À l’heure de la sortie de ce numéro, ils viennent d’être relâchés. Pour autant, on ne peut pas dire que la baudruche anti-terroriste se soit complètement dégonflée, et si on tire les fils de toutes les ramifications de cette histoire, ça fait un peu réfléchir sur la stratégie du pouvoir pour gérer la contestation.
D’abord, contrairement à ce que la libération d’Ivan et Bruno pourrait laisser penser, l’État n’a pas renoncé à la qualification de terrorisme. Au contraire, cette affaire a été replacée sous le régime anti-terroriste début avril, lorsque les flics et juges chargés du dossier ont décidé de faire le rapprochement avec une autre affaire, celle de Farid et Isa [1], deux personnes arrêtées en possession de documentation anarchiste et du même produit servant à confectionner des fumigènes (le chlorate de soude). Eux ont eu droit directement aux faveurs d’une juge anti-terroriste, et à un ticket pour la taule avec le statut peu enviable de Détenu Particulièrement Surveillé (DPS).
Anti-terroriste, ça veut dire beaucoup de choses. Ça veut dire 144 heures de garde à vue (6 jours), avec la possibilité de voir un avocat à partir de 72 heures ; ça veut dire prise de force de l’ADN ; ça veut dire des grosses galères pour avoir accès à son dossier ; ça veut dire en règle générale des moyens sans commune mesure pour les keufs et les juges.
Ça veut dire aussi une grosse pression pour les proches et connaissances des mis en cause, sous prétexte d’identifier des réseaux, de tracer des profils-types ; ça veut dire convocation et audition pour toute demande de parloir, avec parfois prélèvement ADN à la clé ; ça veut dire, comme c’est arrivé pour le frère d’Isa, arrestation en pleine rue par une douzaine de flics en civil, puis garde à vue anti-terroriste, prise d’ADN, puis sortie sans plus d’explications.
Anti-terroriste, c’est aussi une arme de propagande. C’est diaboliser certaines formes de contestations, c’est prétendre isoler une partie de ceux qui luttent en en faisant un groupe à part, coupé du reste du mouvement et qui agit par pure idéologie ou qui manipule des jeunes en manque de repères. C’est des articles de presses rédigés directement sous la dictée des Renseignements Généraux, qui cherchent à reconstruire un ennemi fictif type Action Directe, qui pourrait justifier leurs dispositifs d’exception. C’est la ridicule et officielle invention d’une « Mouvance Anarcho-Autonome Francilienne (MAAF) », qualifiée d’organisation terroriste.
Aujourd’hui, Bruno, Ivan et Farid sont dehors, sous sévère contrôle judiciaire, probablement suivi de près par des keufs à l’affût de leurs actes et fréquentations. Isa, elle, a été mise en cause dans une histoire d’incendie de véhicule de police durant la période agitée des élections présidentielles. L’ADN a parlé, soi-disant ; elle nie, contestant la prétendue infaillibilité de la « preuve génétique ».
Maintenant, les enquêtes vont suivre leur cours, et si on veut que les juges ne s’en tiennent pas à la version officielle, il va falloir faire tomber publiquement les montages policiers qui cherchent à faire passer des fumigènes pour des bombes à clous. C’est le sens des rassemblements de soutien qui ont eu lieu à Dijon et ailleurs, et de la semaine de solidarité sans frontière du 9 au 16 juin. Mais au-delà de ces affaires, c’est tout le dispositif anti-terroriste qu’il s’agit de démonter, parce que s’il fonctionne aujourd’hui pour ces deux affaires, nul doute qu’il sera réutilisé chaque fois qu’une lutte prend de l’ampleur - comme c’est le cas de celle des sans-papiers -, et qu’à travers elle s’exprime une contestation en profondeur et en actes de toute la société.
« Terroriste », c’est alors une intention, c’est une brochure anti-carcérale, c’est la fréquentation de certains lieux, certaines personnes, c’est la soi-disant appartenance à une « mouvance ». Bref, « terroriste », si on laisse les flics manier à leur guise ce qualificatif, c’est l’avenir de tout ce qui sort du rang.
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