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« Il n’y a jamais eu autant de résistance de la part de l’Azawad, et autant de haine de la part du Mali »



Alors qu’un rassemblement de soutien aux Touaregs de l’Azawad est organisé à Dijon, Bilal - touareg franco-azawadien installé à Dijon - nous explique la situation là-bas dans un long entretien et appelle à un large soutien au mouvement national de libération de l’Azawad.

Est-ce que tu pourrais expliquer ce qu’est l’Azawad ?

Bilal : L’Azawad, c’est la zone du nord du Mali. C’est une vaste zone dans laquelle il y a plusieurs ethnies qui vivent, en particulier les Touaregs, mais aussi des Songhay, des Maures... Il y a eu beaucoup de changements politiques ces dernières années, depuis la rébellion des Touaregs et des autres populations de l’Azawad en 2012. C’est une zone riche (de pétrole, d’or, d’uranium...) mais abandonnée par l’État malien aux trafiquants, avec aucun développement et aucune autorité qui gère la zone. En 2012, il y a une révolte du MNLA - le mouvement national de libération de l’Azawad - beaucoup de choses importantes se sont passées, avec des interventions extérieures de la France et des forces de l’union africaine pour la lutte contre le terrorisme.

Qui luttaient aussi contre les militants de l’Azawad ?

Bilal : C’est plus compliqué que ça. Ces forces sont toutes contre l’indépendance de l’Azawad, mais elles sont surtout intervenues pour lutter contre le terrorisme. En 2015, après beaucoup de négociations, il y a eu un accord entre le mouvement indépendantiste touareg et le Mali, avec la médiation de l’Algérie qui devait être garante de cet accord. L’accord prévoyait une autonomie large de l’Azawad : les forces de l’Azawad seraient mixées avec les forces du Mali, tout en gardant le pouvoir central à Bamako. Les accords ont été signés, les Touaregs les ont acceptés mais le Mali ne les a pas respectés. Quelques points ont été travaillés, mais la moitié de l’accord n’a pas été mis en place.

Et il y a eu un putch militaire en 2020 ?

Bilal : Il y a eu plusieurs putch, mais le dernier a eu lieu en 2020. La première chose que les militaires ont fait, c’est de prendre l’accord et de le mettre à la poubelle. Ils ont chassé toutes les forces internationales qui étaient là pour le maintien de la stabilité de la paix. Ils leur ont demandé de partir, et elles sont parties. L’Algérie, sensée être garante de l’accord, n’a pas dénoncé ce qui se passait. Le mouvement indépendantiste a été surpris et s’est retrouvé face à une armée qui veut l’éradiquer, sans négociation, avec la complicité de la milice Wagner. Le Mali a montré qu’il ne veut plus la paix, mais simplement l’éradication de tout ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Les dirigeants du Mali parlent des indépendantistes comme de terroristes, tout Touareg en désaccord est traité comme un terroriste. Alors qu’avant toutes ces histoires, le Mali a aidé à l’installation de terroristes dans la zone de l’Azawad. Parce qu’à chaque révolte dans l’Azawad, des mouvements terroristes de trafiquants se sont alliés au Mali.

Les mouvements terroristes préfèrent l’instabilité créée par le Mali ?

Bilal : Oui exactement. Cette zone est un passage qui relie le Maroc, le Sahara occidental, et l’est de l’Afrique, principalement l’Egypte. C’est un passage de drogue, de tout ce que tu veux. Les trafiquants n’ont aucun intérêt à ce que cette zone soit sécurisée. Et ça, ça arrange le Mali, qui ne veut pas d’une indépendance touareg. L’État malien dit qu’il fait la guerre aux terroristes, mais ça n’a jamais été le cas. C’est un État voyou qui est toujours là pour réprimer, grâce à des alliances comme aujourd’hui avec les mercenaires russes. Depuis novembre 2023, toute la population de l’Azawad en désaccord avec le Mali est partie dans les pays voisins, en Algérie et en Mauritanie, parce que les gens sont attachés à leur indépendance et à leur autonomie, qu’ils veulent gérer leur vie et qu’ils savent qu’ils vont se faire massacrer s’ils restent. C’est déjà arrivé dans l’histoire : en 1963, Modibo Keïta, le premier président du Mali, a fait pareil contre les Touaregs. Le mouvement indépendantiste a donc abandonné les zones qu’il contrôlait. Il y a cette nouveauté des drones, que l’histoire touareg n’a jamais connu... Des drones, tu ne peux pas... Il faut se mettre à l’abri, parce que si tu n’as pas d’anti-drones, tu vas te faire écraser. Du coup, la junte militaire et ses mercenaires ont avancé et commencé, ville après ville, village après village, à tuer tous ceux qui n’obéissent pas. Ils voient tout le monde comme des rebelles.

Qu’est-ce qui s’est passé à Tinzaouatène la semaine du 25 août ?

Bilal : Tinzaouatène, c’est la dernière poche contrôlée par les indépendantistes de l’Azawad, c’est une ville frontalière de l’Algérie. Une colonne de l’armée malienne et de mercenaires russes a eu pour mission d’occuper cette dernière ville. Elle a été surprise par la résistance et a été décimée. Toute l’armée a été décimée, sauf quelques prisonniers parmi lesquels il y a des mercenaires russes. Quand les militaires et les mercenaires arrivent dans un campement, ils demandent aux gens s’ils y a des rebelles, ils cherchent des infos et ils humilient les gens pour qu’ils parlent. Sauf que les gens n’ont aucune infos, les rebelles ne vont pas donner d’infos à un berger. Mais ils font tout pour les faire parler. Quand il y a eu ces otages mercenaires, les Touaregs ont récupéré leurs téléphones et ont trouvé des vidéos de pillage et de vol. Dans une vidéo, on voit une femme pauvre touareg à laquelle on demande des infos. Elle dit qu’elle n’est pas au courant, qu’elle ne bouge pas de là où elle vit. Ils l’ont obligé à se déshabiller et ont filmé ça. Dans ces téléphones, il y a des preuves de l’humiliation et de la répression des populations pauvres. En ce moment, il y a une pause dans les combats après Tinzaouatène, mais ils se préparent pour une vengeance. Le projet c’est d’éradiquer tout ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. La situation en est là en ce moment, mais il y a de la résistance. Il y a de la résistance malgrès les différences de moyens militaires. Quoiqu’il en soit, ce sont des gens qui ont l’avantage du terrain, ils sont chez eux. Le Mali va se faire humilier, ca sera une honte et ça va le rattraper parce que ce qu’il se passse en ce moment c’est la dernière ligne pour la cause de l’Azawad. Il n’y a jamais eu autant de résistance de la part de l’Azawad, et autant de haine de la part du Mali. C’est le combat final, avec un gagnant et un perdant à la fin.

Est ce qu’il y a un genre de coordination entre les rebelles touaregs et les mouvements islamistes radicaux ?

Bilal : Il n’y a jamais eu de coordination. Ce qui se passe, c’est qu’il y a beaucoup de mouvements différents dans la région : il a le JNIM, le mouvement pour le soutien à l’islam et aux musulmans, qui a ses propres objectifs que moi je ne connais pas. Tu as l’Etat Islamiste, tu as Daesh, il y a tout le monde quoi. Avec le JNIM il n’y a pas d’hostilité en ce moment, par contre les autres mouvements sont pires que le Mali pour le mouvement touareg. Les Touaregs ne veulent surtout pas s’allier à eux, mais comme ce sont des mouvements très puissants ils s’imposent, et les Touaregs n’ont aucun intéret à faire la guerre à tout le monde. Le principal ennemi, c’est le Mali.

Pour bien préciser, l’Azawad ce ne sont pas que des Touaregs n’est-ce pas ?

Bilal : Aujourd’hui, le mouvement indépendantiste touareg est composé de beaucoup de monde différent, surtout des Peuls et des Maures. Les Maures sont des gens qui parlent un dialecte proche du mauritanien. En fait le nom « touareg » englobe à peu près tout le monde. Quand on dit « touareg », ce sont des gens enturbannés, avec des codes vestimentaires partagés par tout le monde dans la région. Donc moi je dirais que le nom touareg englobe tout le monde, mais si on voulait etre précis on dirait les Kel tamasheq, c’est-à-dire les gens qui parlent le tamacheq ; les Maures parlent le hassanya ; les Peuls parlent le peul ou le fulfuldé comme ils disent ; les Songhay parlent le sonhrai. C’est un peu complexe la définition du peuple touareg. La position des Songhay c’est un peu d’être neutre, ce sont des pecheurs qui vivent au bord des rivières, comme par exemple à Gao qui est leur capitale principale. Alors que les Peuls, les Kel tamasheq et les Maures sont plus engagés dans la lutte depuis toujours.

Est ce que tu peux nous dire ce qui te relie toi à cette lutte de l’Azawad ?

Bilal : Tout. Moi je suis né là-bas et j’ai grandi là-bas. Toute ma famille est de Kidal, la région tout au nord, mais il y a d’autres régions : les régions de Ménaka, Gao, Taoudenni et Tombouctou, voilà c’est un peu divisé comme ça l’Azawad. Dans la région de Kidal que je connais bien, j’ai beaucoup de proches, beaucoup de parents qui ont sacrifié leur vie pour la cause de l’Azawad, tués par le Mali ou ses alliés.
Et ce qui me relie aussi c’est qu’aujourd’hui on est au 21e siècle et que les gens vivent sur une zone terriblement riche, dans une pauvreté extrême. Mon devoir est donc de lutter pour qu’on puisse vivre dignement sur cette terre et profiter de ces ressources, sans que ce soit le Mali qui, sous la couverture d’un soi-disant Etat, fasse exploiter ces ressources par des puissances étrangères, sans accord ni partage avec les populations d’origine. C’est quelque chose que je n’accepterai jamais.

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La Russie voudrait donc exploiter les ressources là-bas ?

Bilal : Bien sûr, tout ceux qui sont passés là-bas avaient pour but d’exploiter ces ressources. Et le Mali est comme un intermédiaire. C’est un ouvrier au service des puissances étrangères, pour donner des autorisations, alors qu’il n’est pas chez lui pour donner ça. Il peut être là temporairement, car c’est la loi du plus fort qui s’applique aujourd’hui. C’est toujours avec l’aide d’une force étrangère qu’il arrive à se positionner dans la zone de l’Azawad. Sauf qu’aujourd’hui, on n’est plus comme dans les années 1960 où les Touaregs étaient enfermés dans cette zone. Aujourd’hui il y a des intellectuels touaregs qui sont partout sur la planète. La diaspora touareg, en Amérique, en Europe, oeuvre pour que cette zone retrouve son autonomie. Et le jour où des alliés voudront bien travailler avec eux, le Mali va partir, il va partir comme il est venu. Il est venu par la force, il partira par la force.

Pourquoi c’est important qu’il y ait des rassemblements en France ? On est loin...

Bilal : On est loin, mais c’est ici que la communauté touareg, azawadienne, est la plus nombreuse. L’histoire du Mali et de l’Azawad est liée à la France, à la colonisation. La France est dedans jusqu’aux oreilles. C’est le premier colon et la France espère toujours revenir. Aujourd’hui il y a un grand changement géopolitique, il y a une grande guerre des puissances. Dix ans en arrière la Russie n’était pas en Afrique et la France était partout. Dans toute l’histoire la Russie n’est jamais venue dans le nord de l’Afrique. Du coup il y a une guerre d’intérêts. Moi j’ai l’impression que la politique étrangère francaise a toujours l’espoir de retourner avec le Mali comme avant. Elle a toujours l’espoir qu’un jour les Russes partent et que la France revienne. Je pense cela, car je n’ai vu aucun intellectuel français ou aucune déclaration du gouvernement francais dénoncer ce qui se passe. Ils dénoncent la junte militaire, mais il faut savoir que cette junte représente quand même le Mali aujourd’hui. Même si la population n’est pas d’accord avec l’arrivée de cette junte au pouvoir, aujourd’hui il y a une fierté des pays de l’Afrique Subsaharienne d’avoir dégagé la France. C’est comme s’ils s’étaient sentis libérés. Moi je m’en fous, que ce soit la France ou la Russie au Mali ça m’est égal. Ce que je souhaite, c’est que la France et l’Union Européenne en général regardent d’un bon oeil les Touaregs. Les Touaregs ont besoin d’alliés, ce sont de bons partenaires, on peut travailler avec eux. C’est le moment de saisir cette occasion.

Aujourd’hui il y a un rassemblement de soutien à l’Azawad à Dijon, pourquoi à Dijon ?

Bilal : En janvier, nous avons participé à la première manifestation touareg à Paris, en réponse à un appel des Kabiles. On nous a demandé de tous venir pour soutenir la cause de l’Azawad. Nous y sommes allés depuis Dijon, depuis partout en France, on a fait une super bonne manifestation qui a été une réussite. En repartant on a réfléchi à commment refaire un truc pareil. On a tout de suite pensé à Dijon, car il y a ici une bonne communauté touareg qui a commencé à arriver en 2012. C’est une des grosses commmunauté en France, qui a été aidé par des collectifs et des associations et notamment le Quartier des Lentillères. Il a eu cette rencontre avec les Lentillères qui a favorisé l’installation touareg à Dijon. Car il y a eu ce croisement de l’esprit et du mode de vie entre Touaregs et habitants des Lentillères, c’est vrai !
La communauté touareg s’est donc agrandie, ce qui fait que c’est plus facile d’organiser un rassemblement ici qu’ailleurs. Avec le soutien du collectif soutien asile 21 aussi, sans oublier la Ligue des Droits de l’Homme qui a fait la déclaration de la manifestatiton à la préfecture.

Tu aimerais qu’il ressemble à quoi ce rassemblement aujourd’hui ?

Bilal : J’aimerais qu’il y ait du monde, et pas que des Touaregs. Des Dijonnais qui viendraient pour dénoncer la situation et être au côté des Touaregs parce que c’est le moment ou jamais, c’est maintenant que les Touaregs ont besoin de soutien. Il y a aussi des intellectuels touaregs qui vont venir de Paris, de Lyon, de Strasbourg, qui vont prendre la parole. Et à la fin de la manifestation il y aura un repas partagé avec les Touaregs aux Lentillères. On voulait faire un concert de musique touareg en fin de journée, mais tout le monde n’était pas d’accord car il y a eu beaucoup de morts en Azawad ces 20 derniers jours, c’est donc une période de deuil et la musique touareg est une musique de fête... Mais ce n’est que partie remise !

Est ce que tu veux ajouter quelque chose ?

Bilal : Moi je suis un simple franco-azawadien, et je préfère dire azawadien que malien parce que je ne me suis jamais senti malien. Ce n’est pas que je me sente supérieur aux Maliens, parce que j’aurais un tein de peau clair ou je ne sais quoi, ça n’a rien à voir avec ça. La vérité, c’est qu’il n’y a rien qui me relie avec le Mali, l’histoire, la langue, la culture, rien. C’est blanc et noir. Simplement, quand la colonisation française s’est arrêtée, elle nous a laissé avec le Mali.

J’aimerais dire qu’il faut chercher l’info, qu’il faut s’intéresser à la situation des Touaregs et essayer de savoir ce qu’il se passe vraiment. Car il y a une forte propagande du Mali pour faire passer les Touaregs pour des mouvements terroristes islamistes. Les Touaregs sont un peuple pris en otage entre le terrorisme malien et le terrorisme international, il faut le savoir. Les Touaregs ont besoin d’alliés, prêts à les soutenir publiquement. Il faut s’intéresser, il faut s’approcher des Touaregs.

Rassemblement pour le soutien de l’Azawad contre la junte militaire malienne et la milice wagner

8 mois après la rupture de l’accord d’Alger en janvier, la junte militaire malienne (soutenu par la milice Wagner) a bombardé le 25 août le village de Tinzaouatène, tuant 21 civils dont 11 enfants. Rassemblons-nous samedi 31 août à 16h place Darcy pour manifester notre soutien au peuple de l’Azawad !

31 août


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