Un selfie comme point de départ.
À partir du 12 décembre dernier sur son compte Instagram, Théo Giacone s’est adonné à l’exposition publique de ses ultimes exploits culturistes. Si ce n’est le port d’un accoutrement singulier incluant la coiffe d’une cagoule, jusque là rien d’extraordinaire. Mais ostensiblement fixé sur la coque du téléphone portable utilisé par ses soins, un autocollant très caractéristique a été décelé sur cinq clichés. Le visuel reprend le sigle « VDL – BSK », en lettres blanches ceinturées de deux bandes rouges sur fond noir. Il s’agit du logo d’un groupe néonazi : les « Vandals Besak. »
Structurée de façon paramilitaire et semi-clandestine, la faction ne dispose pas d’un stand associatif ou d’une boutique numérique permettant l’acquisition du matériel visé. S’approvisionner sous ses couleurs ne se conçoit qu’au travers de ses rangs resserrés, traduisant ainsi cooptation et affinités. Une réalité qui en amène ensuite une autre, celle du sens posé par cette possession et son étalage malgré le palmarès de l’organisation. Ou comment les affinités d’un cadre du « Rassemblement National » tranchent avec l’image d’Épinal promise, pulvérisée par cette exposition infamante.
Le récit d’une ascension fulgurante.
Originaire d’une famille savoyarde de la classe moyenne, Théo Giacone s’est installé à Besançon en septembre 2020. Il s’est rapidement engagé auprès des instances locales du « Rassemblement National », intégrant l’organe de jeunesse « Génération Nation » ainsi que le bureau du Doubs. Devenu omniprésent au sein du parti, le jeune homme de vingt-et-un ans figure ainsi aux nombreuses actions militantes, parmi ses mentors Julien Odoul et Jacques Riciardetti, ou en tant que candidat de scrutins municipaux [1], départementaux [2], régionaux [3], et universitaires [4].
Malgré les doutes et les défections traversées par son camps [5], il ne s’est jamais départi d’un franc soutien à Marine le Pen. Une fidélité qui ne l’empêche pas d’œuvrer au-delà : réserviste dans l’armée et suivant une licence d’Histoire en deuxième année, il est aussi le fondateur et dirigeant du syndicat d’extrême-droite « la Cocarde étudiante. » Un mouvement qui ici n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais le patriote mise sur les sempiternels coups de com’ pour attirer d’éventuelles recrues. En somme un parcours politique exemplaire, aux antipodes d’une étiquette sulfureuse.
Game of Thrones ou Ku Klux Klan.
Toutefois ce curriculum vitae brillant finira par se troubler, à cause d’une photographie brièvement apparue le 30 juillet 2019 sur Facebook. Celle-ci montrait Théo Giacone affublé d’un masque grossier façon « Ku Klux Klan » exécutant un simulacre de salut fasciste, entre deux bouteilles d’alcool. Le modèle d’un jour s’en était expliqué à « l’Est Républicain » suite à un embryon de polémique, l’article rapportant alors la version d’une méprise avec la série « Game of Thrones » [6]. Le dossier en était resté là dans le microcosme bisontin, et depuis la maîtrise était de rigueur.
Sauf que depuis une litanie de connexions a attiré l’attention, d’abord avec la fréquentation d’un débit de boisson élevé en « quartier général » de la « Cocarde. » Théo Giacone s’y est maintes fois exposé, dont le 25 novembre dernier sur Instagram en proclamant : « pour nous rencontrer, tout se passe au pub de l’Étoile à Besançon. » Même si les tauliers ne sont pas au parfum, en tout cas ces hôtes là se sentent chez eux. Le fait que salariés et locaux soient accueillants à l’égard des « Vandals Besak » y a peut-être contribué, l’établissement essuyant une sinistre réputation en la matière [7].
Collages sous haute surveillance.
Une source affirme ainsi un véritable attachement de circonstances, bien ancré dans la réalité. Une connaissance de Théo Giacone rapporte la mise en place d’une coordination entre l’équipe RN/Cocarde et les néonazis : « Il était exaspéré par l’arrachage systématique de sa propagande, acte assumé par les antifas y compris sous ses yeux et à peine quelques minutes après la pose. Une demande de chaperonnage aurait donc été faite aux Vandals Besak, afin que ce genre d’issue ne puisse plus se reproduire. Dans cette entraide œcuménique, chacun trouvait son compte. »
Une combinaison étayée par plusieurs témoins, notamment durant la nuit du 24 novembre 2021 : « Nous étions quelques amis à proximité du bar de l’U., juste en face de l’Université. Alors que nous buvions au grand air, quelques personnes se sont activées près des panneaux d’affichage. Pas de quoi fouetter un chat. Mais nous avons surtout été intrigués par une poignée d’individus, cornaqués de noir et disséminés autour des premiers… on aurait dit une milice ! » Certains on cru y voir Alexandre Meuret et Florent Gaillot, deux têtes connues pour leurs penchants brutaux.
« Meine Ehre heißt Treue. »
Sur les diverses pages gérées par Théo Giacone, des interactions laissent deviner un répertoire dans lequel ce « voisinage » se confirme. Il y a Teddy Mairet, militaire ciblé pour ses tatouages glorifiant le IIIe Reich dont la devise de la SS [8] qui fut condamné en 2015 pour l’attaque d’une librairie [9], Alexandre Meuret, qui se décrit comme « H88ligan », Florent Gaillot, ancien du « Bunker » contre lequel une plainte pour violences court depuis le 2 décembre 2019, ou encore « Hélix Dijon », groupe identitaire mêlant entraînements à la boxe et marches aux flambeaux.
Au-delà de leurs parcours litigieux, ces échantillons forment surtout le coeur des « Vandals Besak. » Si ceux-ci n’ont émergé qu’à partir de l’été 2020, les individus qui la composent – dont Mairet, Gaillot et Meuret – s’étaient déjà physiquement « fait la main » en 2019-2020 notamment au « pub de l’Étoile » [10]. Le premier ensuite retenu au 2e régiment de parachutistes, les seconds s’illustreront avec leur nouvelle bannière lors du tabassage perpétré le 31 janvier 2021 [11] ou pendant l’opposition au pass sanitaire [12]… « Hélix Dijon » s’inscrivant comme supplétif de la sale besogne.
Une attache isolée et virtuelle dans un océan de « followers » ?
Dans le reste de la bande, on peut citer Sébastien Favier, condamné à sept reprises en particulier pour violences en réunion et détention illégale d’armes [13], Olivier Bordy, référent « Terre et Peuple » inquiété par une procédure suite à l’agression d’un journaliste [14], ou encore Philippe Tribout, passé sur le front du Dombass et actuellement incarcéré après une attaque raciste d’une rare sauvagerie [15]. Sans même aborder le reste du compagnonnage de Théo Giacone, composé d’activistes identitaires, maurassiens et nationalistes de toute la France, cet ensemble apparaît sérieux.
Une simple série de hasards ? Le raisonnement aurait sans doute pu être plaidé par Théo Giacone, jusqu’aux derniers clichés et témoignages compromettants. Entre discours policés et porosités ultranationalistes, trouver l’équilibre demeure un chemin de croix. Une tradition dans l’ex « Front National », ainsi que le rappellent le lancement d’une section « Génération identitaire » par Brice Malagoli à Vesoul [16], l’union confessionnelle de Jacques Ricciardetti avec la « Fraternité Saint-Pierre » de Besançon [17], ou le ralliement de responsables à l’équipe d’Éric Zemmour [18].
Au Rassemblement National, le silence est d’or.
Les statuts et le règlement intérieur prévoient pourtant la radiation « pour motif grave » (« atteinte à l’image » et/ou « manquement à la probité »), ainsi que « par l’adhésion à un autre parti ou groupement politique de droit ou de fait. » Le « Rassemblement National » du Doubs avait déjà été confronté à un dossier similaire en novembre 2015, un certain Florent-Pierrick Baumer étant apparu avec un tee-shirt néonazi [19]. Alors que la Présidente Marine le Pen promettait de « foutre ces personnes à la porte plus vite que la lumière », une mesure d’exclusion avait ici été prononcée.
Une résolution interne qui n’a rien d’accessoire en région Franche-Comté, dont la mémoire est encore maculée du collaborateur vichyste Roland Gaucher ou de l’auteur d’un attentat en 1988. Si les allégations visant Théo Giacone n’ont aucune commune mesure avec ses prédécesseurs, la nature de ses fautes présumées résonne néanmoins tout aussi difficilement. Dûment sollicité à ce sujet, à ce jour le parti n’a pas donné suite à nos requêtes. Persistance d’un « no comment » total ou initiation d’un examen de conscience de son poulain, le dilemme est aujourd’hui inévitable.
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