Murs blancs peuple muet



L’art dans la rue n’est pas spécifique au XXe siècle. Déjà dans l’Antiquité, la rue était le terrain préféré des tenants du pouvoir qui affirmaient ainsi leur importance, par des statues exhaltant leur génie par exemple.

C’est après un grand saut dans le temps, dans les années soixante, que l’art quitte l’espace autorisé et élitiste des musées, suivant l’effervescence révolutionnaire de l’époque. Pour illustrer la richesse de cette décennie, citons un des pionnier de la désertion des galeries : Gérard Zlotykamien, ou encore l’atelier de création populaire des beaux arts en 1968.

Évidemment l’attrait de la rue chez les artistes existait déjà, indirectement chez les surréalistes et les affichistes, directement dans les fresques murales révolutionnaires en Amérique latine, répondant à l’appel de Diego Riveira dans les années trente.

L’art dit urbain ou sauvage ne pouvant être résumé dans cet article dans toutes ces nuances et toutes ces implications politiques, nous avons choisi deux exemples illustrant a la fois cette tendance de l’art contemporain et la floraison culturelle des eighties.

Dans les 80’s, un mouvement naît de la rencontre de trois étudiants dans les catacombes : VLP (traduisez Vive La peinture). En 1983, Michel Espagnon, Jean Cabaret et Martial Jalabert se retrouvent autour d’une volonté commune : faire revivre la peinture et faire «  cracher  » la couleur sur les murs gris. Ils peignent en commun des fresques signées «  Vive la peinture  » ; en revendiquant le lâcher prise et l’expression libre, ils peignent dans la rue, de préférence sur les palissades des chantiers.

Ils passent ensuite à des œuvres plus spectaculaires : dissection à la tronçonneuse de morceaux de palissades, et en 1984, organisent des rassemblements de graffeurs, fresquistes et peintres sur plusieurs kilomètres le long du canal de l’Ourcq, à Bondy. Pendant un temps, ils quittent la rue mais y reviennent au tournant du millénaire avec un prototype nommé Zuman. Zuman apparaît suite à un appel lancé sur le net aux artistes du monde entier en leur demandant d’envoyer un portrait de profil. Suite aux très nombreuses réponses reçues, ils obtiennent un prototype du profil-type avec l’aide d’un informaticien, qui superpose tous les profils récoltés. Le profil est ensuite exposé sur toiles ou dans la ville, collé sur des murs, des arrêts de bus… porteur de messages tels «  J’existe  », «  Je résiste  » ou «  Retour des murs vivants  ». Zuman est aussi utilisé sur des pancartes lors de manifestations devant Beaubourg ou sur les colonnes de Buren. Les VLP, en affichant Zuman à hauteur d’homme (et de femme) affirment leur volonté d’inclure le passant dans une réflexion collective sur la réappropriation de l’espace public par l’art ainsi que sur l’existence d’un art éphémère par définition.

La carrière de Jean Faucheur commence dans la même période par une pratique plus traditionnelle de la peinture. Face au refus des galeries de l’exposer, il décide d’exporter son art dans la rue. Son support de prédilection est l’imposant panneau publicitaire 4×3. Nous sommes au début des années 80, période d’effervescence artistique urbaine. Peu à peu dans la capitale, les supports publicitaires aliénants sont recouverts de figures colorées quasi cubistes et quelquefois obscènes. Dès 1984 il délaisse cette forme d’art pour exposer dans des galeries new-yorkaises ; l’exposition avec les frères Ripoulin, autres artistes urbains, étant un fiasco, il retourne en France et s’isole à la campagne pour s’initier à la sculpture. Fort heureusement pour le passant, il se lance à nouveau à l’assaut des panneaux publicitaires. C’est dans ce cadre qu’Art et Toit, un squat d’artistes de Vincennes le contacte : il rencontre des artistes comme Atlas et Tom-Tom. Suite aux conseils de ce dernier, il recouvre des affiches 4×7 (ayant un effet plus lobotomisant que le 4×3, de par sa taille plus imposante). Des projets d’envergure voient le jour, comme l’exposition «  Une Nuit  », où différents artistes se réapproprient l’espace urbain. Cette intervention réunit des artistes de sensibilités différentes mais ayant en commun la volonté d’utiliser la rue comme support artistique. Cette guerilla artistique aura été précédée par une autre intervention intitulée «  Implosion/Explosion  ».

Rappelons la pertinence subversive de l’art urbain : gratuit, accessible à tous, il est aussi la réappropriation de l’espace collectif rongé par le bitume et la pollution publicitaire. Citons Buren (qui à l’époque avait oublié d’être con) « le musée est une arme dangereuse entre les mains de la bourgeoisie ». Devant le cynisme actuel d’ une partie de la production artistique contemporaine, sa marchandisation et son fonctionnement par réseau de connivence, travailler in situ est une réponse pertinente. Cet acte permet de ramener l’art au cœur de la vie, c’est à dire à sa véritable place.

Alors vous aussi, exprimez-vous et redécorez la ville !

We are all ready-made artist !



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