Ce texte daté au 10 juillet et traduit ci-après, a été publié le 16 juillet sur Carmilla on line.
Il a valeur de témoignage, d’un traitement contraire à la dignité humaine d’une personne malade, sans doute gravement, et pour ainsi dire privée des soins que son état nécessiterait.
Or la demande à pouvoir « cantiner » comme n’importe quel autre détenu, et à fortiori dans le cadre d’une hépatite, a été reçue par un battage médiatique d’une grande obscénité en Italie.
Vous pouvez également, si vous le préférez, écouter l’enregistrement vocal par l’équipe de « La Criée » (radiolutte Tcb)

Si cette traduction suscitait des questions, elles seront les bienvenues.
Batterie ministérielle
Dire qu’en prison on souffre de privations sans égales est sans doute une tautologie.
Tout comme il est presque impossible de parler de la prison sans tomber dans le cliché.
Je me suis demandé quelques millions de fois s’il avait jamais été possible de restituer l’idée, de restituer une seule image, aussi banale soit-elle, mais révélatrice, de l’insaisissable souffrance que seul un prisonnier peut comprendre. Je me suis posé cette question atrocement au cours de ces 40 années de semi-liberté arrachées à la férocité de mes poursuivants. Chaque fois que m’apparaissait de loin et sous toutes les latitudes, l’enceinte spectrale d’une prison. Si c’était dans un pays au climat torride, je savais qu’au-delà du gris sale de ces murs, des centaines de personnes suffoquaient sous la chaleur - dans les hivers européens, j’imaginais le silence glacé d’une cellule, le poids exagéré de couvertures qui ne réchauffent pas. J’ai fait de ces images un bouclier pour ne pas me laisser entraîner par mille autres douleurs qui m’auraient consumé sur place. Car, pour combattre l’insupportable oppression, l’inconscient nous secourt en éliminant tout ce que nous ne pouvons pas nommer. Même aujourd’hui, depuis la cellule où je me trouve, je maudis le bruit de mes pas qui s’éloignent pour m’empêcher d’entendre les gémissements derrière ces murs.
Pourtant, la prison résiste à tous les civismes, voire pire encore. Et les souffrances que le prisonnier espère pouvoir faire comprendre, ne doivent jamais trop se détacher des souffrances que les gens de l’extérieur subissent également. C’est pourquoi les prisonniers, qui renonceraient sans hésiter même à manger ou à dormir en échange du sentiment d’être encore des femmes ou des hommes, se retrouvent à réclamer ce qui est le plus facile à nommer.
C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité rendre publique une demande simple, formalisée ce jour 10 juillet 2020 devant le juge.
Après un transfert spectaculaire jusqu’au Tribunal de Cagliari – Surtout maintenir haut l’indice de dangerosité du monstre ! - quelques minutes m’ont été concédées pour tenter de dire l’indicible, sous le regard horrifié du P.M., et joindre à l’audience le document suivant, qui, bien que personnel, reflète de manière spéculaire la situation de milliers d’autres personnes enterrées vivantes.
Au Bureau de surveillance de Cagliari
"Suite à l’intervention de ce Bureau de surveillance ces derniers mois, les aliments industrialisés, souvent périmés, trempés dans la graisse et autres aliments frits similaires ont été suspendus. Remplacé par à peine un petit morceau de fromage au déjeuner et une mozzarella au dîner. Il arrive rarement de recevoir une tranche de bœuf, si sèche et si dure qu’on ne peut pas honnêtement la considérer comme comestible à moins d’avoir des dents de requin.
Cela fait plus d’un an que je n’ai pas pris de repas chaud, parce que je dois choisir entre un repas et une heure pour prendre l’air, qui pour moi a lieu à l’heure où les autres prisonniers libèrent le passage pour aller manger. À mon retour en cellule, les pâtes, de mauvaise qualité et assaisonnées de graisse d’origine indéterminée, sont devenues un bloc compact. Les fruits sont souvent deux fois moins nombreux que prévu. Le soir, le dîner se compose presque toujours de deux œufs bouillis et d’une soupe. Il faut se contenter de quelques achats à l’économat.
Même sans disposer de données précises sur les dépenses alimentaires prévues, il n’est pas possible de croire que la qualité et la quantité des aliments soient conformes aux attentes. Et on ne peut réduire le tout à une question de nombre de calories, de protéines, de glucides, etc., comme ils sont contraints de le soutenir au service de santé tel qu’imposé par la direction (les médecins et les infirmières admettent qu’on ne leur laisse pas une marge de manœuvre qui leur permette de remplir correctement leur mission). Si c’était le cas, c’est-à-dire un régime alimentaire composé de nombres agrégés, une pilule arrangerait tout et serait également plus digeste.
Je souhaite faire noter juste deux épisodes qui montrent une certaine intimidation pour me dissuader de ce genre de déclarations :
Le lundi 6 juillet à 17h15, j’étais au service de santé en raison d’un malaise qui se produit régulièrement depuis un certain temps, ma pression artérielle était effectivement inférieure à 100 [1], lorsqu’un agent s’est introduit dans la pièce et, interférant dans une conversation entre le médecin et le patient, m’a agressé verbalement, m’empêchant ainsi de rendre compte des carences alimentaires. Je tiens à souligner que, compte tenu de ma conduite irréprochable dans l’institution, rien ne justifie un tel comportement de la part d’un agent, surtout dans cette institution.Le deuxième épisode concerne cette audition qui, si je ne me trompe, était prévue depuis plus d’un mois et aurait dû être prise en compte dans l’agenda de la direction. Il se trouve pourtant qu’il y a tout juste six jours, la direction a réservé, le même jour (que cette audience) et à la même heure, un examen clinique externe, demandé par le spécialiste depuis février. Et comme si cela ne suffisait pas, hier matin seulement, à un jour de l’audience, un agent est venu m’informer du malheureux contretemps, en insistant toutefois sur le fait que j’aurais bien fait d’abandonner cette audience, puisqu’il faudrait attendre encore 6 mois pour l’examen.
Voilà, il me semble que cette cour a de quoi tirer ses conclusions.
Massama 10 juillet,
(corrections bienvenues au besoin),
a été publié le 16 juillet sur Carmilla on line
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