la confédération paysanne contre les ogm.
  • Le lundi 10 avril, chirac annonce le retrait du cpe. Un ag pour voter la continuation ou la fin du blocage était prévue ce jour là. Plutôt dans la journée la coordination nationale étudiante de lyon appelle à renforcer les blocages économiques et autres actions au moins jusqu’à l’abrogation de la Loi sur l’Égalité des Chances, rappelant que cette revendication est portée massivement un peu partout en France depuis plusieurs semaines.

L’ag est suivie massivement et l’on se rend compte que beaucoup plus de gens que ce que l’on pouvait escompter dans ce contexte, ont envie de continuer. Les deux milles personnes présentes sont super divisées. Malgré tout, à la fin de cette journée et comme dans beaucoup d’autres villes, les anti-blocages l’emportent (la fac était de fait débloquée depuis déjà quelques jours, mais le blocage pouvait être revoté à ce moment là). Le bureau du doyen de l’université se fait occuper, il refuse de banaliser les journées de manifestation, se fait insulter... Le groupe des bloqueur-euse-s va continuer pendant encore une dizaine de jours à se retrouver quotidiennement à la fac pour des débats polémiques et souvent interminables. Beaucoup de celleux qui trouvent absurde de s’arrêter maintenant se sentent parallèlement pris au piège d’avoir axé depuis le début sur le vote comme condition du blocage. Ils/elles ne se sentent pas de trahir maintenant la ligne politique qu’ils/elles ont suivi jusqu’alors et préfèrent continuer les actions autrement. D’autres sont prêt à tenter toutes les magouilles possibles et imaginables pour sauvegarder une façade démocratique mais arriver à "truquer" de diverses manières des votes pour refaire passer un bloquage. Certain-e-s enfin refuse les manipulations médiatiques et gouvernementales visant à faire accepter l’idée de retour nécessaire à la normale. Ils/elles sont prêt à assumer à continuer le blocage de force, que celui-ci soit revoté ou non, se sentant encore assez nombreus-e-s et sûres des idées qu’ils veulent porter pour continuer à les faire entendre en bloquant le bon fonctionnement des institutions. Sans nier l’importance d’un soutien populaire quelques un-e-s rappellent que l’histoire des luttes ouvrières et syndicales, de la résistance, des mouvements sociaux en général a été porté par des personnes qui ont choisi d’aller à contre-courant et de pousser le conflit social dans des sociétés dites "démocratiques" où une "majorité" silencieuse se résignait souvent à se laisser exploiter ou à laisser d’autres l’être.

Les débats sont chauds. Néanmoins, il est clair qu’un tas de personnes voudraient continuer à remettre en cause le systême économique au-delà du cpe. Pleins de gens autour de nous, sont déprimés de retourner en cours et de perdre les force collectives, créatives et la plongée de quelques semaines dans un dépassement joyeux du quotidien. Ils/elles se soumettent à reculant, impuissant-e-s face à la force de frappe médiatique, syndicale et au sentiment imposé de n’être plus légitimes à lutter, malgré tout le désir présent, puisqu’il a été décidé, déclaré que c’était "fini". Malgré la force et la détermination données par plusieurs semaines de lutte, il est terrible de ressentir la force de la soumission intégrée au discours institutionnel, surtout à partir du moment où l’on perd la base d’occupation qui permettait de manière égalitaire aux étudiant-e-s de ne pas avoir peur de s’absenter des cours puisque personnes n’y allait. Il y a à partir de là de moins en moins d’actions et d’initiatives.

  • Le 12 avril à 15h a lieu à Dijon une manifestation d’encore environ 500 personnes, principalement des lycéen-n-e-s et étudiant-e-s. Les syndicats de salarié-e-s ont lâché l’affaire après la dite "victoire". La manif commence par un traditionnel sit-in devant la préfecture avec distribution d’un texte il faudra plus d’un retrait pour avoir la paix. Un cortège se forme, puis est rapidement dévié par l’annonce que le Conseil Général, non loin de là, est occupé par une quarantaine de personnes qui en bloquent les entrées. Tout le monde se met alors à courir pour envahir le bâtiment, ne laissant pas le temps à la police d’ intervenir.

Le Conseil Général a de multiples raisons d’être choisi pour cible (voir tract). Il est présidé par Louis de Broissia, sénateur UMP, bien connu pour son conservatisme et pour son soutien inconditionnel au CPE et plus généralement à la Loi sur l’Égalité des Chances qui prévoit que le Président du Conseil Général ait pouvoir de sucrer les allocations familiales en cas d’absentéisme et d’obliger les parents à des stages de rééducation.

De Broissia est par ailleurs associé activement à tous les travaux actuels (rapports Bennisti, Hermange, rapport Inserm...) sur la prévention de la délinquance qui visent à criminaliser les populations les plus fragiles et défavorisées : construction de 7 prisons pour mineurs, dépistage des troubles du comportement avant trois ans, policiers, contrôles biométriques et vidéosurveillance à l intérieur des établissements scolaires... Assez rapidement le chef de cabinet de M. de Broissia vient essayer de négocier. Il tente maladroitement d’embrouiller les gens en leur expliquant sous les huées qu’ils/elles sont mal organisées et que leur revendications ne sont pas claires. L’assemblée unanime exige que M. de Broissia s’engage à ne pas supprimer d allocations familiales. M. de broissia siégeant au sénat ce jour là, un fax lui est envoyé. La majorité des personnes souhaitent alors continuer l’occupation dans l attente d une réponse. Pendant ce temps, diverses personnes interviennent sur le rôle du Conseil Général et les politiques suivies par Louis de Broissia.

Comme la réponse tarde à arriver, un jeu de sculpture collective géante est lancé avec les sièges, tables, mobiliers, panneaux et plantes vertes du Conseil Général, suivi de parties endiablées de 1,2,3 CPE (les gens qui bougent ont perdu et ceux qui ne bougent pas aussi) et autres Medef glacé.

Régulièrement, notre chef de cabinet revient à la charge pour se voir refuser toutes ses propositions par l’assemblée, insensible à ses talents de communication. Peu à peu, des policiers et gardes mobiles se regroupent au deux entrées du bâtiment, se préparant lentement à intervenir.

Après environ 3 heures d’occupation, une réponse de Louis de Broissia arrive par fax live from the sénat, il nous propose, soit d’accepter une rencontre entre lui et une délégation de 5 personnes dès le lendemain, soit de nous faire expulser immédiatement par les forces de l’ordre pour mettre fin à une occupation jugée intolérable et menaçante pour la démocratie. Il essaie au passage de nous culpabiliser de porter atteinte à un lieu entièrement dédié aux personnes les plus vulnérables. La bonne blague...

Suite à cela, la police nous laisse 15 minutes avant d’évacuer. Nous prenons néanmoins le temps d un débat. La proposition du sénateur conservateur est jugée satisfaisante par une partie des personnes présentes, notamment du collectif anti-délation qui s’étaient vu refuser plusieurs fois des demandes de rendez-vous pour aller houspiller le sénateur. D’autres sont d’avis que ce type de rencontre est plutôt inutile et ne sert qu’à légitimer les dirigeant-e-s, leur permettant de faire croire qu’ils sont ouvert-e-s au dialogue. Même si l’assemblée est assez partagée sur la pertinence de l entretien, tout le monde semble au moins s’accorder sur la nécessité de continuer ce type d’actions de pression et d’occupation. Finalement un sondage rapide fait opter pour une sortie collective et un retour en cortège au centre-ville. On a su après que cette action avait mis le sénateur dans la plus haute fureur et qu’il s’évertuait à pourchasser les coupables.

  • Le mercredi 12 avril 2006 à Dijon, une cinquantaine de personnes se retrouve sous la pluie, place Darcy, à 8h du matin, pour une action de blocage économique et d’information sur la continuation du mouvement. Il y a des lycéen·ne·s, des étudiant·e·s, des précaires solidaires.Les manifestant·e·s se rendent en zone industrielle de Longvic en bus gratuit (personne ne paye, le groupe écartant toute possibilité d’embrouille par sa solidarité active en cas de contrôle), revendiquant en acte la gratuité des transports. L’objectif : bloquer le centre de tri postal. Cette cible a été choisie dans diverses villes partant du principe que l’acheminement courrier est un des rouages clés de l’économie et du fonctionnement de nombreuses entreprises.

Un stock de palettes & un chantier situés à proximité sont immédiatement mis à profit pour constituer une barricade devant les grilles du centre de tri, et une banderole "il faudra plus qu’un retrait pour avoir la paix !" est déployée.

Au bout d’une heure de blocage, il semble que ne restent guère que des employés en fin de service attendant de rentrer chez eux, et le groupe décide alors de lever le camp. Une petite dizaine de véhicules de livraison auront été bloqués.

Notons que la distribution de tracts aux employé·e·s travaillant à l’intérieur aura été empêchée par un directeur zêlé, qui essaiera plusieurs fois de forcer la barricade, se plaindra beaucoup du fait que les manifestant·e·s soient masqué·e·s, et finira, au départ du groupe, par enlever les palettes une à une, sous les applaudissement de quelques manifestant·e·s s’adressant ainsi aux ouvriers : « profitez de la pause, pour une fois que vous voyez le patron bosser ! ».

Le groupe se recharge alors en palettes en chemin, suivi par deux motards de la police qui ne semblent pas bien comprendre ce qui se passe, et poursuit sa route en direction du principal rond-point de Longvic. Là-bas, trois barrages filtrants sont mis en place avec les palettes et grilles métalliques transportées. Plusieurs centaines de tracts sont distribués aux automobilistes, des discussions engagées. Malgré les quelques chauffards qui tentent de forcer le passage, les échanges vont bon train, et l’on sent l’intérêt des gens, qui gratifient régulièrement les manifestant·e·s de mots de soutien.

  • Dans la nuit du 30 au 31 mai, les plaques d’une dizaine de rues djonnaises ont sont remplacés par des copies couleurs rouges et noires reprenant les noms de révolutionnaires et d’acteurs de mouvements sociaux.
  • Le 1er mai, un bioman bloc (divers gens divergeant dans le choix de la couleur kitsch année 80 uniforme et du masque qui les recouvrent, mais unis dans l’adversité) apparaît, repeint une nouvelle fois les murs de la ville avec du slogan contre l’exploitation salariée et le capitalisme, et s’attaque au publicité. Les flics en civil ne s’attendent pas à ça du gentil défilé syndical annuel, et mettent un peu de temps à réagir. Ils essaient de pointer des gens et de faire des arrestations, mais tout le monde a eu le temps de réenfiler ses habits civils et une bonne partie des gens du cortège se montrent attentifs et solidaires.

Voilà pour quelques épisodes de la période dite du "mouvement anti-cpe" à dijon... Pour se rappeller et surtout pour continuer...



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