Note de la modération : cette gazette est entièrement reprise du site « ladeviation.com ».
La Gazette des confiné·es est un collectif ouvert d’ami·es basé·es entre autres à Nantes, Tours et Paris qui souhaitent mutualiser la prise d’informations portant sur la crise du Covid-19 sur internet afin de ne pas rester chacun·es de son côté isolé·e face aux écrans et de nous libérer du temps pour faire et penser à autre chose. La gazette paraît une fois par semaine sur le site La Déviation et le réseau Mutu.
Refusons le retour à la normale, rejoignons les luttes féministes
Des voix féministes s’élèvent pour revendiquer un nouveau rapport au monde dans cet après-confinement. Une première tribune, relayée sur de nombreux sites Mutu, appelle ainsi à un plan d’urgence féministe. Cette tribune montre à quel point les revendications féministes, anticapitalistes et solidaires sont à même de participer à des transformations écologiques, sociales et économiques nécessaires, et de participer à la lutte contre les rapports de domination, d’oppression et d’exploitation de notre société. Elle appelle ainsi à une journée de mobilisation le 8 juin, trois mois après la journée du 8 mars.
Une autre tribune prend l’angle de l’éco-féminisme. Les signataires affirment que l’émergence du coronavirus est le résultat d’une exploitation industrielle et capitaliste de la nature et nous rappellent que ce sont majoritairement les femmes qui sont exposées dans la crise. Depuis la perspective éco-féministe, les autrices invitent ainsi à la construction d’un monde qui ne nous détruirait ni nous humain·es, ni les autres êtres vivant et notre environnement.
Ces tribunes paraissent aujourd’hui pour faire porter des voix qu’il est souvent difficile d’entendre tant notre monde reste un monde d’hommes blancs. Les luttes et réflexions féministes ne sont sont pas arrêtées pendant le confinement. Tout autant que d’autres domaines en lutte, des groupes ou individu·es féministes ont produit des réflexions sur la situation des femmes, des trans’, des queers ... Comme par exemple les nombreuses émissions de radio regroupées sur Radiorageuses (et notamment le podcast de Détournement féministe en local sur Tours). On peut citer aussi cette analyse sur le féminisme de la crise très documentée et retranscrite depuis une émission de radio, qui aborde les nombreuses conséquences du confinement pour les dominé·es de notre société. Plusieurs pistes pour des actions féministes sont proposées comme repenser le soin ou repenser la peur.
Dans d’autres contextes, la lutte continue comme celle des femmes de chambre des hôtels du groupe Accor en Île-de-France qui avaient débuté une grève en juillet 2019. Les femmes de chambre sont toujours déterminées à se battre pour leurs droits et luttent aussi à Marseille comme le montre un témoignage de huit d’entre elles. Construire à partir de ces vécus semble essentiel et, au sein de l’université, une contribution collective propose un retour sur les pratiques qui ont été adoptées pendant le confinement au sein de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, afin d’en faire un outil réflexif et une mémoire pour la suite.
L’extrême droite est-elle en train de gagner l’hégémonie culturelle ?
Les pays dirigés par des partis d’extrême droite se multiplient : Brésil, États-Unis, Hongrie, Inde, Italie, Israël, Pologne, Turquie... Mais on ne peut se contenter de regarder ces victoires électorales pour visualiser l’avancée de l’extrême droite. Face à une remise en question du régime politique actuellement dominant, le néolibéralisme [1], c’est tout le bloc bourgeois dominant qui se rapproche de positions extrémistes sur l’immigration, la sécurité, etc.
Ainsi, Macron s’est fait élire grâce au barrage contre l’extrême droite alors qu’il s’est rapproché de cette dernière sur de nombreux sujets. Dans les exemples récents, on peut citer le passe-droit qu’il a donné à la réouverture du Puy-du-fou, parc d’attraction qui promeut une vision de l’Histoire particulièrement réactionnaire, ou son appel à Zemmour, idéologue nauséabond, pour l’assurer de son soutien.
Et ce n’est pas seulement à la tête de l’État que l’on se droitise fortement. Il est connu qu’une large partie de la police vote à l’extrême droite et l’actualité est remplie de violences policières racistes. Un article récent documente la prolifération des symboles extrémistes sur les uniformes ou dans les locaux de la police. La récente polémique médiatique sur les propos de Camélia Jordana illustre bien le déni médiatique et politique de ces réalités.
Pendant la crise du Covid-19, l’extrême droite institutionnelle et médiatique s’est rangée unanimenent derrière le populisme de Raoult et de l’hydroxychloroquine ; Valeurs Actuelles y a consacré une cinquantaine d’articles, Gilbert Collard a eu plus de 500 000 vues dans une vidéo complotiste à ce sujet et Marine Le Pen a défendu également ce médicament.
Pourtant, il est tout à fait possible que cette défense de Raoult ne soit pas retenue contre l’extrême droite : elle est loin d’être la seule à l’avoir fait et elle a suivi un large mouvement populaire extrêmement présent sur les réseaux sociaux, comme l’affirme une enquête de France Info. Mais est-ce que l’extrême droite s’est rangée derrière l’hydroxychloroquine par opportunisme politique ou a-t-elle suffisamment d’influence sur les réseaux sociaux pour avoir contribué à l’essor de ce mouvement ?
Car l’influence culturelle de l’extrême droite se ressent sur la toile : elle compte de nombreux médias assez consultés même s’il est difficile se fier aux statistiques d’audience sur Internet tant elles peuvent être manipulées. L’ouverture d’un nouveau média d’extrême droite comme celui d’Onfray, évolution logique de sa trajectoire de radicalisation, fait la une de nombreux journaux...
Mais l’extrême droite n’est pas seulement médiatique ou politique, elle s’appuie sur des militant·es de terrain organisé·es en groupes fascistes extrêmement dangereux : récemment, on peut parler de l’attaque de radio associative près de Saint-Étienne et d’un local associatif à Montpellier.
Si en France les derniers meurtres commis par l’extrême droite remontent à plusieurs années (Clément Méric en 2013 et Hervé Rybarczyk en 2011), de l’autre côté du Rhin, une recrudescence inquiétante des aggressions, attentats et assassinats (avec préméditation) commis par des néo-nazis contre des personnes d’origine extra-européenne ou des élu·es favorables aux migrant·es, a défrayé l’actualité ces derniers mois.
De nombreux groupes antifascistes font un travail de fond remarquable pour identifier ces militant·es, trouver leurs lieux de rassemblements, les liens qu’iels ont entre elleux. Un exemple récent : un groupe antifasciste lyonnais a publié récemment une enquête détaillée sur le nouveau local fasciste à Lyon, Terra Nostra, qui s’est ouvert sur les cendres du Bastion social, organisation fasciste interdite par l’État en 2019.
En Bretagne, les journalistes se rebellent contre la censure politique des agroalimentaires
Parmi la flopée de tribunes sur le « monde d’après » qui remplissent les pages opinion des journaux, l’une d’elles n’était pas prévue au programme. Plus de 350 journalistes se lèvent contre l’omerta qui règne sur les questions agroalimentaires en Bretagne. Adressée au président de région, elle pointe en creux les trusts qui asservissent les agriculteurs, le rôle d’auxiliaire de police assumé par le FNSEA mais aussi les chefferies qui plient devant l’adversité.
« Pour le respect de la liberté d’informer sur l’agroalimentaire », tel est le titre de la lettre ouverte publiée lundi par Mediapart. Le président PS du conseil régional de Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, et ses vice-présidents chargés de la culture, de l’agriculture et de les langues de Bretagne sont destinataires de ce courrier cosigné au 28 mai par 350 journalistes.
La démarche est rare dans cette profession fragmentée, d’autant plus qu’elle associe des plumes de médias locaux et nationaux. A de rares exceptions près, les noms connus du grand public s’abstiennent de tout soutien, tandis que nombre de pigistes prennent le risque de se griller auprès des employeurs.
L’initiative revient d’ailleurs à de jeunes journalistes de Bretagne, déjà confronté·es au mur dressé par les industriels et parfois même à des intimidations. C’est la révélation d’une série de pressions subies par l’autrice de la bande dessinée « Algues vertes : l’histoire interdite » qui a servi d’étincelle.
Ses 46.000 exemplaires écoulés la placent en position confortable pour apporter la contradiction aux tenants du « modèle agricole breton ». A condition ne pouvoir s’exprimer ! Ainsi, le Salon du livre de Quintin l’a rayée de sa liste d’invités. Sa présidente était candidate aux municipales en compagnie de Jean-Paul Hamon, salarié de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor (FDSEA) et du fils du « député des cochons » (LR) Marc Le Fur. Une pure coïncidence épinglée par Le Canard enchaîné.
Plus aimable encore, le patron guingampais Jean Chéritel la poursuit en diffamation pour quelques lignes au milieu d’une enquête révélant un trafic de tomates francisées. Affaire pour laquelle le légumier finit par être condamné en novembre dernier, un an après un précédente peine pour le travail dissimulé d’intérimaires bulgares.
Ces ennuis judiciaires motivent début mai la création d’un comité de soutien constitué de militant·es, scientifiques, élu·es et autres auteur·ices réuni·es par la cause écolo. Leur tribune publiée par Libération révèle qu’une maison d’édition a préféré renoncer à une publication de la BD en breton. Les faits sont confirmés par le président de Skol Vreizh, qui confie à France 3 que son association a jeté l’éponge « d’une part pour des raisons économiques », mais aussi « par crainte pour leur subvention, du fait de l’influence au sein du conseil régional de personnes en charge de l’agriculture ».
Le chef de l’exécutif et ses vice-présidents se défendent de toute intervention directe, ce qui est d’ailleurs fort probable tant la longueur de la laisse semble intériorisée par les acteurs qui dépendent de subventions publiques. Cette ultime preuve d’auto-censure n’en déclenche pas moins l’initiative des journalistes, soutenue par les trois premiers syndicats de la profession ainsi que plusieurs clubs de la presse dont celui de Bretagne.
Il est trop tôt pour qualifier cette affaire de tournant, mais incontestablement les langues se délient. Des journalistes de France 3, Ouest-France et Le Télégramme conviennent publiquement « qu’il est difficile d’informer correctement sur l’agroalimentaire », que « des articles sont censurés et des sujets pas abordés de peur de fâcher les annonceurs ». Mais censurés par qui, si ce ne sont les hiérarchies ?
Si la région peut facilement répondre aux demandes plutôt sages qui lui sont formulées - ce à quoi elle s’emploie d’ailleurs en gardant probablement un œil sur le calendrier électoral -, le plus dur reste à venir : dévoiler les dessous d’un système qui exploite la terre et les travailleur·ses. Mettre à nu ses circuits de financement, ses réseaux politiques et ses arrangements avec le droit du travail.
Fervente porte-étendard du productivisme depuis l’après-guerre, la FNSEA n’a pas l’intention de rendre les armes. Fière d’avoir installé dans le débat l’idée que les journalistes se livreraient à un « agribashing », elle a obtenu du gouvernement la création d’observatoires départementaux pilotés par les préfets et même la création d’une cellule de gendarmerie nommée Demeter chargée de la surveillance des « menaces émanant de groupuscules hostiles à certains secteurs d’activité agricole ». Celle-ci amalgame explicitement les actions d’associations antispécistes comme L214 ou DxE aux vols d’engins, dans une pure logique de criminalisation du militantisme.
Pas question de laisser filmer impunément des cochons cannibales, des fois que les images du JT coupent la faim à quelques consommateur·ices devant leur plateau de charcuterie ! Et tant pis si cela répond au droit d’être informé des citoyen·nes !
Dans ce clair-obscur décidément rempli d’uniformes, des initiatives bienvenues et plus franchement espérées sont malgré tout de nature à établir un rapport de force. En phase avec des aspirations exprimées chaque jour plus fort dans le pays, cette lettre ouverte de journalistes a collecté en quelques heures pas moins de 31.000 signatures de soutien. Un encouragement à persévérer.
Utilisez votre coup de pouce vélo chez votre atelier de réparation solidaire local
Le gouvernement donne un chèque de 50 € par vélo utilisable pour acheter des pièces indispensables du vélo et/ou payer un·e réparateur·ice de vélo pour la main d’œuvre. La Gazette a testé comment ça marche et vous conseille d’en profiter pour financer les ateliers vélo d’auto-réparation locaux ! Vous aurez malheureusement besoin d’un téléphone portable et d’une pièce d’identité car on n’arrête pas le flicage...
Première étape : se préinscrire sur le site de coup de pouce Vélo. Un numéro de téléphone est indispensable et vous devez donner à ce moment votre identité.
Deuxième étape : prenez rendez-vous à votre atelier de réparation solidaires favori. On peut consulter le site de l’Heureux Cyclage qui a une superbe carte des ateliers participatifs et solidaires. Demandez en passant si vous pouvez utiliser le coup de pouce vélo à cet atelier.
Troisième étape : allez à votre rendez-vous et réparez votre vélo avec l’aide des personnes présentes. Développez en passant votre « vélonomie » c’est-à-dire votre autonomie dans l’entretien et la réparation de votre vélo.
Quatrième étape : pour payer l’adhésion (si vous n’êtes pas déjà adhérent·e), les pièces et la main d’oeuvre, utilisez votre chèque en donnant le numéro de dossier à l’atelier. Iels prendront en photo votre vélo pour assurer que vous n’utilisez pas deux chèques pour le même vélo à deux endroits différents et noteront votre nom. Vous recevrez alors par SMS un code de confirmation que vous devez donner à la personne gérant l’atelier et c’est ensuite fini !
Notons le problème suivant : vous ne pouvez utiliser votre chèque qu’en une fois et seulement jusqu’à décembre : cela n’est pas très pratique si vous voulez faire plusieurs petites réparations ou acheter des pièces à un endroit différent de là où vous voulez réparer votre vélo. Et sachez que vous ne pourrez pas utiliser votre chèque pour acheter des casques, gilets, lumières amovibles ou antivols.
Vous trouverez plus de détails sur le wiklou, le wiki francophone du vélo à la page Coup de Pouce Vélo.
Les mathématiques au secours des municipales
Les articles scientifiques qui arrangent le pouvoir ne tardent jamais à se retrouver placardés dans la presse « mainstream ». Le dernier en date est un article de statistiques (en anglais) supposé prouver que les municipales n’ont pas eu d’impact sur la diffusion du Covid, à partir des chiffres de participation. Le Monde, Le Parisien, RTL, 20 minutes, l’Express et biens d’autres y ont consacré un article.
Mais comment les auteurs de cette article arrivent-ils à cette conclusion ? Ils remarquent statistiquement que, parmi les départements les plus atteints, ceux dans lesquels la participation a été haute n’auraient pas eu plus d’hospitalisations après l’élection que les autres départements.
Mais, outre le fait qu’il soit assez hasardeux de comparer des données venant d’hôpitaux différents alors qu’au début de la crise du Covid-19 chaque établissement faisait un peu « à sa sauce », hospitalisant ou non les malades selon le nombre de lits disponibles ou des critères de gravité non standardisés, il ne faut pas oublier que la participation aux municipales est liée à des paramètres qui influencent eux-même la propagation de l’infection. Ainsi, dans les quartiers les plus pauvres, moins de personnes se déplacent pour aller voter, et c’est aussi dans ces quartiers que le virus a fait le plus de dégâts car d’une part les personnes continuaient à aller travailler, et d’autre part la prévalence de l’obésité et des maladies métaboliques (diabète etc.) y est plus forte. De quoi effacer une éventuelle corrélation entre diffusion du virus et élection.
Enfin, l’article note tout de même que l’abstention a bondi de 18,8% entre 2014 et 2020... sans se demander un instant ce qui se serait passé si les bureaux de vote avaient été aussi remplis que d’habitude, ni si le résultat des élections pourrait s’en trouver substantiellement modifié.
La science n’est pas toujours impartiale, et ne répond qu’aux questions qu’elle veut bien se poser...
On a toujours peu d’informations sur la probabilité d’une deuxième vague
Des travaux de recherche divers ont été menés sur le Covid-19 et sa propagation depuis le début de l’épidémie, avec des outils de modélisation mathématique notamment. Un article (en anglais) publié au tout début du confinement indiquait que pour éviter l’embolisation des services de réanimation, il faudrait recourir à des confinements itératifs, plus ou moins drastiques, pendant de nombreuses années, alors qu’une deuxième vague, puis une troisième, une quatrième etc. de la maladie s’enchaineraient...
Un article plus récent, issu du travail d’un groupe de recherche en France, indiquait de son côté plusieurs conditions à remplir pour contrôler l’épidémie, comme ne pas doubler les contacts infectieux après le 11 mai [2].
Parmis les inconnues des modèles actuels figure un chiffre clef : quel pourcentage de la population a déjà eu le Covid, et est-elle désormais immunisée ? Ou même, serait-il possible que des exposition à d’autres virus proches par le passé aient permis à des individus de développer des anticoprs actifs contre le virus du Covid-19 (ce qu’on nomme l’immunité croisée) ? C’est en effet ce que suggèrent des études récentes, encore non relues et évaluées par les pairs, l’une conduite en Allemagne et l’autre aux États-Unis (les deux études sont en anglais, sous forme d’article scientifique). Notons bien que dans ces deux études, les auteur·ices avertissent qu’iels ont pris en compte peu de sujets (86 dans la première et 40 dans la seconde).
La baisse du nombre de morts et de patient·es en réanimation, même après la fin du confinement, semblerait pour le moment donner raison aux perspectives optimistes (comme celle de l’immunité croisée) ; néanmoins, il ne faut pas oublier que si nous sommes plus libres de nos mouvements, la plupart des activités réunissant du monde (manifs, universités, bars etc.) ne reprendront pas avant le 2 ou le 22 juin, et nous appliquons encore des mesures de précautions, ce qui limite la propagation de l’épidémie. Nul·le ne peut prédire ce qui se passera quand les mesures du post-confinement se relâcheront et il est encore un peu tôt pour connaître précisément les effets du déconfinement sur la propagation du Covid-19, notamment à cause du décalage temporel entre la contamination et l’admission en réanimation des cas graves.
Par ailleurs, comme le souligne une récente synthèse de l’Académie de médecine, la diffusion du virus semble notablement diminuée par la hausse des températures (ce qui expliquerait notamment pourquoi l’Afrique est peu impactée jusqu’à maintenant), faisant craindre un rebond de la pandémie, non pendant l’été, mais au cours de l’automne ou de l’hiver...
D’autre part, certain·es commencent à s’interroger : avons-nous vécu une première vague ou une deuxième vague depuis mars ? En Italie, la secrétaire générale de la fédération des médecins généralistes de Lombardie remarquait que, dans la région de Bergame, on avait constaté un taux élevé de pneumonies et bronchites inexpliquées, dont certains cas mortels vers octobre 2019. Octobre 2019 soit plusieurs mois avant l’arrivée « officielle » de la pandémie en Europe en février 2020. On ne saura jamais s’il s’agissait des premiers cas européens, le diagnostic de pneumonie au Covid-19 ne pouvant se faire que sur une PCR (qui n’était pas disponible à l’époque, puisqu’on ne connaissait pas encore l’existence du virus) ou sur un scanner (qui en pratique n’est que rarement réalisé pour une pneumonie classique, une simple radiographie de thorax étant suffisante, plus rapide et moins coûteuse).
Les doutes subsistent donc en de nombreux endroits. Comme pourraient le dire des chercheur·es, ici, il nous faut plus de travaux afin d’étayer les différentes hypothèses. De notre côté, dans le doute, sortons masqué·es.
Parcoursup, contrôle continu et confinement : les lycéen·nes dans la tourmente
Pas facile d’être au lycée sous Macron ! Pour la troisième année consécutive, la plateforme Parcoursup va stresser de nombreux·ses lycéen·nes pendant de longs mois le temps qu’elle fasse son sale boulot d’orientation. Le 19 mai, les premiers résultats sont tombés et il faudra attendre un peu avant que des études statistiques précises soient publiées même si le Groupe Jean-Pierre Vernant a déjà commencé. Il estime via les données parcellaires fournies par le ministère que seulement 54 % des bachelièr·es ont reçu une offre et que seulement 13 % ont obtenu leur premier choix.
On peut par ailleurs noter que la hausse des frais d’inscription à l’Université pour les étrangèr·es a fait son travail : on constate une baisse de 30 à 50 % des demandes d’étudiant·es étrangèr·es.
Dans la droite ligne des réformes récentes, on annule les épreuves écrites du Bac qu’on souhaitait de toute manière remplacer autant que possible par le contrôle continu et on continue le tri social !
Un article de 2019 de Lundi Matin analysait bien les enjeux de Parcoursup. Une des conséquences les plus évidentes étant d’autoriser la sélection pour compenser l’augmentation démographique sans créer de nouvelles universités. On peut cependant noter d’autres avantages que tire le gouvernement de Parcoursup : l’effet d’angoisse générée par la « mise en attente » fait accepter avec soulagement une formation pour laquelle le ou la candidat·e n’a ni affinité ni appétence. D’autre part, l’algorithme dépossède les jeunes adultes de leur autonomie et simultanément les rend responsables de leur position sociale.
En continuant à utiliser Parcoursup après les échecs des années précédentes [3], le gouvernement se rend directement responsable de souffrances psychologiques de masse : ainsi du 25 mai au 15 juillet, les candidat·es n’ayant toujours pas de propositions auront un délai d’uniquement 3 jours pour répondre à toute nouvelle proposition qui peut arriver à tout moment. Si vous voulez avoir un peu de temps pour réfléchir à votre avenir et vous déconnecter d’Internet pendant l’été, Parcoursup est votre ennemi. Un article payant du Monde corrobore ces souffrances : sentiment d’impuissance, angoisse, poids cognitif et affectif...
Et cette année, en plus de Parcoursup, le baccalauréat et le confinement ont déjà stressé les lycéen·nes. Ainsi les élèves de première viennent tout juste d’apprendre que l’oral du bac de français est annulé, après un long moment de stress. De même que pour les autres épreuves, la notation sera celle du contrôle continu sur les deux premiers trimestres. Si vous espériez vous rattraper lors des exams finaux ou lors du 3e trimestre, le ministère de l’Éducation Nationale n’en a rien à faire. Ou bien si, il annonce dans sa grande mansuétude que les rattrapages seront maintenus...
Éducation : un enseignement à distance « obligatoire »
Une proposition de loi du 19 mai suggère un petit changement dans le code de l’éducation. Un changement minime, puisque cette proposition de loi est constituée d’un unique article, de 2 lignes :
Au deuxième alinéa de l’article L 131‑2 du code de l’éducation, après le mot : « est », il est inséré le mot : « obligatoirement ».
Mais qu’est-ce que ce deuxième alinéa de l’article L 131-2 ? C’est celui qui dit, avec l’ajout de ce petit mot : « Dans le cadre du service public de l’enseignement et afin de contribuer à ses missions, un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance est obligatoirement organisé pour, notamment : […] ».
Avec un obligatoirement en plus, il s’agit donc de systématiser l’usage du numérique dans l’enseignement à distance, de l’école à l’université. La proposition de loi émane de la députée F. Meunier. Elle met en avant quelques avantages qui justifieraient cet enseignement distanciel obligatoire. Par exemple, si des élèves sont malades, ou se retrouvent bloqué·es dans les transports en commun, si l’instruction se fait à la maison ou encore si les parents ne peuvent payer à leur enfants un logement proche de leur fac, etc.
Ces justifications soulèvent de nombreux problèmes et semblent surtout symptomatiques d’une façon de considérer les apprentissages. Si l’éducation nationale appelle à une différenciation des apprentissages afin de s’adapter aux besoins et niveaux hétérogènes des élèves en classe, c’est ici une individualisation forte qui apparaît. L’idéologie méritocratie fait des dégâts chez certain·es profs qui mettent en avant l’avantage de l’enseignement à distance pour certain·es élèves qui ne seraient alors pas ralenti·es par la classe (comme par exemple dans des commentaires de ce débat sur le site Néoprofs).
D’autant plus qu’il a déjà été bien signalé que l’accès à internet est très hétérogène entre élèves, et dépend notamment de la situation sociale. Une enquête mené par des chercheurs et des chercheuses de Aix-Marseille Université pendant le confinement confirme, sur un ensemble de 6000 réponses, ces inégalités et décrit aussi celles entre profs. Inégalités entre les profs qui connaissent bien les arcanes d’internet et de l’informatique et celleux qui ont du utiliser l’ordinateur d’un·e conjoint·e pour travailler. Ou inégalités entre celleux qui ont du mal avec les PDF et celleux qui sont à l’aise avec divers formats numériques et sont mis en avant, comme Cyril et Nicolas, cités par S. Dehaene ou interrogés par le Café Pédagogique ...
On peut se poser aussi la question du droit à la déconnexion dont l’étendue actuelle est expliquée dans cette fiche. Pour les profs dont on imagine qu’iels devraient alors obligatoirement faire cours dans la journée et assurer l’enseignement numérique à distance en dehors de leur cours. Mais aussi pour les élèves qui devront suivre les cours même malades ou bloqué·es dans les transports en commun. Dans quelle mesure cette obligation d’enseignement à distance empiètera-t-elle sur des moments qui ne devraient pas être travaillés ? sur la vie de la famille des élèves absent·es pour lesquel·les les parents devront aussi probablement assurer le suivi de l’enseignement à distance ?
Cette proposition de loi pourrait être un essai pour ensuite accentuer la part du numérique et du distanciel dans l’enseignement. Il semblerait en tout cas que l’institution souhaite se donner des moyens d’évaluer l’apport du numérique ... en profitant des évaluations communes nationales de CP, CE1, 6e et secondes à la rentrée 2020. Ces évaluations avaient été critiquées lors de leur mise en place par exemple par le Snes ou par Sud Éducation. Ces syndicats critiquaient notamment que les évaluations avaient été imposées d’en haut, qu’elles ne prenaient en compte qu’un point de vue quantitatif et qu’elles avaient pour ambition de comprendre comment améliorer la réussite des élèves alors qu’aucune mesure concrète n’était prévue ensuite... Le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale propose d’utiliser ces évaluations (pdf, p16) pour savoir dans quelle mesure le confinement a eu un effet sur l’acquisition des savoirs par les élèves, ce qui « permettrait d’évaluer rétrospectivement l’efficacité des outils et des efforts déployés ».
Malgré un travail aux sources scientifiques multiples et indiquées, ces Recommandations pédagogiques pour accompagner le confinement et sa sortie manquent ici un point essentiel de la démarche scientifique : la prise en compte des facteurs confondants. Évaluer l’impact du confinement sur la scolarité ne permettra pas nécessairement d’en conclure sur l’efficacité des outils numériques puisque de nombreux autres facteurs entrent en jeu (accès à internet, apprentissages collectifs vs. individuels, impact psychologique du confinement, etc.), que le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale ne mentionne pas.
Notons aussi que ce même Conseil Scientifique se fend d’un magnifique « Ce n’est pas l’outil écran qui est problématique, son caractère bénéfique ou problématique dépend intégralement du contenu pédagogique et de l’usage qui en est fait ». Or, si, les outils peuvent être problématiques : on vous avait à ce propos déjà parlé d’Ivan Illich et de son approche de l’outil : pour lui, lorsqu’un outil, passé un certain seuil, ne vise plus que son auto-reproduction, il devient destructeur. Où en est-on en ce qui concerne le numérique éducatif, soutenu par un ensemble d’acteurs autres qu’éducatifs (voir d’ailleurs notre autre brève à ce sujet), pour lesquels le développement et la reproduction de ces outils sont source de capitalisation financière, quel que soit leur usage ?
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