« Si tu le fais, fais-le bien ! » : Rencontre avec Conscience Nocturne



Conscience Nocturne s’occupe de la prévention des risques liés aux fêtes sur Dijon et ses alentours. À quelques jours de leur soirée de soutien, Fleur et Jérôme nous transmettent leur éthique de la fête, ainsi que quelques bons conseils...

Samedi 23 novembre aura lieu aux Tanneries une soirée de soutien à l’association Conscience Nocturne. Pour l’occasion, nous les avons rencontré pour mieux comprendre le travail qu’ils et elles accomplissent quand tous les autres font la fête !


Vous pouvez commencer par vous présenter ?

Jérôme : Donc, Conscience nocturne c’est une asso de promotion de la santé et de réduction des risques en milieu festif. Ça consiste à informer, conseiller les consommateurs ou les futurs consommateurs à propos des drogues, de l’alcool, ou du sexe.

Fleur : On accompagne les gens dans tous les risques qu’on peut trouver en milieux festifs. Donc toutes les conduites addictives, tout ce qui peut être lié aux MST [1], IST [2], lié au sang aussi. On le fait aussi bien avec des conseils oraux, qu’avec de la distribution de matériel, de la documentation, et même du relai vers d’autres associations plus compétentes sur certains sujets si jamais quelqu’un a besoin de plus d’informations et que nous on a pas la réponse à ses questions.

Y’a d’autres assos de prévention à Dijon ?

J : Alors y’en a mais avec qui on partage pas forcément la même vision de la RDR (la Réduction Des Risques). Nous on est dans une démarche qui est au plus proche du consommateur, on va là où les gens consomment, on va dans les soirées, dans les squats, dans les free parties, parfois en club mais c’est plus rare.

F : Nous notre but c’est pas de dire que consommer c’est mal, nous on dit que de toute facon si une personne veut consommer elle va consommer, et du coup autant qu’elle le fasse bien. C’est un peu comme dans Pulp Fiction : Fais-le mais fais-le bien ! Y’a beaucoup d’assos qui ont pour but l’arrêt de la consommation. La finalité de leur démarche c’est de dire aux gens d’arrêter. Nous c’est pas notre démarche.

J : On distribue des fly de techno + ou d’autres assos plus anciennes, avec qui on se retrouve totalement sur notre vision de la RDR, qui se base sur le non-jugement. On va jamais juger une personne sur ce qu’elle a consommé, même si elle est dans le mal. Nous on est là pour la réassurer, pour lui dire que c’est qu’une mauvaise passe, que ça va bien se passer et essayer de la ramener à elle. On peut aussi informer des gens qui arrivent pour la première fois dans ces soirées et qui voient des potes taper, consommer à outrance et on est là pour les conseiller, pour les accompagner.

Comment vous faites, vous tenez un stand dans les soirées ?

J : Oui, on a un stand dans la plupart de nos soirées, mais on fait aussi de la maraude, on va voir sur les parkings, etc. On discute avec les gens, on fait de la prévention parce qu’on voit les gens prendre tel produit. On va vers les gens, on attend pas que les consommateurs viennent nous voir.

F : Dans les publics qu’on voit, y’a de plus en plus de personnes qui viennent d’elles-même nous voir, par exemple pour nous dire que y’a quelqu’un qui va pas bien, ou qui ramènent des personnes vers nous. Elles ont pris l’habitude de notre présence et ça a communiqué de la bienveillance.

J : Faut bien avoir en tête que la plupart des gens qui prennent des trucs, c’est pas du tout des marginaux. Dans toute la société y’a de la drogue. Donc on informe toutes sortes de gens, et pas que les jeunes ou les personnes dans le mal.

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Dans une même soirée y’a différents types de public...

F : Oui nous on voit que ça touche tout le monde, même si c’est pas toujours les mêmes drogues, mais c’est le même accompagnement.

J : Nous on défend aussi de ne plus diaboliser les drogues, et de ne plus criminaliser les usagers, une société sans drogue ça n’existe pas, la répression ça ne marche pas, faut partir sur d’autres actions, comme la réduction des risques et l’accompagnement des personnes. Et en restant neutre. Les infos qu’on va amener vont être les plus neutres possibles. Y’a pas de pour et de contre. Y’a pas de jugement.


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Le fait que vous soyez souvent dans les soirées, ça fait que les gens viennent plus vous voir ?

J : Les gens sur la région ont pris l’habitude de nous voir. Mais ce genre de stand existe depuis longtemps dans le milieu de l’electro et des free parties. C’est un truc mis en place dans ces milieux parce qu’ils ont constaté que le public consommait et qu’il y avait des problèmes. Ils ont essayé de mettre en place des choses et ont inventé la RDR. Nous quand on est arrivé aux Tanneries, sur les soirées dub, le public était pas du tout habitué aux free parties et à ce genre d’assos. Au début y’avait une certaine crainte du public, qui pensait qu’on était là pour les juger, pour contrôler leur consommation, les condamner, etc. Alors que pas du tout ! Moi quand j’allais en free party plus jeune je voyais souvent ce genre de stands.

F : Mais nous maintenant on recroise le public des soirées dub qui viennent nous voir ailleurs, genre en free party. C’est plutôt sympa, parce qu’ils sont beaucoup plus responsable qu’ils l’étaient avant...

J : Maintenant ils viennent nous dire que les gens vont mal ou nous demander des conseils. C’est une manière de faire que les gens fassent attention à ce qui se passe autour d’eux, qu’ils soient attentifs aux autres. On parle pas seulement d’alcool ou de drogues, mais aussi beaucoup de harcèlement en soirée, des discriminations en général... Y’a une asso parisienne, Consentis, qui parle du savoir être et savoir vivre en milieu festif. J’aime bien ces termes, chacun est libre de venir comme il est et de pouvoir danser en toute tranquilité, sans se faire emmerder, sans se faire juger parce qu’il a trop bu, ou parce qu’il est habillé d’une certaine façon. On essaie de rappeler tous ces trucs-là pour que tout le monde puisse être en communion et rentrer chez lui avec le sourire.

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Comment vous choisissez les soirées où vous allez ? C’est pas vous qui les organisez, ces soirées, mais vous accompagnez les organisateurs ? C’est qui ? C’est vos potes ?

J : Y’a un peu tous les cas, on choisit pas vraiment. On part d’une démarche de responsabilisation des organisateurs, donc on attend que eux viennent nous voir et nous demandent de venir. Après on en parle entre nous et la plupart du temps si on est dispo on dit oui.

F : On est une asso en auto-support, on a aucune subvention, rien, pour avoir une certaine autonomie, et on va rester comme ça pour toujours. Donc on demande une participation aux organisateurs, ne serait-ce que pour le matériel et le défraiement (sauf si l’orga vient de se créer et que c’est dur pour elle). On rencontre jamais de refus, parfois les asso sont surprises mais elles sont volontaires et sont d’accord avec ce principe-là.

Les assos qui sont subventionnées, vous avez l’impression qu’elles sont moins libres ?

J : Parfois elles vont devoir intervenir uniquement sur un secteur précis. Parce que par exemple elles sont subventionnées par la région et elles peuvent pas sortir de la région. Nous on veut pouvoir aller où on veut, on veut pas se faire taper sur les doigts.

F : Et c’est bien d’être une asso de pauvre, parce qu’on a plein de trucs de débrouille. Quand on discute avec des asso subventionnées ils sont impressionnés. Ils disaient que eux, si du jour au lendemain on leur coupait leur subvention ben ce serait plus compliqué parce qu’ils ont pris un certain comfort. Nous au moins on dépend pas de gens qui nous donnent de la thune et qui peuvent décider de nous la couper. Nous on sait faire sans eux.

J : Et pis on préfère aussi, comme ça on reste complètement indépendants et les seuls gens à qui on doit rendre des comptes c’est les gens avec qui on travaille. On voit que y’a des projets qui se développent très bien sans subventions. C’est pas toujours évident, mais pour l’instant on y arrive. Et pour revenir à ta question, au début on travaillait avec des collectifs amis, des gens qu’on connaissait et puis ensuite le bouche à bouche s’est fait...

F : Le bouche à oreille... !

On rit

F : On est très proche des collectifs...

J : Le bouche à oreille ! Et donc on est de plus en plus sollicité. C’est quand même beaucoup de taff maintenant.

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C’est un gros travail pour vous ? C’est quoi une soirée pour vous ?

F : C’est intense !

J : Souvent on arrive avant le public. Histoire de s’installer, de voir le lieu. Il faut qu’on check la voie pompier, la gestion des déchets, comment on s’installe pour avoir une bonne visibilité, être hors du son,...

F : Pour pas avoir des acouphènes pendant 48h...

J : Et après du coup, on a pas vraiment une orga millimétrée, on est une asso où les gens font un peu ce qu’ils veulent, tant qu’ils sont capables de gérer le moment du stand, répondre aux gens, gérer les interventions. On tourne assez bien sans se prendre la tête, sans que certains fassent tout et d’autres rien.

F : On a fait un planning un jour, et on a rien tenu mais ça a fonctionné nickel. Donc on s’est rendu comte qu’il valait mieux faire au feeling entre nous. Tourner suivant l’énergie qu’on a sur le moment plutôt que de prévoir les moments où on dort. On s’entend bien donc c’est plutôt fluide entre nous.

Vous êtes combien ?

J : Ça varie. Sur les teufs on est beaucoup, genre 8...

F : Nan mais en vrai on a besoin de bénévoles... ! On est pas nombreux...

J : C’est vrai qu’avec le rythme qu’on a, si on veut pouvoir continue à assurer les demandes faudrait être plus nombreux. Pour le moment on est une petite dizaine, mais on est un peu juste, donc si des gens veulent nous rejoindre c’est avec grand plaisir.

Et pour continuer le filage de la soirée, vous avez un stand et certains restent au stand et d’autres vont se balader ?

J : Ouai, on prévoit des maraudes. On sait pas trop comment la soirée va se passer, on s’adapte.

F : On met aussi en place une infirmerie. C’est aussi bien pour quelqu’un qui part en bad trip que pour quelqu’un qui a besoin de se poser un peu et de dormir. On a des lits, des duvets et de l’eau.

Quand quelqu’un part en bad trip, vous êtes formés à ça... ?

J : Y’a pas vraiment de formation, la RDR c’est plus basée sur des expériences personnelles. On a toujours fréquenté ces milieux-là, parce qu’on est des consommateurs et des anciens consommateurs.

F : Donc les bad trip, soit on en a déjà vécu personnellement soit on a vu nos potes...

J : On a tous déjà géré nos potes dans le mal en fait. Et après petit à petit l’expérience se fait. On a fait des formations avec techno + mais en fait y’a pas vraiment de théorie, c’est plus des retours d’expérience, des moments d’échange,...

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Mais y’a pas quand même des truc à transmettre dans les cas où quelqu’un fait un bad trip ?

J : Lui faire boire de l’eau, toujours lui parler dans le positif, même dans les formulations des phrases.

F : Faut pas dire « Mais nan t’es pas dans le mal », mais « Tu vas vite aller mieux ». Dire des choses rassurantes, genre si la personne te dit « J’ai perdu mes amis », tu lui dis « Oui mais tes amis ils sont là, tu vas les retrouver, viens on va les chercher ».

J : On pratique beaucoup l’écoute active, on écoute la personne et on reformule ce qu’elle a dit.

Vous mettez pas les gens dans un coin tranquille ?

J : Si c’est nécessaire si, mais on oblige pas les gens, on leur propose si jamais ça va vraiment pas. On force jamais les gens à nous accompagner.

F : Y’a plein de gens qui veulent pas, ils veulent rester vomir là où ils sont, alors on repasse plus tard voir si ça va.

Est-ce que vous voyez des liens logiques entre les bad trip des gens ?

J : Oui, on voit direct les gens qui ont consommé de la cocaïne ou de l’héroïne, au niveau des pupilles, du rythme cardiaque,...

F : Ou même les taz [3].

J : Oui, du coup souvent on sait direct ce que les gens ont consommé, même s’ils nous le disent pas. Au début, souvent les gens ils nous disaient rien, ils disaient « j’ai fait que boire »... Ah ouai, ben explique-moi ce que t’as bu parce que ça m’intéresse !

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Vous voyez aussi tout ce qui tourne et qui ne marche pas... ?

F : Oui quand y’a des mauvaises drogues, c’est le pire pour nous ça...

J : Oui. Ça nous est arrivé sur une soirée, à 22h30 on avait déjà 3-4 personnes qui allaient mal, et qui avaient toutes pris de la kétamine, et on a rapidement fait tourner le mot pour informer qu’il fallait vraiment que les gens ne prennent pas ça. Donc oui, on voit ce qui tourne et on essaie aussi de se renseigner sur ce que les gens ont pris pour les aider.

F : On a aussi l’objectif de se former pour savoir quelles substances sont présentes sur les soirées.

J : Aujourd’hui par exemple y’a des gros problèmes sur les taz, y’a tout et n’importe quoi dedans. Avant les taz c’était de l’ecstasy avec un peu d’amphèt’. Aujourd’hui y’a de la MDMA, dans des beaucoup plus grosses doses, avec des produits de coupe. Ou même y’en a qui vendent du 2C-B sous forme d’ecstasy et sans prévenir la personne. Alors que le 2C-B c’est ce qu’on appelle de la mescaline de synthèse, donc pas du tout les mêmes effets que la MDMA [4]. Donc toi tu t’attends à prendre de l’ectasy alors que tu as des réactions du 2C-B... T’es pas préparé, t’as des effets pas recherchés, ça te fait bader... Donc on voudrait se former pour informer les gens sur ça. Mais en France ça a un peu du mal à être autorisé. Y’a des tests qu’on a pas le droit de faire en tant qu’asso mais que tu peux faire en tant que particulier. On est très encadrés en fait.

Du coup vous avez une bonne vision de ce qui tourne en soirée ? C’est quoi maintenant le truc qui tourne ?

J : Euh... La kétamine, qui fait un retour et qui est très consommée par les plus jeunes.

F : C’est que c’est pas cher, 10 ou 20 balles le gramme. Comparé à la C [5] où c’est facilement 80 euros. Un jeune qui a rien consommé il va prendre ça.

J : C’est au final une drogue qui est... moi j’ai jamais trop aimé ça, mais c’est une drogue qui rappelle les sensations de l’alcool mais en plus puissant. C’est les sensations de l’alcool au moment où tu es vraiment bourré et tu es prêt à vomir...

On rit

J : Ou alors ça te fait dormir.

F : Ben c’est un anesthésiant !

J : Je vois pas trop ce que les gens y trouvent...

F : Ça désinhibe totalement. La personne redécouvre son corps...

J : La MDMA c’est pareil mais c’est quand même plus smooth...

F : Ouais mais tu peux te trouver à embrasser tout le monde alors à chosir... Quand tu revois les gens le lendemain...

J : On parle beaucoup des effets des drogues sur les gens, genre la coke ça t’excite, tel produit ça va te poser, mais il faut savoir que c’est des effets généraux. C’est pas parce que ton pote a kiffé que toi tu vas kiffer. Et ça dépend aussi à fond des contextes... La même drogue ça va pas se passer de la même manière à chaque fois...

C’est pas que de la chimie...

J : Ça joue beaucoup sur le psychique les drogues. Si t’en prends et que t’es déjà un peu triste et pas bien, ça va te rendre encore plus triste...

F : C’est un avantage aussi quand les gens viennent parler, c’est qu’on est souvent pas d’accord les uns avec les autres sur les effets des drogues. On va jamais dire c’est bien ou c’est pas bien, on va faire des retours d’expérience.

J : On va pas conseiller ou déconseiller une drogue, mais on leur parle de nos expériences personnelles. On est aussi pour que les gens soient responsables de leur consommation et qu’ils se gèrent, donc faut apprendre quoi. T’as beau être informé mais tu peux faire un bad, donc t’as besoin de tes expériences.

F : Et responsabiliser aussi les potes. On oblige les gens à venir voir leur pote. On est pas une garderie en fait.

J : Par exemple y’avait une soirée où les pompiers sont venus, les filles ont refusé de se faire soigner alors qu’elles étaient blessées et on leur a interdit l’entrée. On estimait qu’elles avaient besoin de soin et on voulait pas qu’elles viennent à la soirée sans se soigner : mets un pansement, prends soin de toi ! En soirée tout ne t’es pas dû en fait.

F : C’est pas parce que t’as payé que tu peux faire ce que tu veux. On te doit rien en fait.

J : On essaie de rendre les gens acteurs de leur soirée et pas simples consommateurs. Genre faire que les gens s’occupent de ceux qu’ils voient dans le mal. C’est une petite victoire pour nous, que les gens fassent attention aux autres, qu’au moins ils viennent nous prévenir.

F : Parfois même trop ! Parfois on vient nous voir 6 fois pour la même personne qui nous a dit qu’elle voulait rester seule ! Là on se dit, ça marche trop bien notre truc... !

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Ça vous donne de l’espoir les relations entre les gens ?

F : Oui grave, et de voir aussi l’évolution des mêmes personnes. Des gens où au début ils nous regardent de travers et nous disent pas bonjour et qui maintenant nous proposent de l’aide.

J : Genre notre première évacuation, une personne qui avait trop consommé et qui était mineur. Et maintenant cette personne vient nous aider, gère ses potes, et fait même de la réassurance. Ça fait plaisir.

C’est quoi de la réassurance...

J : On dit aussi débadtripage

On rit

Ok je vois...

J : En gros c’est réassurer la personne. Un personne qui vient nous voir, qui est dans le mal, elle a besoin d’être rassurée, de lui chasser ses pensées négatives, revenir sur des choses positives...

F : Rediriger son attention sur quelque chose qu’elle va vivre mieux, la déculpabiliser aussi, lui dire que ça va passer.

J : Tu fais de la réassurance dans la vie de tous les jours, mais c’est une technique qui a été beaucoup développé dans le RDR pour trouver des manières de pas être dans le jugement, pour que la personne reste pas dans le mal pendant des heures... Si tu prends du LSD et que ça se passe mal, ça peut être 7h de bad...

Et du coup vos techniques, vous vous faites des auto-formations, vous discutez...

F : Oui on discute beaucoup. Si y’a quelqu’un qui va mal, parfois aussi on en parle ensemble, on se demande entre nous qui est-ce qui se sent d’aller voir telle personne. Parce que des fois ça dure longtemps, faut pas trop tourner les visages qui accompagnent quelqu’un de pas bien.

J : Mais on hésite pas non plus à passer le relais. On se protège parce que parfois c’est un peu lourd, les gens se confient beaucoup aussi vu que l’alcool et la drogue désinhibent, y’a des choses qui ressortent de dur, des personnes qui se sont fait frapper, qui se sont fait violer...

F : Du coup oui on en reparle entre nous. Parce que ça arrive aussi qu’on soit pris de cours, qu’on sache pas comment réagir...

Vous faites jamais face à vos limites ?

F : Nos limites c’est surtout en nombre de personne.

J : Des fois c’est passé limite mais c’est passé. On a la chance d’avoir plein de personnes très réactives, qui s’adaptent vite aux situations, qui prennent vite des décisions. C’est une force du collectif. On a des désaccords des fois mais on est tous à peu près d’accord sur les grandes lignes de ce qu’il faut faire. Donc si y’a une décision importante à prendre, une personne peut la prendre toute seule, on lui fait confiance. Tout le monde est à égalité, y’a pas de hiérarchie.

F : Peut-être juste le temps de rencontrer les nouveaux bénévoles, voir comment ils gèrent. Mais après c’est bon.

Mais vous, vous passez des bonnes soirées ?

J : Ça dépend des soirées, pour la plupart on aime beaucoup les free parties, on vient de là et donc nos interventions en teuf on les apprécie beaucoup. On préfère ces soirées-là à celles qu’on passe aux Tanneries. Mais en fait on aime beaucoup aussi intervenir aux Tanneries, c’est aussi une des raisons pour lesquelles on a créé l’association. Parce qu’on a remarqué que y’avait pas de stand de prévention, que c’est un espace autogéré, on aime beaucoup les collectifs avec qui on travaille là-bas. Ça nous donne aussi de la visibilité, les gens nous connaissent beaucoup parce qu’on est aux Tanneries. Les gens pensent souvent qu’on est l’asso de prev’ des Tanneries... Mais les contacts et les liens qu’on crée ici nous intéressent beaucoup. Et pis y’a besoin de nous dans ce type de lieu, donc on le fait.

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F : On veut un public qui s’autogère dans un lieu autogéré.

J : Les gens se gèrent, mais y’aura toujours besoin de ce genre d’asso pour transmettre ça aux plus jeunes. Après y’a beaucoup de plus vieux qui se gèrent pas non plus... Nous on a beaucoup plus de prise en charge des majeurs que des mineurs. Bon c’est des jeunes majeurs... Mais en fait c’est pas vrai que c’est les plus jeunes qui posent problèmes.

F : Les conduites à risque c’est souvent des personnes plus âgés, parce qu’ils ont l’habitude de consommer en excès, et du coup ils poussent encore plus loin.

Vous devez vraiment voir l’envers de l’époque...

F : On a une autre vision des soirées par rapport aux gens qui organisent ou aux autres. On est pas dans la soirée comme les autres...

J : Si tu restes vraiment qu’au stand, quand tu parles aux gens après, t’as pas vécu la même soirée. Pour toi c’est galère, y’avait plein de trucs... On le voit surtout aux Tanneries, aux soirées dub, si t’as pas mis les pieds dehors ta soirée était géniale, y’avait des bonnes vibes... Mais si t’es resté tout le temps dehors t’es plus mitigé...

On rit

La fête c’est vraiment la catharsis de tous les pires trucs...

J : Ouais mais on a aussi le côté bonheur, les gens qui viennent nous voir avec le sourire parce qu’ils sont contents qu’on soit là. Dans les teufs les gens ont vraiment de la reconnaissance pour ce qu’on fait, viennent nous voir pour nous remercier. Aux Tanneries les gens sont moins habitués, ça fait 4 ans qu’on fait ça, mais depuis la moitié de l’année dernière ça commence aussi.

F : Au début les gens c’était tendu, tu leur disais « t’as pris quoi ? » et ils te répondaient « t’es flic ? »... Ben surtout pas, en fait... !

Et vous faites aussi de la prévention sur la sexualité ?

F : Ben ça découle souvent des drogues, mais oui les risques liées aux pratiques sexuelles : IST, MST... On a un partenariat avec Aides. On distribue des préservatifs, des gels, de l’info, ou on redirige les gens.

J : On a déjà organisé des dépistages avec Aides. Là on en organise un le 1er décembre, aux Tanneries.

F : Vu qu’on a tous les papiers, ça arrive souvent que les gens nous posent des questions. C’est un support pour discuter. Genre « Ah mais on peut pas en guérir du sida ? ».

Vous avez l’impression que les gens sont bien informés sur les questions sexuelles ?

J : Pas du tout. Les gens ont plus honte de prendre des capotes que de prendre des roule-ta-paille. Comme quoi y’a un gros travail, et ça c’est un travail à faire au collège ou au lycée.

F : Mais moi par exemple j’ai appris plein de trucs grâce à Aides. On est bombardé d’infos pas importantes mais là dessus on sait rien. Sur le VIH par exemple, y’a encore des tonnes de légendes urbaines. Des gens pensent qu’on en guérit, d’autres savent pas qu’on peut très bien vivre avec sans que ce soit transmissible... Qu’on peut avoir des rapports avec des gens qui ont le VIH sans être contaminé. La désinformation crée des grosses discriminations. Alors que c’est parfois moins dangereux qu’un herpès bucal.

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Pourquoi vous faites ça vous, individuellement ?

J : Pourquoi on fait ça... L’envie que les gens puissent bien profiter de leur soirée... Moi quand je suis arrivé dans ce milieu-là, y’avait un peu des gens qui nous coachaient, qui nous donnaient des petits conseils à gauche et à droite, qui nous disaient « nan, ça fais-le pas comme ça ». Et c’est un truc qui s’est un peu perdu je trouve avec le temps. Dans notre région en tout cas. Et y’avait plus personne qui transmettait aux nouvelles générations tout ce que tu dois savoir quand tu sors. Et c’est vrai que des fois c’était un peu choquant. Tu te disais « ouah t’as 16 ans, tu fais déjà ça, on t’as pas appris ça... ». C’était l’envie de dire aux gens « tu peux faire la fête, en faisant ce que tu veux, en prenant de l’alcool, en prenant des drogues, en baisant, mais fais attention, fais-le plutôt comme ça, évite de faire ça dans telle circonstances ». Une envie de transmettre aux gens ce qu’on m’a transmis, que ça se perpétue... Avoir cette base qui fait que quand tu vas en soirée, tu sais te comporter si y’a un problème.

F : On profite de la teuf, mais dans un autre cadre, dans un autre contexte.

J : On continue de fréquenter les lieux en se fatiguant moins...

F : Mouai... 72h, 6h de sommeil...

On rit

J : Mais dans tous les cas, on le fait quand on est en soirée nous. On prend soin des gens, on va réassurer les gens, donc pourquoi pas en faire une asso, avec des trucs plus construits, avec une réflexion.

F : Le seul truc qu’on y perd c’est que quand on fait des soirées tranquilles maintenant, y’a des gens qui nous repèrent et qui viennent nous chercher si quelqu’un va mal...

Vous pensez à d’autres choses qu’il faut dire ?

J : Ben notre soirée de samedi ! On fait une soirée de soutien pour réunir des fonds pour nous acheter un véhicule. Jusque-là on utilisait les voitures des copains, mais dans les twingos tu dois choisir entre le matos et les copains... On s’est dit qu’avoir un véhicule ce serait une priorité pour la saison estivale.

F : Si quelqu’un a un bon véhicule pour nous, break ou mini-bus on prend !

J : Donc on est parti sur une soirée assez grosse, qui va se dérouler en deux parties. Une première partie rap avec Estcekiss, un dijonnais qui fait du rap conscient. Puis Skalpel qui fait du rap antifa depuis 20 ans, qui est très engagé dans les questions libertaires. Il vient dans le cadre de la tournée des 20 ans de sa carrière. Là y’aura un drag show Gangreine pour faire la transition et ouvrir le stand de prev’. Et après on part sur la techno, d’abord de la techno assez mental, assez cryptique aussi. On a fait appel à Leuleu, un set tribe old-school. Après on va inviter aussi Delikatess, qui va nous faire un live ethno tribe, ça va en surprendre plus d’un. C’est ce qu’il y a de moins rapide sur la soirée, mais c’est très chamanique, très emportant. Après on a Naya, un set vinyle mentalcore indus’. Ensuite on a l’énorme privilège de recevoir Broke des Heretik. Les Heretik c’est un sound system qui a plus de 20 ans, qui sont un peu les pionniers de l’electro underground en France, des free parties. Il nous fait un set acidcore mental. On est vraiment content qu’il vienne. Et on finit par Shaman des Oblyk Dfroké, un crew assez célèbre et qui va terminer par un live dark mentalcore. Dubzz sera là pour faire des pizzas vegan, et y’aura comme d’habitude un crew dans la caravane qui aura du punch en soutien pour les migrants. La soirée c’est 21h-6h, on espère que y’aura du monde !

F : Et si les gens veulent rester à la fin pour nous aider à passer le balai, ils sont les bienvenus !

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Interview réalisé pour dijoncter.info, le 20 novembre 2019 à l’Espace autogéré des Tanneries.



Notes

[1Maladies Sexuellement Transmissibiles

[2Infestions Sexuellement Transmissibles

[3Petit nom de l’ecstasy

[4La 3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine, ou plus simplement « MDMA » est le principe actif de l’ecstasy

[5Cocaïne

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Nous, associations de réduction des risques, apportons notre soutien sans réserve à l’association Techno+, victime d’une campagne de désinformation et de dénigrement.
En ce début d’année et alors que les hésitations du gouvernement sur la gestion de la crise sanitaire s’accumulent et que la campagne de vaccination piétine, c’est sur la free-party de Lieuron que s’est jeté un acharnement médiatique et politique frôlant la chasse aux sorcières.

15h de soutien à Dijoncter.info & à l’informatique libre

Le 1er février, toute la journée et toute la nuit seront rythmées par des discussions, des ateliers et de l’électro en soutien à Dijoncter.info, mais aussi à de nombreux projets qui font vivre l’internet et l’informatique libre aujourd’hui.