Mafia ou pantomime ?
Depuis octobre 2018, plusieurs dizaines de personnes migrantes ont trouvé domicile dans les anciens locaux de la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) de Chenôve. L’an passé, quatre antennes CPAM de l’agglomération ont été regroupées en une seule entité désormais localisée au Centre Clémenceau. C’est la « Société Est-Métropole » (SEM) qui, à la suite de cette centralisation, est devenue propriétaire des immeubles vacants. Le président de cette société s’appelle Thierry Coursin, spéculateur et carriériste notoire, encore trop ignoré du grand public au regard de l’ampleur du fléau dont il est l’agent. Suite à la réquisition du bâtiment de Chenôve par les demandeurs d’asile, Coursin, homme de terrain malgré les millions qu’il brasse quotidiennement, s’était empressé d’aller faire une démonstration de ses talents sur place. Après avoir tenté de se faire passer pour le maire de la commune afin d’obtenir le droit d’entrer, il est sorti de ses gonds en se targuant de son titre de propriétaire, visiblement convaincu qu’un tel statut le plaçait au-dessus des lois réglant la vie du commun des mortels. Commençant à adopter une attitude menaçante, tout en mesurant son impuissance face aux personnes qui maintenaient le portail de l’enceinte fermé devant lui, il s’est illustré dans un domaine de son répertoire jusqu’ici méconnu : la comédie. Alors qu’une main, peut-être, frôlait la sienne à travers les barreaux pour lui suggérer de cesser ses simagrées et d’arrêter de secouer le portail, Thierry Coursin s’est effondré au sol. Les deux associés de forte corpulence qui l’accompagnaient eurent ce mot en l’aidant à se relever : « ça y est, on l’a notre agression ! ».
Était-ce pour se tailler une réputation de mafieux de l’immobilier prêt à monter au charbon que Thierry Coursin a offert une si médiocre prestation ? Ou, plus probablement, pensait-il accélérer l’évacuation du bâtiment en se victimisant devant une cour de justice ?
Sans être expéditive, la procédure judiciaire, qui risque de conduire à l’expulsion prochaine des actuels occupants de la CPAM de Chenôve, a été plus rapide que d’habitude dans ce genre de circonstances. C’est dans le contexte de cette menace imminente qu’il paraissait utile de mettre en lumière quelques éléments du parcours dijonnais de ce spéculateur né.
vue de l’écoquartier Heudelet
Du faste méditerranéen aux grands travaux bourguignons
Thierry Coursin est le genre de créature cauchemardesque qui donne l’impression que (((nos))) vies sont déterminées par un réseau de puissants machiavéliques jouant une gigantesque partie de Monopoly au-dessus de nos têtes.
Une simple recherche sur internet suffit pour entrevoir l’ample et inextricable architecture d’entreprises, de holdings, et de fonds divers, dans lesquels navigue ce genre de gros poisson. Au-delà des différentes fonctions qu’il occupe dans les conseils d’administration de plusieurs entreprises de l’immobilier et de l’aménagement, Thierry Coursin imbrique ses créations spéculatives dans un maillage touffu qui va des aéroports de Paris (que le gouvernement cherche d’ailleurs à privatiser en ce moment), jusqu’à des sociétés écrans situées au Luxembourg (comme la « SACOMIE »).
Cependant, loin d’être retranché dans le monde de l’économie, Thierry Coursin a effectué un parcours remarquable dans les arcanes de la politique, en particulier à Dijon. (C’est cet aspect qui nous intéressera ici.) En la matière, notre homme est plutôt de l’espèce des éminences grises, agissant au côté des élus sans s’exposer au revirement de l’opinion publique. Employé et non élu dans diverses municipalités, il l’était sans doute pour donner une dynamique entrepreunariale à la gestion des affaires publiques.
Au début de sa carrière, Thierry Coursin est diplômé en droit des affaires. Cette formation lui a visiblement permis de se familiariser avec la porosité entre le légal et l’illégal en matière de spéculation financière. Ironie banale, il fut nommé en 2012 au bureau national du Parti Socialiste à la commission national des contrôles financiers.
Au côté des municipalités, sa trajectoire semble débuter au Cap d’Agde dans les années 1990, pendant les mandats du maire Régis Passerieux. Il organise certains des grands événements de la commune, comme les jeux méditerranéens de 1993. Il est chargé de la réalisation de trois grandes expositions égyptiennes à succès qui participent à la promotion internationale de la station balnéaire. « Politique s’il en est, c’était l’homme des missions électorales de Régis Passerieux qu’il réussit à faire réélire en 1995 au premier tour, face, il est vrai, a une division marquée du camp adverse. » (Hérault Tribune).
Dès le départ, il officie en mariant tractations politiques et grandiloquence spectaculaire.
À partir de 2001, puis pendant 11 ans, il est directeur de cabinet de François Rebsamen. Au cours de cette période sont entamés et parfois accomplis tous les grands travaux qui ont accéléré la (métropolisation) de la ville : tramway, LINO, éco-quartiers, etc.
Cette décennie paraît orienter ses inclinations vers l’aménagement urbain et l’immobilier. François Rebsamen le nomme en 2012 directeur de la SEMAAD alors en pleine crise morale et financière. La société d’aménagement de la ville est en effet touché par un scandale suite à un rapport de la chambre régionale des comptes qui pointe divers détournements budgétaires : nombre excessif de voitures de fonction, paiement d’amendes sur des trajets privés, factures régulières dans des restaurants de luxe, abonnement SNCF en 1re classe, etc.
Cette nomination à la tête de la SEMAAD moribonde va permettre à Thierry Coursin de poser en gestionnaire moralisateur en occultant la dynamique de privatisation qu’il amorce immédiatement. C’est ainsi que commence le coup de force qui va le propulser à la tête d’un petit empire bâti sur la magouille, la spéculation et le détournement d’argent public.
La privatisation de la SEMAAD
La SEMAAD est une société d’économie mixte (alliant des actionnaires privés et publics) créée en 1961 par la ville de Dijon afin de diriger les grands travaux d’aménagement de son territoire. Sa première œuvre fut la création du lac Kir. En 2009, un nouvel outil est crée par la ville afin d’assurer le même genre de fonctions : la SPLAAD. L’apparition de ce nouvel outil correspond à une transformation complexe de la législation européenne concernant la mise en concurrence et les irrégularités entre domaine privé et domaine public. La SPLAAD est également une société commerciale mais ses actionnaires sont exclusivement des collectivités (en l’occurrence celles de l’agglomération dijonnaise). Elle ne peut intervenir que pour le compte de ces collectivités (ce qui restreint son champ d’action par rapport à la SEMAAD) et n’a pas besoin d’être soumise à la concurrence lors de l’attribution de marchés.
Dès lors, la ville de Dijon se retrouve dotée de deux outils afin de mener à bien ses entreprises d’aménagement et d’urbanisation. Techniquement la SEMAAD aurait pu disparaître. Son maintien et sa transformation, avec Coursin et Rebasmen aux commandes, relèvent dont d’un choix politique et économique qui ne tient pas du hasard. Ils font le choix, probablement dès 2012, de créer un nouvel acteur de l’aménagement du territoire entièrement privé, donc plus libre et plus enclin à multiplier les grosses opérations risquées.
Ainsi à partir de 2012 et sous l’impulsion de Thierry Coursin, la SEMAAD, dont la ville de Dijon reste l’actionnaire principal jusqu’en 2016, commence à diversifier et à élargir ses activités « tant en matière de construction et de promotion pour le logement et le tertiaire que pour l’aménagement puisque nous répondons à une consultation de la communauté de commune d’Auxonne » comme le déclare Coursin dès 2012. Au cours de cette interview au Bien Public, l’homme s’assume en entrepreneur ambitieux. Ses préoccupations consistent à « réaliser des opérations de logement » afin de « soutenir l’activité des entreprises de travaux publics et du bâtiment », d’ « accélérer le rythme de la production de dossier » afin de multiplier « la réalisation de zones d’activité économique pour l’accueil d’entreprises » dans la perspective d’entretenir l’attractivité de l’agglomération.
présentation de la SEMAAD et de la SEM
En 2016, le mûrissement est achevé. Le volontarisme entrepreneurial pratiqué avec l’appui des finances publiques a conféré une nouvelle jeunesse à la SEMAAD. Elle est prête à voler de ses propres ailes. La privatisation est donc lancée, non sans remous.
Avec poigne, François Rebsamen détermine la vente de l’intégralité des actions possédées par les communes de l’agglomération en faveur de la Caisse d’épargne. Le scénario le plus probable était connu d’avance. Après cette première étape, la majorité des parts devaient être rachetées par une des sociétés créées par Coursin, la LCDP, elle-même dirigée depuis le Luxembourg par une autre société nommée SACOMIE. Mentir fait partie de la tactique qui accompagne cette privatisation forcée. Entre février et mai, Le Bien public, puis l’opposition de droite, mettent en lumière le conflit d’intérêts lié à la transaction alors qu’elle est encore en cours. Rebsamen dément publiquement quelques jours avant que le scénario dénoncé ne se déroule effectivement. Coursin de son côté affirme aux médias « vous n’aurez à aucun moment mon nom parmi les acheteurs des actions de la collectivité ». Effectivement il ne figure pas au conseil de la Caisse d’épargne et a pris la précaution de se retirer de la gestion de la LCDP le 30 avril, quelques semaines avant que la cession de la SEMAAD n’ait lieu.
En outre, divers membres de l’opposition auront beau dénoncer le manque de transparence, la précipitation générale et même l’occultation d’une autre offre de rachat plus intéressante que celle de la Caisse d’épargne, Rebsamen et Coursin qui ont pris de vitesse les institutions et la SEMAAD se trouvent propulser hors du giron public.
Thierry Coursin qui s’est maintenu au poste de directeur général, fait de la pédagogie. Au lendemain de la vente, il déclare que la SEMAAD est devenue « le premier opérateur immobilier tertiaire de l’agglomération de Dijon, avec 53% du marché », mais aussi que « l’activité immobilière suppose une prise de risque incompatible avec la gestion publique ».
La société aussitôt privatisée affiche son ambition interrégionale par son nouveau nom de baptême : SEM, soit Société Est Métropoles. De Dijon à Strasbourg en passant par Besançon, Lyon et peut-être Paris, la SEM ne propose pas simplement de l’immobilier : « le fil conducteur de notre métier est l’ingénierie financière des projets » toujours selon Coursin. « Nous n’avons pas vocation à faire uniquement de la promotion immobilière, mais à monter des projets qui contribuent au développement économique des territoires ». En témoignent l’Eco-quartier Heudelet, l’investissement dans le parc d’activité Valmy en particulier dans sa maison médicale, ainsi que les innombrables créations immobilières destinées à l’accueil d’entreprises et autres pépinières de start-ups.
Le récent rachat des quatre sites de la CPAM s’inscrit dans la lignée de cette histoire férocement libérale où construction immobilière, aménagement du territoire, volontarisme économique et spéculations en tous genre se marient harmonieusement.
Boucler la boucle
En citant des informations plus ou moins établies, on pourrait dénoncer encore de Thierry Coursin plusieurs arrangements malhonnêtes qui font la routine des personnages de son acabit. Ainsi le financement douteux de son appartement de fonction lors de son mandat à la SEMAAD ou la construction d’une piscine dans sa villa dijonnaise, effectuée gratuitement par un promoteur immobilier local en échange d’une réduction des quotas imposés de logement social (selon une source proche des milieux aménageurs). On peut s’amuser de la prise de contrôle via les 500 000 euros investis en 2017 dans le golf de Beaune par le duo LCDP-Caisse d’épargne qui fut, on ne l’a pas oublié, aux manettes de la privatisation de la SEMAAD.
projet du siège de la caisse d’épargne et parking ossature bois
Toutefois la palme revient à la dernière née des sociétés de l’empire Coursin : Forestarius. Celle-ci regroupe encore et toujours les mêmes protagonistes, la SEM, La LCDP, la Caisse d’épargne aux côtés d’autres acteurs du bâtiment dijonnais et d’un cabinet d’architecte. L’ambition ? Créer une filière innovante dans le bâtiment : la construction en bois. Les deux premières réalisations ? Un giga-parking démontable et... le siège de la Caisse d’épargne elle-même, le tout au parc Valmy.
La boucle est bouclée, et il paraît désormais désuet de s’offusquer de ce qu’on imagine être une série d’arrangements entre gens qui ont fait du cynisme lucratif leur métier. Aujourd’hui, nous ne prétendons guère plus que de faire connaître les forces de l’ennemi et d’éclairer le contexte qui rend possible la prospérité de son entreprise de spéculation.
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