Une histoire de chiffres



Témoignage : droit à l’avortement à Dijon, conditions de l’avortement médicamenteux, méthode Karman, Annie colère

4 médecins, 6 semaines, 2 heures, 2022.

4 médecins, c’est le nombre de celleux inscrits sur la liste du planning familial à Dijon. De celleux qui acceptent de venir en aide aux femmes qui ont besoin d’un avortement.
4 sur 177.
2.25%.

Je n’avais même pas pris de quoi noter tellement j’étais convaincue que le planning m’enverrait une longue liste par mail et que je pourrais choisir, peut être même ma gynéco, peut être ma généraliste, toutes deux des femmes.
“Vous avez de quoi noter ?” oui, une seconde svp.

4 médecins. Et pas ma généraliste, ni ma gynéco. Pas celle chez qui j’écartais mon intimité régulièrement pour contrôler que tout allait bien. Celle en qui j’avais confiance, qui m’avait été recommandé par une amie après m’être entendue dire par une autre que “non, les tests de fertilité, ça n’existe pas.” “Si vous voulez un enfant, c’est maintenant” “Moi, j’ai bien mené une carrière professionnelle et une famille en même temps.”.

“Le cabinet ne pratique pas ce genre d’intervention”. Ne pas nommer les choses pour ne pas qu’elles existent.
Démerde toi avec ta grossesse non désirée et accidentelle, nous n’accompagnons que les femmes qui se reproduisent ici ou celles qui se sont reproduites ou celles qui vont se reproduire, pas celles qui s’y refusent.

J’étais enceinte de 6 semaines, un accident de préservatif, notre seul moyen de contraception après 10 ans de pilules, 5 ans de stérilet à hormones et 2 ans de stérilet en cuivre. Et non, je ne voulais pas de cet enfant, pas maintenant.

Alors j’ai pris rendez vous avec le premier médecin de la liste, parce que c’était la seule qui pouvait me prendre immédiatement, parce que je voulais éviter un avortement à l’hôpital. Parce que je suis comme tout le monde, j’ai peur de l’hôpital. Une amie m’a tenue la main dans la salle d’attente, mon compagnon était en déplacement sinon cela aurait été lui.

Lors du 2e rdv légal, j’ai réitéré mon choix de ne pas avoir cet enfant, j’ai eu les consignes, j’ai avalé le premier médicament et je suis rentré chez moi avec le deuxième et une boîte de spasfon. “ça va faire mal ?” “ça dépend des femmes, c’est très aléatoire, prenez les spasfon si vous souffrez.”

J’avais bien enfoui toute cette histoire au point de ne pas l’évoquer entre copines quand on parlait stérilet et douleur de la contraction utérine. Et puis j’ai fini par me dire que c’était probablement comme ça que ça se passait pour nous toutes, pas d’explications sur le processus, pas un mot sur comment gérer la douleur, jusqu’à quel stade elle est normale, démerde toi. Une punition quoi. Pour avoir couché.

Et puis il y a eu Annie Colère [1] et la méthode Karman [2], la douceur de ces femmes pour leurs sœurs, cette technique simple, peu chère, ne nécessitant pas d’anesthésie et rapide.

Tout m’est revenu dans la gueule, d’un coup. 80 mg de spasfon pour calmer la douleur d’un avortement médicamenteux. C’est comme soigner le cancer avec de l’aspirine. J’avais jamais eu mal comme ça. J’ai pourtant eu ma dose d’accidents et de traumas. Mais là, dans mon salon avec mon compagnon pour me soutenir, j’ai cru que quelque chose se passait mal. Je n’arrivais plus à tenir ni assise, ni couché, ni debout. Je n’arrivais plus à respirer ni à parler, me concentrant totalement sur le moyen inexistant de calmer cette douleur. Quand j’ai commencé à vomir de douleur, mon compagné a appelé une amie sage femme parce que lui aussi avait peur. Elle est tombée des nues quand il lui a dit que je n’avais eu qu’une prescription de Spasfon. Elle lui a dit de venir vite, qu’elle lui donnerait de quoi me soulager vraiment, que les douleurs aussi fortes étaient normales, que j’aurais dû avoir une vraie prescription, que c’était dégueulasse d’avoir fait ça.

ça a duré 2 heures. 2 heures à se tordre de douleur sur le carrelage, à vomir de la bile, à transpirer à grosses gouttes et à avoir peur. Puis la douleur est tombée comme ma tension. J’ai mis 2 jours à m’en remettre sans pouvoir bouger du canapé où j’avais trouvé refuge.

Je l’avais bien enfoui mon histoire jusqu’à Annie colère et la méthode Karman. Plus de 50 années d’écart et une gifle à la lecture des récits de ces femmes qui ont dû se faire avorter et qui l’ont fait entouré de compassion et de douceur avec cette technique, en dehors de l’hôpital. En 20 minutes. Sans souffrir ou presque.

J’ai la rage

La constitutionnalisation du droit à l’IVG est inutile et dangereuse. Elle est inutile car il n’y a pas de sujet chez nous en France, le droit à l’IVG n’est pas menacé [3]

Pourquoi cette médecin ne m’a pas donné les bons anti-douleurs ?
Pourquoi seulement 4 médecins pratique l’avortement à Dijon ?
Pourquoi il faut chercher la devanture du planning familial tellement celui-ci est discrètement honteux ?
Pourquoi j’ai eu à souffrir comme ça en 2022 alors que nous avons la connaissance et les moyens de faire différemment ?

Ma colère ne s’éteindra jamais.



Notes

[1Film sorti en 2022 qui retrace l’épopée du MLAC, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception

[2Méthode propagée par des féministes américaines, arrivée en France grace au MLAC dans les années 70. Basée sur l’utilisation d’un nouveau modèle de canules, souples et non traumatisantes, cette méthode permettait alors de pratiquer des avortements à l’extérieur de tout circuit médical officiel, sans faire courir de risque aux femmes.

[3Stéphane Ravier, ancien RN et maintenant Non Inscrit, zemmouriste devant l’éternel

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