Pour la forêt de Branches (89) : « On peut vivre sans avion, mais vivre sans forêt on ne le pourrait pas »


Yonne

Mercredi 8 janvier à Auxerre était organisée une manifestation contre l’extension de l’aérodrome d’Auxerre-Branches qui devrait entraîner la disparition de 33 hectares de la forêt de Branches. Nous avons été quelques personnes à se joindre à leur appel.

Une forêt sous la pluie

14h. Nous décidons dans un premier temps d’aller visiter la forêt de Branche à l’invitation d’une amie afin de nous en imprégner avant de rejoindre la manifestation d’Auxerre qui a lieu à 17h. La partie de la forêt menacée que nous visitons est un espace écologiquement rare pour le département de l’Yonne. C’est un îlot de sol acide dans un océan de sol calcaire alentour, vestige d’une dune sableuse sur laquelle s’est développée une lande parcourue de bruyère cendrée, de genet, et d’une étendue de carex qui court dans les sous-bois, il y a même par endroit quelques mini-tourbières…c’est dire que l’on touche au Graal des milieux protégés. Pour ces raisons cette partie de la forêt est site Natura 2000 et ZNIEFF2. La forêt est appréciée des riverain·es : des athlètes la pratiquent pour y courir, les familles la parcourent le dimanche, les chiens y batifolent comme des petits fous et on y trouve une multitude de cabanes de fortune qui rajoutent une note bucolique à l’endroit. En hiver quand il pleut et que l’on marche dans le sous-bois, comme nous l’avons fait, en suivant les sentiers, ce que l’on a sous les pieds ce n’est pas de la boue mais du sable fin.

Le voici ce foutu aérodrome. Le paysage qui s’offre à nous tranche avec l’attendrissante forêt que nous venons de traverser : une vaste clairière plane pour accueillir les avions ; une surface désolée et aride qui vient rompre avec la frondaison protectrice du sous-bois. Nous longeons de hautes grilles qui en interdisent l’accès, où prospèrent encore sur les bords quelques buissons de bruyères et autres végétaux trapus, jusqu’à avoir une vue sur les bâtiments de l’aérodrome plongés dans le brouillard. On se dirait dans un vieux James Bond qui se passerait en Sibérie. Nous avons même le privilège d’assister au décollage d’un petit avion, bruyant à souhait qui marque d’une empreinte caractéristique la quiétude sylvestre. C’est justement là où nous nous trouvons que les arbres vont êtres coupés. Un peu navré et notre curiosité repue nous retournons vite aux voitures pour rejoindre la manifestation.

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Annulation de la manifestation

17h30. La manifestation prévue a été annulée par le préfet au prétexte qu’il faisait nuit et qu’il n’y avait pas assez de flics pour l’encadrer... Nous nous retrouvons donc sur une place en retrait, à l’arrière de la mairie, ou se tient un joyeux rassemblement armé de panneaux exprimant la colère des manifestant·es, il pleuviote encore mais pas de quoi entamer la détermination des personnes présentes. Quelques gardes mobiles en faction ruminent leur ennui, le regard impavide, à quelques mètres de la foule et attendent avec impatience la fin de cette journée maussade.
Un groupe de personnes debout sur un grand escalier font face de la foule, du haut de celui-ci un homme affublé d’un chapeau de cuir s’adresse à la foule. Oui il faut signer cette pétition qui vient d’être distribuée et oui il faudrait participer à l’enquête publique bien que cela soit décourageant pour le plus grand nombre. Le piège de cette enquête publique c’est qu’elle ne porte que sur le Plan de servitudes aéronautiques (PSA [1]) et non pas sur la dimension de l’impact environnemental du projet. Est-ce que le commissaire enquêteur sera à même de retenir les remarques faites sur les questions écologiques ? Va-t-il débouter ou retenir ces contributions ? Sera-t-il impartial ? Le mystère reste entier, quoi qu’il en soit il ne faut pas douter, rien n’est encore joué.

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La foule est composée de beaucoup de têtes blanches, elle écoute calmement mais semble alerte.
Où est la jeunesse ? Pas à Auxerre semble-t-il, elle est partie pour les études ailleurs, à Dijon, à Paris. Il y a tout de même un peu de monde malgré l’interdiction de la manif et l’ambiance est chaleureuse. L’homme au chapeau continue. Ce rapport est consultatif, et comme pour donner bonne mesure il rappelle qu’en plus cette participation à l’enquête publique, qu’il faut massive, n’est pas anodine. Il reste d’ailleurs 3 semaines pour obtenir 10 000 signatures pour la pétition qui s’adresse à monsieur Gérard Delille, le président de l’agglomération qui a validé le projet de remise aux normes de sécurité de l’aérodrome. Il y a un tout un foin autour de restrictions qui limitent la possibilité à des avions de plus de 30 places de pouvoir atterrir d’où la nécessité de reprendre et recalibrer le Plan de Servitudes Aéronautiques. Celui-ci une fois changé conditionnera le Plan Local d’Urbanisme et permettra d’intervenir pour tailler et détruire une trentaine d’hectares de cette forêt reconnue comme une zone naturelle protégée... Rien ne saurait résister aux dérogations à la faveur d’intérêts privés semble-t-il.

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Visite nocturne d’Auxerre : préfecture et gilets jaunes

Une fois l’allocution terminée notre petit groupe entonne une chanson spécialement composée pour l’occasion en signe de soutien à cette lutte, la foule un peu surprise au début reprendra refrain et couplet avec sympathie. Suite à quoi il est prévu qu’une délégation rencontre le préfet qui a refusé la manifestation. Une partie du rassemblement, guidée par des gilets déterminés commence à se diriger vers la préfecture mais la marche est aussitôt bloquée par les flics. Avec quelques-un·es nous trouvons le moyen de les contourner pour essayer de rejoindre la préfecture.

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19h. Nous sommes une petite dizaine de personnes au pied de la fastueuse église Saint-Etienne, tout juste à côté de la préfecture qui est inaccessible malgré notre détermination. La petite pluie est tenace, un groupe fait face aux quelques gardes mobiles qui leur barrent l’accès. Les gardes mobiles toujours impavides, las, regardent avec incrédulités notre groupe qui se joue de leur présence avec une gentille insolence en chantant des slogans de gilets jaunes détournés. Tandis qu’à côté, comme si deux mondes cohabitaient sans se voir, les représentants de la délégation qui viennent de sortir font le compte rendu de leur rencontre avec le préfet, l’un d’eux insiste sur le fait que lui et ses collègues, engagés dans cette lutte contre l’extension de cet aérodrome, ne sont pas « des agitateurs », probablement à la différence doit-il penser de ce groupe de jeunes entêtés qui s’amusent juste derrière.

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Ensuite, sur l’invitation des Gilets jaunes d’Auxerre nous allons à leur assemblée hebdomadaire qui se tient pas si loin de là, dans une salle prêtée par la mairie quand ils n’occupent pas le McDo du coin, ce qui désespère régulièrement le gérant, quand ce même local n’est pas disponible. On discute de cette forêt et des choses qu’on pourrait y faire pour la protéger. C’est chaleureux à souhait. Avant de les quitter on partage un petit moment de convivialité : on boit, on mange, on fait connaissance et ciao Auxerre.

Enjeux territoriaux et promesse de ruissellement dans l’Auxerrois.

L’aérodrome d’Auxerre-Branches a été Construit en 1973 sur le territoire de quatre communes provoquant la destruction de 300 hectares de forêt. Le Site est constitué d’une piste de 100 hectares, de hangars pour les avions, de locaux, d’une tour de contrôle, etc. Le projet a notamment vu le jour pour les besoins de l’équipe de foot d’Auxerre, la mythique A.J.A, qui à l’époque représentait un espoir pour atteindre la ligue 1. Selon Jean-Pierre Soisson, ex-maire d’Auxerre le site de la forêt de Branches avait été choisi car « les alentours étaient des terres agricoles intouchables. Il y avait ce grand espace, cette grande surface plane où se trouve à présent l’aérodrome ». À l’époque les questions d’écologie et d’environnement ne se posaient pas pour de tels projets, il faudra attendre 1977 pour que la première loi de protection de la nature soit appliquée en France. En gros les espaces naturels étaient encore plus menacés par les ambitions mercantiles que maintenant. Pour des élus d’une région rurale comme l’Yonne, dont l’une des activités économiques les plus importantes est l’agriculture intensive, il est plus facile d’exproprier du foncier forestier que du foncier agricole pour ne pas courir le risque de s’attirer la colère des agriculteurs.

Ce plan de réhabilitation du Plan de Servitudes Aéronautiques validé par les collectivités territoriales se réalise sous la pression d’intérêts privés qui tentent une remise en forme d’une partie du parc aéronautique français. La société Edeis, l’alliance entre le fonds d’investissement Ciclad et la société de participation Impact Hodings, a racheté, il y a peu, les droits d’exploitation (soit des obtentions de la délégation de service public) d’une vingtaine d’aérodromes et de quelques aéroports français – par exemple celui de l’aéroport de Dole Jura qui était détenu par le conseil départemental du Jura. Privatisation de bien public dit-on. La société Edeis ne cache pas ses ambitions, elle prétend pouvoir sortir du déficit l’ensemble du parc aéronautique dont elle est à présent propriétaire et pour ce faire elle doit investir et proposer des nouvelles prestations en termes de vol, prestations qu’on peut imaginer luxueuses et au service d’une catégorie sociale qui touche rarement le sol. Ce qui se passe en ce moment pour la forêt de Branches se déroule ailleurs en France. Edeis s’est donc promis de doubler d’ici 5 ans les bénéfices issus de l’exploitation de ces aérodromes. Cela ne s’effectuera non sans compter sur les aides d’investissements publics très coûteux comme le souligne les membres du « collectif citoyen pour la forêt de Branches ».

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D’ailleurs, selon leurs calculs chacun des vols effectués à l’aérodrome coûte déjà 400 euros de subvention publique. L’une des représentantes de la délégation qui a rencontré le préfet au moment du rassemblement a bien insisté à ce sujet : « La société Edeis se fait des revenus sur le dos des collectivités locales avec des promesses de rentabilités économiques. C’est de l’argent public qui pourrait être utilisé à autre chose. On disait au Préfet que l’accessibilité à Migennes (où se trouve la gare ferroviaire permettant de rejoindre Paris) pour les habitant·es d’Auxerre et de l’agglomération est un scandale. Notre combat est certes environnemental mais, il est aussi économique concernant la question de la mobilité au sein de la communauté de commune. »

Il n’y a pas que les forêts qui brûlent : Peur des pouvoirs publics et crise écologique

Pourquoi monsieur Henri Prevost, préfet du département, dont le jour de prise de ses fonctions était le même jour que celui de cette manifestation, a-t-il décidé d’annuler cette initiative pacifique et citoyenne, dont le but légitime est de solliciter les élus et de débattre des choix faits par les pouvoirs publics ? Avait-il peur des « agitateurs » potentiels ? Ou cherche-t-il explicitement à réduire l’écho de cette nouvelle mobilisation qui vient se rajouter à bien d’autres dans toute la France ? [2] Ce qui est significatif c’est la peur du gouvernement, des préfets, c’est l’état de fébrilité dans lequel tout ce petit monde se trouve depuis plus d’un an, suite au mouvement des Gilets Jaunes et auquel vient se rajouter ce grand mouvement de grève en cours. On entend parler quotidiennement dans les médias d’effondrements de la biodiversité, de réchauffement climatique, d’urgence écologique, etc. Le projet d’extension, et donc la disparition des 30 hectares de forêt « contribuerait au réchauffement climatique », et « il est climaticide » comme le rappelle le communiqué de la manifestation. Le sens commun se perd entre les élus qui ne voient que de grands projets et les habitants qui sont attachés à leur territoire et à la manière un peu sensée de le lui donner consistance en préservant ce qu’il reste d’un peu sauvage ; ils ne partagent plus la même vision du monde. C’est à l’image d’un Macron qui prend des postures de protecteur de la nature tout en ouvrant grand les vannes pour le camp de l’économie et de la finance sans frein et discernement. Le projet d’extension est une de ces fameuses promesses de ruissellement. Le moindre péquin du coin sait que l’argent va à l’argent et que très loin derrière se trouvent les préoccupations communes. C’est toute cette bande de petits malins impénitents qui contribuent à accroître les crises écologiques par leur choix politique, économique. Aveuglés par leur vanité ils prétendent pouvoir éteindre le feu qu’ils entretiennent et aggravent activement. Le monde s’embrase à tous les niveaux de l’existence, mais ils ont pas l’air de le comprendre : les consciences s’échauffent…

Nous n’avons pas d’autres choix que de nous mobiliser et de soutenir ces initiatives de protestations, comme à Auxerre pour la forêt de Branches. Et qu’il y a fort à parier que notre avenir dépendra de ces mobilisations : les retraites, le mouvement pour le climat, etc. Pour les gilets jaunes d’Auxerre il est évident de rejoindre la lutte en cours pour la forêt de Branches quitte à ce que cela se passe sur le terrain. C’est par la rue et pas dans des bureaux aux ambiances feutrées qu’un monde plus désirable peut advenir.

Pour indication et suivre cette affaire :

La prochaine manifestation aura lieu le 1er février à 15h à Auxerre.

D’ici là, on peut tous apprendre à chanter "Mais vivre sans forêt", sur le thème de La tendresse de Bourvil :

« On peut vivre sans avion,
et même sans voiture,
sans moteur à explosion
ni hydrocarbure

mais vivre sans forêt on le pourrait pas,
non, non, non, non

On peut vivre sans préfet,
sans maire et sans flic
sans patron et sans armée
y a même plus besoin d’fric
mais vivre sans forêt il n’en est pas question,
non, non, non, non
il n’en est pas question »


P.-S.

Un lecteur nous a aussi envoyé une intervention à propos de l’impact du projet sur la mobilité, pour que nous la joignons à l’article. La voici :

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Notes

[1Les plans de servitudes aéronautiques définissent les servitudes destinées à assurer la sécurité des approches et des décollages des aéronefs aux abords des aérodromes et à faciliter la maintenance des équipements de ceux-ci.

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  • Le 23 janvier 2020 à 17:35, par Lionel Deschamps

    Bonjour bravo pour ce reportage impeccable.

    L’homme au chapeau (de cuir ? Pas sûr...) s’appelle Pascal Paquin, inlassable animateur et fondateur de Yonnelautre, soutien du collectif pour sauver la foret de Branches.

    Dommage de ne pas avoir cité l’intervention sur la mobilité qui fait partie du combat (jointe au message).

    A propos de chanson, il en existe une créée spécialement pour le collectif (jointe au message).

    Bien à vous,

    Lionel

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