Une première écologie à dénoncer, celle des pouvoirs publics et des industriels
Ça n’échappe plus à grand monde, nous sommes collectivement en train de saccager notre planète. Que nous proposent exactement les pouvoirs en place pour y remédier ? Premièrement, culpabiliser celles et ceux qui consomment soi-disant mal, surtout quand ils et elles sont pauvres [1]. Deuxièmement, trouver une solution technique à nos ennuis, sans questionner notre foi aveugle dans le progrès et dans l’industrie. C’est ce qu’on peut appeler capitalisme vert. Sur le site du Carnet, nous sommes directement concerné·e·s. Le port de Nantes-Saint-Nazaire prévoit d’installer un parc éco-technologique, c’est-à-dire un parc industriel mettant en avant les énergies renouvelables. Le terme est volontairement flou et derrière le mot renouvelable, ce qui se cache, c’est la recherche de nouvelles formes d’énergie à exploiter pour continuer la croissance des besoins. En gardant toujours la main mise sur la production et la distribution, parce que le contrôle, contrairement au reste du monde, n’est pas en train de s’écrouler.
Pourquoi parler de capitalisme vert ou d’écologie industrielle ? Parce qu’il n’y a pas de volonté de remettre en cause ni le modèle productiviste de notre société, ni les inégalités structurelles qui en découlent. D’ailleurs, la communication du port est assez claire et leur projet au Carnet s’inscrit dans la complémentarité de ce qui se passe ailleurs sur l’estuaire de la Loire, qui devient peu à peu une poubelle gigantesque de métal et de béton. Sans énumérer tous les désastres envrionnementaux en jeu, car ce n’est pas notre but ici et car d’autres l’ont déjà fait [2], rappelons seulement deux choses : le port de Nantes-Saint-Nazaire est colonialiste (importations massives de ressources africaines et sud-américaines par exemple, héritées d’un passé esclavagiste) et il est à la pointe de l’extractivisme (importations de gaz de schiste [3], etc...). Ce n’est pas en juxtaposant un parc éco-technologique ou en développant l’éolien maritime au large de Saint-Nazaire [4] que l’on agira contre ces défaillances écocidaires de notre monde.
Pire encore, au-delà de cette logique de la vitrine verte, la défense de l’environnement est devenu un nouveau marché. Il est peut-être superflu de le rappeler, mais le capitalisme est un système capable de s’alimenter de tout ce qui le contredit. L’écologie y compris. Typiquement, plutôt que d’arrêter les industries fossiles les plus polluantes, on préfère leur imposer d’investir dans les énergies renouvelables, en faisant des bénéfices au passage, avec une logique néo-libérale assez simpliste : le nouveau marché créé est supposé concurrencer le premier et ainsi compenser la pollution. Ce mécanisme est déjà dénoncé depuis longtemps [5], mais ce qui est particulièrement visible au Carnet, c’est le rôle qu’y tiennent les pouvoirs publics. Le projet étant volontairement opaque, il n’y a pas encore d’investisseur privé déclaré. Les acteurs qui promeuvent la destruction du terrain que nous occupons, c’est bien la métropole de Nantes-Saint-Nazaire, à travers son port, et c’est bien l’État, qui a fait du Carnet un des nouveax sites « clés en mains » [6], c’est-à-dire qu’on choisit de faciliter les gros industriels en prenant en charge, par le biais des collectivités territoriales, toutes les contraintes environnementales préalables à leur carnage. En fait, cela fait bien longtemps que nous sommes conscient·e·s que le pouvoir politique est le complice du pouvoir économique. Nous choisissons donc au Carnet de dire « dégagez » aussi bien à ces entreprises qui spéculent sur la destruction du vivant qu’à l’État qui les aide dans cette démarche.
Voilà la transition qu’ils nous vendent. Elle est faite de nouvelles accumulations et de nouvelles dominations, avec des liens entre le public et le privé toujours plus insidieux. Pour nous c’est évident, il n’y a de transition que vers un monde qui s’est accomodé de nos critiques environnementales.
L’écologie d’opposition n’est pas plus crédible
Face à cela, certain·e·s sont tenté·e·s par une transition plus contraignante, avec des normes plus sévères. Obliger les pollueurs à cesser leurs activités, mais sans bouleverser le reste. C’est le cas de celles et ceux qui cherchent à négocier avec le pouvoir, qu’ils et elles agissent au nom d’un parti politique, d’une association, à titre individuel ou bien en collectif. Nous ne croyons pas plus à cette écologie-là. Premièrement parce que cette stratégie nous paraît inefficace et dangereuse. Donnons un exemple qui nous concerne directement. Au Carnet, il est question de zones compensatoires, c’est-à-dire d’autoriser la destruction d’une zone humide, tant qu’on en reconstruit une autre, artificiellement, ailleurs. C’est en cherchant à discuter d’un point de vue technique sur ces mesures compensatoires que certaines associations ont légitimé le projet des industriels [7]. Il ne s’agit pas ici de faire leur procès, ni de savoir si ces associations sont de bonne foi ou pas, nous nous en fichons complètement. Il s’agit de constater qu’avant l’installation de la ZAD, elles accompagnaient la construction du parc éco-technologique. Et nous ne disons pas cela pour comparer nos méthodes de lutte, mais bien pour pointer du doigt les contradictions auxquelles mène systématiquement la volonté de négocier avec un pouvoir qui se veut hégémonique.
Deuxièmement et surtout, parce que nous pensons que le désastre environnemental est intrinsèquement lié à l’organisation politique de nos sociétés. Nous ne légitimerons pas d’autres exploitations au nom de l’écologie. Nous ne négocierons pas avec les acteurs de la transition pour en proposer une autre, plus enviable, tandis que ce sont les mêmes acteurs qui pillent d’autres pays. Nous ne perdons pas de vue que le développement des énergies renouvelables va de pair avec le colonialisme : la construction d’éoliennes industrielles nécessite l’extraction intensive de matériaux, pour la plupart dans des mines en Asie, dans des conditions souvent épouventables [8] et nous avons bon dos d’acclamer des énergies qui se prétendent propres alors que d’autres que nous se tuent littéralement au travail pour les produire. Mentionnons aussi que nous volons et détruisons des terres qui ne nous appartiennent pas. Un exemple frappant est celui de l’isthme de Tehuantepec au Mexique, véritable couloir de vent et qui est au centre des attentions de tous les industriels de l’énergie [9]. L’entreprise EDF dont nous occupons un terrain est en train d’accaparer des terres là-bas, en réprimant les populations. Comment alors négocier quoi que ce soit avec elle ici ?
Une autre chose qui est en jeu et contre laquelle nous tentons de lutter, c’est l’apparition de nouvelles formes de contrôle social. En parallèle de la création de parcs éoliens partout où c’est possible, ce qui se prépare, c’est l’avènement d’un capitalisme de la surveillance et il s’agit à nouveau des mêmes acteurs [10]. Nous en voyons déjà les prémices, avec l’avènement des villes connectées, promues par les énergéticiens. Nous ne voulons pas d’un monde dystopique, où sous couvert de rendements, nos moindres faits et gestes sont surveillés. Nous refusons la continuité qui existe de fait entre l’aménagement des territoires et l’aménagement des comportements. C’est partant de ce principe que nous choisissons de saboter l’aménagement des territoires.
Nous affirmons qu’une transition écologique qui ne dénonce pas toutes les logiques de dominations n’est bonne qu’à être jetée à la poubelle, sans même être recyclée.
S’approprier les questions de l’énergie dans une perspective d’autonomisation
Y a-t-il en fait une transition souhaitable ? Ce mot nous paraît mal défini. Nous ne croyons pas à la possibilité d’aménager le pouvoir, nous n’envisageons pas d’adoucir les atrocités du monde capitaliste. Nous essayons, tant bien que mal, de nous inscrire en rupture avec celui-ci. Au-delà de protéger des terres agricoles d’une bétonisation massive, ce sont les mondes que nous construisons que nous défendons derrière nos barricades. Nous ne prétendons pas que c’est une tâche facile et nous sommes conscient·e·s de nos limites et fort·e·s de nos erreurs passées. Nous ne prétendons pas non plus qu’à la ZAD du Carnet, nous sommes libéré·e·s des oppressions systémiques. Au contraire, c’est parce que nous ne savons que trop bien que ces oppressions existent, y compris au sein de nos luttes, que nous essayons de nous organiser contre. Enfin, nous sommes des squatteur·euse·s et si on nous expulse et qu’on nous empêche de revenir, malgré toute notre peine, nous continuerons à construire l’autonomie ailleurs. Nous disons cela ici parce que la seule transition qui nous paraît possible, c’est celle à travers laquelle nous essayons de reprendre la main sur nos vies, en brisant les hiérarchies. Cette transition n’est pas seulement écologique.
En fait, il y a même parfois une contradiction entre ce que nous essayons de faire et le discours écologique scientifique, lorsque celui-ci nous impose des formes de luttes, au nom d’une légitimité à obtenir. Par exemple, comme l’ont souligné des copaines à la ZAD du Testet en 2014, la création d’un vocabulaire technique et universitaire a tendance à déposséder tout un·e chacun·e de la possibilité de s’exprimer sur le monde qu’il ou elle habite [11]. Nous n’avons pas besoin de savoir ce qu’est une zone humide pour avoir envie d’y vivre et de la protéger. Il n’est pas question ici de rejeter l’écologie scientifique en tant que telle, mais bien de l’intégrer à nos combats dans une visée émancipatrice plutôt que surplombante.
Enfin, puisqu’il est question d’énergie dans notre critique, nous nous rendons compte de notre faiblesse dans notre volonté d’émancipation : nous sommes loin de l’autonomie énergétique. Nous en sommes si loin qu’elle est même difficile à imaginer. Nous souhaitons donc nous rapprocher de celles et ceux qui se sont emparé·e·s de cette question, tant d’un point de vue pratique que théorique. Il ne s’agit pas seulement de pirater les réseaux d’EDF mais bel et bien d’apprendre à se passer du monopole de l’État et des capitalistes dans notre alimentation électrique, comme dans notre vie de tous les jours.
Après avoir dit tout ça, nous ne voulons pas nous-mêmes imposer notre vision d’un monde vivable, qui serait à élaborer collectivement. Nous invitons toutes celles et ceux qui le veulent à venir nous voir et à papoter avec nous à propos de toutes ces choses. Ce sera aussi l’occasion de se rendre compte directement de ce que nous défendons : un Carnet libre et sauvage à l’abri des éco-pollueurs.
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