Justice pour Bety et Jyri !
Présentation / Discussion avec Omar Esparza, militant de MAIZ à Tehuacan, Puebla au Mexique.
A l’Espace Autogéré des Tanneries
Jeudi 07 décembre / 19h / Gratuit
Il y a 13 ans Bety Cariño et Jyri Jaakkola étaient assassiné.es par un groupe paramilitaire alors qu’iels participaient à une caravane visant à rompre le siège d’un village qui avait déclaré son autonomie politique en s’inspirant de la lutte zapatiste. Omar nous parlera de ces 13 années à lutter contre l’impunité et à faire vivre leur mémoire et à exiger justice ainsi que de la disparition forcée de Sergio Rivera Hernandez, autre militant de MAIZ qui luttait contre l’implantation d’une usine hydro-éléctrique.
Plus largement nous pourrons discuter de la situation des défenseurs des droits humains et des militants écologistes au Mexique.
Nous pourrons également échanger sur les expériences et tentatives d’autonomie politique au Mexique et en Europe.
En prévision de la discussion qui aura lieu aux Tanneries ce jeudi 7 décembre, nous partageons un texte écrit il y a une dizaine d’années par un visiteur français alors qu’il participait aux activités de l’organisation CACTUS dans laquelle Bety et Omar militaient dans l’État de Oaxaca au Mexique. Bety a été assassinée en 2010. Omar n’a eu de cesse de demander Justice et Vérité. Il nous racontera cette longue lutte et nous parlerons de la situation des militant.es mexicain.es et d d’autonomie.Quelques paragraphes ont été ajoutés à la fin de ce texte pour donner des éléments de compréhension à propos de l’assassinat de Bety et Jyri.
Rompre le silence
J’étais chez eux, le 1 février 2008, lorsqu’ils fêtaient leur première année d’autonomie. Il ne faisait pas très beau. Il ne fait jamais très beau à Copala. Pour l’occasion, on débitait à la hache la carcasse d’un gros taureau noir. Bouilli durant des heures sur un grand feu de bois, ça reste coriace et filandreux.
Les Triquis forment un peuple situé dans les montagnes de la Haute Mixteca, état de Oaxaca, Mexique. Au fond d’une cuvette se trouve leur ville principale, San Juan Copala. Depuis un an, une partie du peuple triqui a décidé de sortir du jeu des partis politiques qui, invariablement, charrient dans leur sillage division, corruption et narcotrafic. Ils se sont déclarés autonomes. La constitution de la République fédérale mexicaine reconnaît aux peuples indigènes le droit à l’autonomie. « Art. 2. A. Cette constitution reconnaît et garanti le droit des peuples et des communautés indigènes à la libre détermination et, en conséquence, à l’autonomie (...). ». Pas mal. Sauf que les gouvernements successifs ont oublié de légiférer sur ce point. Résultat : un peuple ou une communauté indigène n’a pas de personnalité juridique. Donc il n’existe pas. Personne n’a le droit à l’autonomie dans la République fédérale mexicaine.
Depuis quelques années, un certain nombre de communautés mexicaines ont décidé de prendre ce qui leur revenait de droit. Les plus connues sont les zapatistes du Chiapas avec leurs gouvernements autonomes, leurs écoles autonomes, leurs cliniques dentaires autonomes... Ils ne sont pas les seuls. Dans l’état de Guerrero, face à l’inaction des autorités régionales, des villages se sont organisés pour former une police et une justice communautaires et autonomes. Dans l’état de Oaxaca, San Juan Copala est la première municipalité à revendiquer son autonomie.
Ce 1er février, un autre événement, symbole d’autonomie, devait voir le jour à Copala : la première émission de la radio communautaire Radio Triqui, La Voz que Rompe el Silencio (La Voix qui Rompt le Silence). On avait tout bien installé et évidemment, ça ne marchait pas. Les deux futures locutrices, Féli et Téré, étaient toutes excitées et cachaient leur rire nerveux derrière leurs petites mains. Quand on leur demanda de préparer un texte pour faire un spot de la radio Triqui, elles récitèrent à deux voix : « Certains pensent que nous sommes trop jeunes pour savoir... Ils devraient penser que nous sommes trop jeunes pour mourir. Radio Triqui, La Voix qui Rompt le Silence. ». Sur fond de violon traditionnel triqui. Bart le Californien et moi, ça nous avait bien coupé la chique, un spot pareil.
Puis des gamins sont passés avec un poste de radio collé à l’oreille en criant : « On entend, on entend ! ». Quel événement ! Radio Triqui, la radio du village, la radio de la région, la radio des Triquis, petit peuple perdu au milieu des Mixtèques. Je frissonnais d’excitation, les ondes de la toute nouvelle radio faisaient déjà effet. Une radio communautaire est une radio créée à des fins non commerciales, devant servir la communauté par des programmes éducatifs, divertissants, émancipateurs. Font partis des objectifs la sauvegarde de la langue, la promotion de la médecine traditionnelle, la diffusion des droits de l´homme et de la femme, etc. Plus que tout, c’est la participation de toute la communauté qui fait de la radio un média réellement communautaire.
Avoir une radio, c’est avoir une voix. C’est donc un grand pouvoir.
Le 7 avril, Féli et Téré s’en revenaient de la communauté de Llano Juarez. Sur la route, deux camionnettes ont voulu les intercepter. Puis les balles ont commencé à se répandre au hasard sur la voiture des deux jeunes filles. Une balle a traversée le bras du chauffeur qui est parvenu à s’enfuir. Les deux locutrices, âgées de 22 et 24 ans, sont mortes sur le coup. Qui peut désirer ce genre de choses ? L’état ? Des caciques locaux ? Une organisation triqui rivale ? Il y a ceux qui commanditent, ceux qui favorisent, ceux qui laissent faire... Ne laissons pas faire. Ouvrons-là bien grand chaque fois que cela est possible avec des mots, des sons ou des gestes et rompons-le, ce sacré silence.
2 ans plus tard : Bety et Jyri assassiné.es dans une embuscade
En 2008 au moment de l’assassinat de Tere et Feli cela fait déjà quelques années que l’association CACTUS et plus particulièrement Omar et Bety accompagnent le processus de construction de l’autonomie de ce village situé au sein de la région Triqui. Iels favorisent les liens et les échanges avec d’autres collectifs, groupes et communautés organisés de l’État de Oaxaca qu’iels avaient eux-même rencontrés pendant le moment insurrectionnel de 2006 dans lequel iels s’étaient engagé.es corps et âme. A San Juan Copala iels apportaient soutien politique, organisationnel et matériel avec les moyens du bord : émetteur pour la radio, mise en place d’un lycée autogéré,....
La tentative de construction de l’autonomie de la communauté prenait forme lorsqu’elle a fait face à cette première attaque armée. L’hostilité affichée depuis le début par les détenteurs du pouvoir localement s’exprimaient dans sa version la plus cruelle.
Pour CACTUS il fallait renforcer son soutien malgré les intimidations et les menaces de mort pour rompre l’isolement auquel les organisations politiques et les partis corrompus voulaient réduire le village. Mais malgré ces efforts, l’étau se resserre petit à petit autour de San Juan Copala. Des barrages commencent à apparaître. D’abord sporadiquement, puis de plus en plus régulièrement. Des hommes armés arrêtent les voitures qui tentent de rejoindre le village. Puis un siège complet est mis en place par les paramilitaires à la botte du pouvoir afin de contraindre les autorités du village à renoncer. Plus personne ne peut entrer ou sortir, des tireurs postés sur les collines avoisinantes font régulièrement résonner les coups de feu et visent les habitations. Un homme est tué. Le blocus est total, plus aucune communication n’est possible.
Un convoi est alors organisé par CACTUS et une série d’organisations mexicaines afin de rompre ce siège et d’amener vivres, médicaments et appui solidaire. Cette caravane humanitaire est accompagnée par des journalistes militants et des observateurs internationaux.
Quelques kilomètres avant d’arriver à San Juan Copala, des pierres posées sur la route obligent les les véhicules à s’arrêter. Aussitôt une quinzaine d’hommes en civil cagoulés sortent des sous bois et ouvrent le feu à l’arme automatique sur le véhicule de tête tuant Bety et Jyri, un observateur finlandais. Les autres occupants réussissent à s’enfuir à travers la montagne.
Nous sommes le 27 avril 2010.
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