On est tous et toutes, tout le temps, témoins de transformations urbaines, que ce soit de nouveaux aménagements de circulation (les couloirs de bus, les pistes cyclables), la multiplication des panneaux publicitaires, la construction de nouveaux immeubles, la transformation de quartiers...
Qui décide de l’évolution d’un quartier ? Le plus souvent, ça ne nous touche pas directement et alors on ne se le demande même pas. Et puis, n’élit-on pas des représentant-es politiques justement pour ne pas avoir à se poser cette question ? À la limite, si on a la naïveté de croire les beaux discours sur la citoyenneté, on pourrait imaginer que c’est en concertation avec les riverain-es, les commerçant-es... Ça n’est généralement pas (voire jamais) le cas.
Ce qui n’est pas sans poser problème... Imaginez que vous vous réveilliez un matin avec sur la friche à côté de chez vous le permis de construire d’un complexe de 135 logements... 135 logements, cela représente environ 400 personnes. De quoi modifier l’identité d’un quartier. C’est ce qui est arrivé aux Bourroches dans les mois qui ont passé.
En règle générale, ces histoires se finissent en bougonnement dans les chaumières, ou par des coups de fils énervés et procéduriers dont on sent bien que le destinataire n’est pas toujours la bonne personne... Toutefois cette fois-ci, il y a une différence : les habitant-es ont réagi collectivement, refusant de se voir imposer ainsi une décision avec laquelle illes n’étaient pas d’accord, et de voir modifier la vie de leur quartier par l’arrivée irraisonnée et sans concertation de centaines de personnes.
Rencontre avec Alain Bajn et Denis Clément, du collectif Urbanisme et Vigilance.
Le quartier des Bourroches ne connaissait pas jusqu’ici de vie locale particulièrement développée. Il n’y avait encore aucune association de quartier, pas de structure rassemblant les gens, outre la MJC et une AMAP récemment créée. Mais c’est un quartier ancien de Dijon qui « a une âme », constitué en partie d’anciennes maisons de cheminots (les ateliers SNCF ne sont pas loin), de petits immeubles résidentiels. Certain-es habitant-es sont né-es ici, y ont toujours vécu, y ont leur jardin potager... On y trouve les quelques petits commerces de proximité indispensables dans un quartier habité notamment par des personnes âgées : l’épicerie, le tabac, le bistrot, le coiffeur, la boulangerie. Pas de moyenne ou grande surface. Dans le quartier, il y a un grand terrain en friche, inutilisé depuis plusieurs années, appartenant à un ancien ferrailleur, qui décide de vendre sa parcelle. Les rumeurs vont alors bon train, chacun-e y allant de son hypothèse sur ce qui va être construit à la place de ce jardin et de cette maison. À force de rumeurs, les habitant-es en arrivent à apprendre que c’est un complexe de 135 logements privés qui vont être construits ici. La réaction ne se fait pas attendre, à commencer par la traditionnelle pétition, lancée notamment auprès des habitant-es d’une ruelle du quartier : leur petite impasse devrait devenir l’accès unique aux parkings des immeubles, ce qui signifie le passage de 150 véhicules supplémentaires chaque jour. La pétition recueille rapidement les signatures des 90 familles de cette ruelle et alentour. C’est la naissance du collectif « Urbanisme et Vigilance ».
« Tout est question de rapport de forces »
Mais la pétition n’est ni suffisante ni satisfaisante, et pour être entendu-es, les habitant-es choisissent de mettre en œuvre d’autres modes de lutte. Le maire est interpelé, par courrier d’abord, puis en absence de réponse, les habitant-es s’invitent à une réunion de quartier à laquelle sont présent-es notamment François Rebsamen et Colette Popard (« on a un peu chahuté, beaucoup chahuté même, sa réunion de quartier où il y avait tous ses potes »). On est alors à quelques mois de l’élection municipale, et le fait d’aller perturber en nombre cette réunion semble avoir de l’effet, puisque le maire s’engage à recevoir des représentant-es du collectif des Bourroches. Dès lors des réunions de travail ont lieu régulièrement, en présence du maire ou de son adjoint à l’urbanisme, Pierre Pribetich, et du promoteur privé, Ghitti. Les personnes du collectif que nous avons rencontrées reconnaissent que tout est question à la fois de rapport de forces et d’opportunité calendaire : le nombre des personnes ayant signé la pétition et étant intervenues bruyamment lors de la réunion, ainsi que l’imminence des élections municipales, ont joué en leur faveur.
D’ailleurs, François-Xavier Dugourd, candidat de l’UMP pour la mairie de Dijon, ne s’est pas privé d’une tentative de récupération, sur le thème de l’inconséquence de l’actuelle mairie en matière urbanistique, ni sur son incompétence en matière de communication, jouant le jeu du « nous aurions fait mieux, nous n’aurions jamais pris une telle décision et surtout pas sans vous consulter avant... ». Mais les représentant-es ne sont pas dupes du jeu électoral, et bien conscient-es que la période les a aidé-es. Illes sont toutefois content-es et à la fois surpris-es de l’oreille attentive de François Rebsamen et de son investissement personnel dans les discussions avec le promoteur.
Sympa de sa part, certes, à Rebsamen, mais il faut bien reconnaître que la négociation « sous les lambris de la république » n’est pas toujours évidente, et que le maire est là sur son terrain (« avec le maire, les dés sont un peu biaisés »), en connivence avec le promoteur. C’est sûr que c’est plus facile pour lui de répondre aux interrogations des habitants dans l’intimité de son bureau clinquant qu’en public dans une salle de quartier. « Tout est question de rapport de forces »...
Mais ce qui a laissé le plus d’amertume, c’est le déni de responsabilité de la part de la mairie, qui se cache derrière des arguments tels que « on n’est pas responsable, c’est du domaine du privé, on ne peut pas intervenir ». Ceci laisse apparaître le constat que finalement la mairie est peu utile, ne pouvant intervenir sur son territoire du moment où des financements et des promoteurs privés sont en jeu. Si ni les habitant-es, ni la municipalité n’ont leur mot à dire, qui alors ? Et si la mairie ne peut intervenir dans ces cas-là, à quoi sert-elle ?
Finalement, après des mois de discussions et négociations, les résultats sont maigres : le sentiment final est mitigé, ce n’est pas une victoire, ce n’est pas une défaite, quelques aménagements sont prévus : des pare-vues entre les immeubles nouvellement construits et les maisons, un mur de séparation entre le parking d’un immeuble et un jardin, et surtout la modification du sens de circulation qui ne prévoit plus de faire passer l’ensemble des voitures par la ruelle initialement prévue. Mais reste qu’environ 400 personnes vont emménager, ce qui change considérablement la vie d’un quartier... Reste aussi une quinzaine de personnes toujours motivées pour dénoncer non pas la construction de tel immeuble à tel endroit ou la modification d’un sens de circulation, mais pour mettre en cause la politique urbaine de la mairie, à la fois sur « quel sera le Dijon des années 2020 ? » et sur les façons dont sont mises en œuvre ces transformations.
« Le combat continue »
Restent aussi une vie de quartier plus vivante, des voisin-es qui ont profité de cette occasion pour se rencontrer, se connaître, échanger, et désormais ce n’est plus uniquement lors de la traditionnelle fête des voisin-es mais à l’occasion de 2 ou 3 fêtes chaque année, que tou-tes se retrouvent. Après s’être rencontré-es spontanément sur cette lutte, les habitant-es ont souhaité conserver ce lien social qui s’est créé au fil des mois.
Parce que ce qui compte avant tout pour les membres du collectif c’est plus la façon dont se décident les modifications urbaines que la défense des intérêts privés, et malgré la construction de ces 135 logements aux Bourroches, une quinzaine de personnes ne veulent pas s’arrêter là, et souhaitent aider d’autres personnes dans d’autres quartiers à prendre en main les transformations urbaines, avoir un rôle dans ce qui est modifié, et participer à dessiner ce que sera le Dijon des années à venir.
Pour ce faire, un blog a été créé, qui recense quelques quartiers concernés par ces modifications (Jouvence, Drapeau, ...), ceci afin de « faire bénéficier de l’expérience acquise » d’autres personnes qui souhaiteraient réagir. Un tract a été diffusé dans ces différents quartiers, pour inviter les habitant-es à venir visiter le blog, à y puiser ou réclamer des informations ou des conseils, pour se réapproprier leur espace et agir dessus. Ce blog a été lancé courant août, et s’il est toujours en construction et à la recherche notamment des personnes pouvant apporter des aides variées (juridiques, etc.), ses créateur-ices sont motivé-es pour ne pas en rester là et apporter leur aide à d’autres.
Il n’est par ailleurs pas question de laisser de côté les nouveaux arrivant-es à Dijon, de ne pas tenir compte du fait que la ville évolue. Les membres du collectif sont bien entendu d’accord avec le fait que la ville évolue, que les nouveaux habitant-es puissent être accueilli-es et que le nombre de logements disponibles soit en adéquation avec les besoins, mais tout cela dans un esprit collectif et avec la prise en compte des envies et des goûts des personnes habitant déjà les lieux.
La forme que prendra cette action d’information et d’entraide n’est encore pas définie, ce collectif plus large étant actuellement en complète construction, mais l’envie est là de se rencontrer et de se rassembler autour de l’idée qu’une ville existe et est ce qu’elle est grâce à ses habitant-es, avant les pouvoirs politiques locaux. Cette rencontre pourrait donc donner naissance à une association, avec des objectifs tels que ceux déjà énoncés : conseils pratiques, juridiques...
Il y a quelque chose d’éminemment politique, au sens noble du terme, dans ce dépassement d’une lutte basée d’abord sur des intérêts privés en volonté de porter le combat sur un terrain plus large, dans cette prise de conscience que si l’on veut pouvoir maîtriser ses conditions de vie, il y a nécessité de s’ouvrir aux autres.
D’ailleurs, à partir de leur expérience particulière, les membres du collectif sont amené-es à construire un discours qui n’est pas exempt d’une certaine critique sociale, que ce soit la réclamation de « l’accès à une sorte de démocratie directe », ou la dénonciation du fait que ce soient « les puissances de l’argent qui dessinent le Dijon des années 2020 », ce qui conduit à ce que « les gens se sentent dépossédés » de ce qui fait leur vie.
Peu de choses à voir, dans cette position, avec les réactions de repli des communes bourges des alentours de Dijon quand il s’agit d’accueillir du logement social. Là, il n’est pas question de se défendre face aux prolos qui risquent d’investir un quartier résidentiel ; d’ailleurs, il y a des chances que dans le cas des Bourroches les nouveaux venu-es soient plus riches que les habitant-es actuel-les, malgré les 30 % réglementaires de logements sociaux prévus [1]. Cela dit, note mi-amusé-e, mi-désabusé-e un-e membre du collectif, avec la crise immobilière, c’est bien possible que tous les logements ne trouvent pas preneur...
Quelque chose d’éminemment politique, donc, mais une certaine méfiance vis-à-vis de « la » politique, avec la volonté de ne pas se faire récupérer par un bord ou l’autre.
Et cette position, politique sans être politicienne, vous pensez bien que ça parle à l’équipe de Blabla, parce que tout d’un coup, tout un tas de préoccupations qui ressortent de ces pages d’un numéro sur l’autre entrent en résonnance : quand un-e membre du collectif annonce que la première chose à faire en matière de logement, c’est peut-être « d’ouvrir les logements vides », on ne peut s’empêcher de penser aux différentes luttes autour des squats qui ont fait l’objet de plusieurs articles. Tout ça rappelle aussi les oppositions aux plus ou moins grands projets d’aménagement du territoire qui viennent bouleverser des quartiers avec des conséquences sociales souvent douteuses (le projet de méga-clinique privée [2], avec comme corollaire la fermeture des centres de soins de proximité ; le golf de Norges [3], et son impact sur l’environnement ; le projet renaissance [4], et ses nuisances pour les villes alentours, etc.).
On espère donc avoir l’occasion de reparler dans Blabla des activités du collectif. En attendant, chaque personne qui se sent concernée peut rejoindre « Urbanisme et Vigilance » pour construire une véritable force capable de peser dans ce domaine de l’urbanisme.
Les contacts :
- alain.edwige@wanadoo.fr
- clemdcsp@tele2.fr
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