Éoliennes et capitalisme vert. Présentation du gigantisme éolien



Que se cache-t-il derrière les promesses vertes des mégas-éoliennes ? Retranscription de la discussion qui a eu lieu le 28 mars 2024 à l’Espace autogéré des Tanneries.

De la volonté d’autonomie énergétique des années 70 à la fabrication industrielle d’électricité, les éoliennes sont devenues un enjeu de la « transition énergétique ». Gigantesques, offshores ou plantées en plein milieu d’un champ et désormais intégrées au réseau électrique national, elles symbolisent l’un des outils de la production d’énergie dite renouvelable du capitalisme vert.

Lors de cette discussion nous allons essayer de répondre à quelques questions : Qu’appelle-t-on énergie renouvelable ? Quels sont les réseaux dont elle dépend ? Comment fabrique-t-on cette énergie ? D’où vient-elle ? À qui profite-t-elle ?

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Éoliennes et capitalisme vert : discussion autour du gigantisme éolien

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1. Introduction de la table ronde

[1] J’ai particulièrement travaillé les enjeux territoriaux, sociaux et environnementaux du déploiement de l’éolien industriel. J’ai aussi voulu prendre mes distances avec les controverses qui existent dans la presse nationale depuis deux décennies pour repenser l’éolien industriel à partir de nouvelles questions et perspectives. J’ai soutenu en novembre de cette année et j’ai enchainé sur un post-doc à l’Université de Lille, toujours sur l’éolien industriel.

On peut voir sur cette photographie d’une campagne haut-marnaise deux éoliennes : une de type industriel, et l’autre de pompage. Je porterai durant cette présentation une attention particulière à l’échelle des objets techniques dont nous parlons.

Pour commencer cette table ronde, il me semble en effet important de resituer l’éolien dans ce qu’il est vraiment, pour sortir des représentations communes, souvent idéalisées, de la petite éolienne qui alimente les villages environnants de façon décentralisée, vision qui empêche de comprendre voire même de seulement écouter celles et ceux qui s’y opposent.

2. Un développement massif des énergies « renouvelables » dans les espaces ruraux

[2] Mais avant cela, on peut se demander ce qu’implique la « transition énergétique » pour les territoires ruraux si on resitue ce processus dans les deux ou trois siècles qui viennent de s’écouler ?

Il s’agit du passage de modes de production extractifs souterrains, et qui exige peu de surface au sol (forte densité de puissance) ; à une production d’énergie « renouvelable » qui repose sur une surface beaucoup plus grande (faible densité de puissance) et qui ne mobilise plus seulement les sous-sols mais en grande partie les sols. Les sources d’énergies renouvelables sont présentes en très grandes quantités sur Terre, mais elles sont aussi très diffuses et difficiles à capturer, il faut donc multiplier les convertisseurs énergétiques par millions.
Les énergies fossiles et fissiles sont 100 à 1000 fois plus denses que les énergies dites
« renouvelables ».

  • > Les projets d’énergie « renouvelables » se développent ainsi sur des surfaces agricoles, forestières ou maritimes relativement étendues pour capter les énergies de surface que sont le solaire, l’éolien ou la biomasse.
    Les espaces ruraux sont au cœur de ces transformations : certaines régions rurales riches en ressources spatiales subiront une pression croissante pour exploiter leurs ressources renouvelables.
    [3] La « transition énergétique » gouvernementale, qui ambitionne de produire de l’énergie à une échelle semblable à celle de la demande énergétique actuelle, conduira au déploiement d’énormes
    quantités d’infrastructures industrielles dans les espaces ruraux : éoliennes industrielles (terrestres et maritimes), méthaniseurs industriels, centrales photovoltaïques au sol, etc. Nous sommes donc bien loin des représentations idéalisées les plus communes imaginant quelques objets techniques clairsemés de façon harmonieuse dans les espaces ruraux.

Nous avons déjà connu un monde 100% renouvelable, au début du XIXe siècle, avec un nombre déjà important de moulin à vent, de moulin à eau, de manèges à animaux ; mais la consommation énergétique actuelle est environ 30 fois plus importante qu’à cette époque. Par ailleurs, la « transition énergétique » actuelle se distingue tout de même des systèmes énergétiques préindustriels, dépendants de vastes surfaces (notamment forestières pour le combustible), par le déploiement de technologies industrielles dont les impacts sont difficilement comparables aux techniques artisanales antérieures. Il ne s’agit donc pas d’un retour à quelque chose que nous avons déjà connu, mais de quelque chose de nouveau.

Il est donc tout naturel que des contestations naissent de ce processus de « transition énergétique » qui se concrétise par un déferlement technologique dans les (ou certains) espaces ruraux. Cette transformation est porteuse de nombreux cas de dépossession, de conflits d’usages, d’impacts environnementaux, etc.
Souvent comparé au développement de l’énergie nucléaire dans les années 1970-1980, le déploiement des énergies renouvelables est pourtant plus proche de l’histoire de l’industrialisation de l’agriculture et des espaces ruraux durant la modernisation de l’agriculture lors des remembrements des années 1960-1970, en ce que chaque village se trouve concerné, et par les divisions que ces projets suscitent à l’échelle locale.

3. Deux caractéristiques importantes de l’éolien en France

[4] Pour comprendre les contestations aux éoliennes industrielles, il y a deux éléments à souligner qui me semble essentiels : d’une part le gigantisme de l’éolien contemporain, d’une part les logiques de concentration des infrastructures éoliennes.
[5] Alors que dans les années 1970, les convertisseurs éoliens étaient d’une hauteur équivalente au plus grand moulin à vent (< 40 mètres), les éoliennes modernes sont aujourd’hui quatre à six fois plus grandes, soit entre 160 et 240 mètres. D’une technique bricolée par de petits groupes de passionnés, l’éolien devient une véritable industrie à la poursuite du gigantisme dans les années 1990.  L’éolienne industrielle moderne est le plus grand objet technique jamais produit en série dans l’histoire de l’humanité.
Trois raisons expliquent cette course au gigantisme : économique (faire des profits), idéologique (construire des machines puissantes) et géographique (exploiter des vents peu puissants, conquérir de nouveaux espaces).
D’autres trajectoires étaient possibles, basées sur d’autres intérêts et valeurs, et restent en réalité toujours ouvertes aujourd’hui. Nous y reviendrons, mais il convient à ce stade de dénaturaliser l’éolienne industrielle, comme une technologie façonnée par un imaginaire et des impératifs historiquement situés. A contrario de ce que suggère cette publicité de DONG, l’évolution de l’éolienne vers le gigantisme n’est pas aussi naturel que l’évolution des hominidés du singe vers l’homme moderne.
[6] Deux nacelles d’éoliennes Nordex ayant trois décennies d’écart qui témoignent de l’évolution des éoliennes modernes ©Nordex Group, 2022
[7] La deuxième caractéristique est la concentration des éoliennes en « réacteur éolien » : Deux régions sur douze, les Hauts-de-France et le Grand Est, accueillent 50 % de l’éolien hexagonal. Ces régions sont marquées par le vieillissement, la désertification de certains espaces ruraux, un marché du travail en recul du fait de la désindustrialisation et une surreprésentation des classes populaires. Les six départements français les plus densément équipés (Somme, Aisne, Pas-de-Calais, Marne, Aube, Eure-et-Loir) comptabilisent 6233 MW au 30 juin 2020 soit plus d’un tiers de la puissance nationale installée. Sur le territoire hexagonal, un département sur trois n’a aucune éolienne installée. En région Grand Est, 90% des parcs éoliens se situent dans cinq zones de concentration, d’une superficie cumulée de 1100 km², soit à peine 2% de la superficie régionale.

Plusieurs territoires comptent des centaines d’éoliennes : 350 dans le sud-Ardennes, 300 en sud- Meuse et nord-Haute-Marne, et 1200 en nord-Aube et sud-Marne (Champagne crayeuse).

4. [8] On peut parler d’extractivisme éolien

[9] J’aime beaucoup cette photographie du village d’Herbisse (10), par le spationaute Thomas Pesquet, depuis la Station spatiale internationale en 2017 : on peut compter des dizaines de plateforme de montage des éoliennes modernes dans un périmètre très restreint. Celles-ci rappellent les photographies aériennes des champs gaziers et pétroliers aux États-Unis. Une représentation de la logique extractive de l’éolien français.
[10] Il y a 72 éoliennes sur cette photographie qui entourent le village d’Herbisse qui compte 171 habitants et celui de Villiers-Herbisse 90 habitants. Si on considère qu’une éolienne alimente 1000 habitants en électricité, toutes celles visibles ici produisent environ 275 fois plus d’électricité que n’en ont besoin ces deux villages.

[11] Dans de nombreux pays (Mexique, ou en Europe, en Grèce, en Espagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède ou en Norvège, entre autres1), les ressources éoliennes sont massivement captées dans des territoires périphériques, peu peuplés, pauvres et parfois indigènes, pour alimenter les villes ou d’autres pays limitrophes plus riches, par de grandes compagnies énergétiques via d’importants réseaux électriques.
En Italie, l’essentiel de la puissance installée (plus de 90%) se concentre dans les régions du Mezzogiorno, le sud du pays (les Pouilles, la Sicile, la Campanie, la Calabre, la Basilicate, la Sardaigne) qui souffre d’un retard économique et d’un fort taux de chômage par rapport au nord du pays. En Allemagne, les régions du sud sont épargnées par un encadrement administratif plus sévère, notamment en Bavière, ce sont donc celles du nord et de l’est qui sont les plus équipées.
Cette géographie inégale et injuste de l’éolien crée des « zones de sacrifice » et donne un caractère extractif à cette énergie : les profits sont captés par des multinationales, les nuisances subies par une partie paupérisée de la population, et la ressource extraite alimente des territoires lointains.

[12] Le développement des éoliennes industrielles de façon extractif impose des infrastructures pour collecter et exporter l’électricité éolienne vers des territoires. La « transition énergétique » n’induit donc pas de se passer du réseau électrique (en rapprochant consommation et production), mais entraine déjà un redéploiement de ces infrastructures.

1 En Italie, l’essentiel de la puissance installée (plus de 90%) se concentre dans les régions du Mezzogiorno, le sud du pays (les Pouilles, la Sicile, la Campanie, la Calabre, la Basilicate, la Sardaigne) qui souffre d’un retard économique et d’un fort taux de chômage par rapport au nord du pays. En Allemagne, les régions du sud sont épargnées par un encadrement administratif plus sévère, notamment en Bavière, ce sont donc celles du nord et de l’est qui sont les plus équipées.
En Grand Est, la dynamique de restructuration du réseau électrique s’incarne dans des nouvelles constructions de postes électriques qui permettent d’exporter l’énergie faute de consommation locale suffisante. Ces nouvelles installations se situent dans des espaces où le développement éolien est soutenu. A titre d’exemple, le poste de Faux-Fresnay (51) est capable d’évacuer l’électricité consommée par l’équivalent de 300 000 personnes, à destination de la région Bourgogne-Franche- Comté où les capacités de production sont faibles, ou de l’Ile-de-France.

Le réseau est souvent impensé par les collectifs anti-éoliens que j’ai rencontré, pourtant l’opposition à ces infrastructures peut permettre de faire tomber l’ensemble des énergies « renouvelables » industrielles qui doivent s’y raccorder (exemple Amassada).

Le réseau est aussi toujours perçu positivement, comme un vecteur de solidarité entre les territoires et les consommateurs. Ces représentations positives sont en décalage avec la réelle fonction actuelle des réseaux : ils permettent de surexploiter les ressources de certains territoires populaires, et sont donc la matrice qui produit les inégalités environnementales que j’ai déjà longuement décrites.

5. [13] Des résistances nombreuses

[14] Pour autant, les résistances à ce déferlement technologique sont nombreuses.

Entre 2010 et 2022 : 43 000 manifestants sur 450 rassemblements  un chiffre important dans ces campagnes dépeuplées

Les oppositions sont quasiment systématiques. Elles se limitent le plus souvent à des mobilisations collectives lors des moments de concertation, et plus encore à des recours en justice qui sont la plupart du temps perdu. En une décennie j’ai compté environ 500 lieux de contestation et plus de 40 000 personnes ayant participé à un rassemblement ou une manifestation contre l’éolien industriel.
Pour autant, il existe des résistances plus fortes, qui ont recours à des occupations de territoire (ZAD), à des blocages des engins de chantier, à des sabotages (des mâts de mesure notamment).

6. [15] Les impacts environnementaux de l’éolien industriel
Les impacts environnementaux de l’éolien industriel sont de trois types (extractivisme minier, phase de fonctionnement, et post-fonctionnement)
[16] Les premiers impacts sont en amont de l’installation des éoliennes industrielles en France. Une éolienne de 3 MW est constitué de 400 tonnes d’acier, 1300 tonnes de béton et 10 tonnes de cuivre. L’éolienne industrielle est donc principalement constituée de béton et d’acier, ainsi que de divers métaux, dont le poids relatif est insignifiant, mais tout de même significatif en absolu, d’autant plus quand on considère qu’il faut installer des dizaines de milliers d’unités pour réaliser une « transition énergétique ». Selon une étude (Davidsson & al., 2014), il faudrait mobiliser 11% de la production mondiale d’acier pour que l’énergie éolienne fournisse 15% de la demande énergétique mondiale (sur la base des taux de production de 2012). Les quantités d’acier auxquelles il faut faire appel pour l’éolien industriel sont semblables aux volumes de l’industrie automobile (12% de l’acier mondial en 2011). Pour le cuivre, la même étude estime qu’il faudrait employer 14% de la production mondiale de cuivre pour avoir 15% d’éolien dans le mix énergétique mondial. Les besoins en cuivre représentent plusieurs années de production mondiale à mobiliser rapidement entre 2020 et 2050. Une extraordinaire part des réserves connues aujourd’hui est susceptible d’être absorbée dans la « transition énergétique ». Pris dans leur matérialité, les éoliennes modernes impliquent – avant même leurs installations effectives dans les pays industrialisés – des processus miniers socialement et écologiquement
destructeurs qui produisent de grandes quantités de résidus miniers contenant des métaux lourds et d’autres substances (parfois radioactives) qui pénètrent l’air, l’eau, le sol, les animaux et le corps des personnes.
À cette matérialité des technologies d’énergies « renouvelables », il faut ajouter celle des technologies de transport, distribution et stockage de l’électricité. Les batteries par exemple sont consommatrices de divers métaux comme le lithium ou le cobalt, les câbles pour l’acheminement de l’électricité sont composés de cuivre et/ou d’aluminium. Selon Olivier Vidal, Bruno Goffé, et Nicholas Arndt, les quantités de matières premières qu’exigent le passage des énergies concentrées (fossiles et fissiles) aux énergies « renouvelables » déconcentrées, à l’échelle mondiale et pour une capacité installée équivalente, implique la mobilisation de 15 fois plus de béton, 90 fois plus d’aluminium et 50 fois plus de fer, de cuivre et de verre.
Selon les mêmes auteurs, c’est ainsi 3200 millions de tonnes d’acier, 310 millions de tonnes d’aluminium et 40 millions de tonnes de cuivre qui sont nécessaires pour construire les dernières générations d’installations éoliennes et solaires à l’échelle mondiale. Le sable est aussi mobilisé de façon significative pour fabriquer du béton et du verre, tout comme l’eau qui entre dans la composition du béton ce qui fragilise sa disponibilité.
Le passage aux énergies « renouvelables » remplacera des ressources non renouvelables (combustibles fossiles), tout en utilisant largement d’autres ressources (métaux et minéraux) qui ne le sont pas davantage.
Les exploitations minières pour la fabrication des technologies d’énergies « renouvelables » sont sources de conflits socio-environnementaux. Les mines de cuivre sont par exemple fortement contestées. L’Atlas global de la Justice Environnementale montre que les projets miniers sont à l’origine du plus grand nombre de conflits socio-environnementaux dans le monde.

[17] Ensuite, les impacts environnementaux sont sur le site lui-même où l’éolienne industrielle prend place.
Il y a les enjeux liés au terrassement : au renforcement ou à la création de chemin, la plateforme de montage pour l’éolienne (2500 m²), le béton dans les sols, etc.
Les éoliennes industrielles ont ensuite des impacts sur la biodiversité. Ceux-ci sont directs (collision, barotraumatisme) et indirects liés à la perte, la dégradation et la fragmentation d’habitats (artificialisation, effarouchement) pour différentes espèces (principalement les chauves-souris2 et les oiseaux) variables selon les périodes de l’année (migration, reproduction, nidification) pouvant avoir des conséquences sur les populations. Les rapaces et grands oiseaux sont les premières victimes des éoliennes industrielles3.
Je ne m’étends pas plus sur les impacts sur la biodiversité car les enjeux sont très différents d’une région à l’autre.

2 Les associations environnementales alertent depuis 20 ans sur ces dangers, sans que la filière n’ait suffisamment réagi, et dénoncent une destruction illégale d’espèces protégées qui se serait généralisée et institutionnalisée. À titre d’exemple, la noctule commune (Nyctalus noctula), classée vulnérable sur la Liste rouge des mammifères menacés en France, pourrait disparaitre à court ou moyen terme. Toujours selon la même source, la majorité des parcs, qui n’ont pas des mortalités importantes individuellement, crée des effets cumulés non négligeables. https://gmb.bzh/wp-content/uploads/2021/10/ComPresseEol.pdf
3 Entre 2019 et 2020, 12 milans royaux ont été touchés mortellement par des éoliennes industrielles en Côte-d’Or1138. En Grand Est, de nombreux milans royaux ont été victimes des éoliennes. L’association LOANA (LOrraine Association NAture) a répertorié 26 cadavres en région Grand Est, dont 11 en Lorraine1139. L’espèce est principalement présente en Haute-Marne, en Moselle et dans les Vosges. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) classe le milan royal comme une espèce menacée en France, dans la catégorie « vulnérable » aussi bien pour les populations nicheuses qu’hivernantes.
En Occitanie, une étude sur un parc de 31 éoliennes dans le département de l’Hérault montre qu’environ 150 faucons crécerellettes en migration ont été tués en huit années. Si la population de cet oiseau est en augmentation dans cette région (et constitue la plus importante en France), ce parc a occasionné un fort impact sur la dynamique démographique de celle-ci, puisque sa taille a été réduite de 22% en 15 ans d’exploitation à cause de cette mortalité supplémentaire.
En revanche, il me semble important, comme je le disais en tout début de présentation, d’insister sur la spécificité des éoliennes industrielles à ce sujet. La taille des éoliennes est un autre élément qu’il faut mentionner. Alors que la plupart des convertisseurs éoliens ne mesurent que quelques mètres ou dizaines de mètres, les éoliennes modernes vont chercher à plus de 150 mètres, voire 250 mètres, des vents plus puissants. Cette présence à des hauteurs aussi importantes leur est relativement spécifique (hors gratte-ciel) et de fait, les espèces concernées et perturbées (qui volent à des hauteurs très variables) sont d’autant plus nombreuses à être vulnérables aux collisions. Une étude canadienne montrait dès 2007, que « minimiser la hauteur de la tour peut aider à minimiser les décès de chauves- souris » car les décès de chauves-souris augmentent de façon exponentielle avec la hauteur du mât. Outre la taille, c’est aussi le diamètre balayé par les pales qui est un problème : l’éolienne moderne brasse des surfaces considérables de plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés. On peut s’attendre à ce que plus les surfaces brassées par le rotor sont importantes, plus la mortalité augmente. Certaines éoliennes à garde basse couvrent avec leurs pales l’espace aérien à partir de 20 mètres et jusqu’à 180 mètres de hauteur. Cela correspond en outre à une surface balayée de plus de 20000 m², soit plus de 2 hectares.
[18] C’est justement ce qui a récemment fait l’objet d’alertes. Les éoliennes à très faible garde au sol – c’est-à-dire dont les pales (très longues) descendent à des hauteurs très proches du sol (environ 10- 30 mètres) – ont fait l’objet d’une note technique de la part de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM). Elles sont de plus en plus choisies par les développeurs car plus productives. Cependant, comme l’effet barotraumatique des pales en mouvement dépasse la longueur des pales, « il faut s’attendre, préviennent les auteurs, à ce que même les chauves-souris qui volent au ras du sol soient impactées (comme d’autres taxons pourraient l’être aussi, petite avifaune notamment…). ».4
Enfin, la vitesse des pales (jusqu’à 300km/h en bout de pale) est un élément qui distingue les éoliennes modernes des autres modèles. La vitesse est élevée parce que la production recherchée est l’électricité. En effet, la production de ce vecteur exige une certaine vitesse de rotation minimale. Or, la vitesse de ces pales est justement la cause des collisions (et barotraumatismes dans le cas des chiroptères) des oiseaux : « un oiseau il est pas capable d’éviter une voiture qui roule à 60 ou 80 km/h, bah une pale à 250km/h, il a beau la percevoir il se fait surprendre quand même » (entretien du 18/01/2021). On peut donc dire que l’orientation vers des convertisseurs produisant de l’électricité conduit à des effets environnementaux spécifiques.

En plus de cela, il faut dire que les effets des éoliennes sur certains pans la biodiversité et les milieux naturels sont assez mal connus5. C’est également le cas des effets cumulés des éoliennes6.

4 Ces évolutions technologiques entrainent des impacts massifs qui devraient concerner des espèces jusque-là épargnées (le grand murin, le murin à oreilles échancrées, les oreillards, les rhinolophes ou la barbastelle d’Europe, murin de Natterer). Les mesures de bridage ne
peuvent représenter une solution puisqu’elles se basent sur une vitesse de vent mesurée au niveau de la nacelle (à environ 100 mètres), alors que les conditions de vent au sol peuvent être différentes en un même moment car : les vents sont tendanciellement moins forts à mesure qu’on s’approche du sol ; et la végétation (haies, etc.) peut jouer un rôle d’écran ralentissant les vents « renforçant cette
perspective d’activité à risque proche du sol pour les éoliennes à garde basse, même pour des vitesses de vent qui dépassent les seuils de bridages. »1158. Ce rapport de la SFEPM conclue alors, études internationales à l’appui, « [que] ces modèles d’éoliennes à garde basse devraient à la fois impacter l’ensemble du cortège d’espèces de chauves-souris, mais augmenteraient aussi le niveau de risque en nombre de mortalités, sans possibilité de réduire efficacement les risques par des mesures de régulation en phase d’exploitation. Ces nouvelles éoliennes devraient donc être interdites. Elles sont une aberration pour la biodiversité. »1159. Après avoir principalement touché des espèces évoluant en altitude, presque toutes les espèces de chauves-souris pourraient être touchées par des collisions1160.
5 Sur toute la chaîne trophique, ou sur les espèces communes, peu défendues.
6 Les effets qui ne concernent pas seulement un projet donné mais un ensemble de projets sur un même secteur géographique. Par exemple, une nouvelle centrale éolienne peut avoir en elle-même un effet dérisoire sur les axes de migration des oiseaux, mais sa
localisation au milieu d’autres centrales peut obstruer un couloir devenu essentiel pour les oiseaux avec la multiplication des obstacles aériens. Par ailleurs, si des oiseaux en migration peuvent contourner un parc, leur est-il possible d’en contourner plusieurs d’affilée ? Quels sont les effets de la multiplication de ces éoliennes sur les capacités des oiseaux à effectuer leur migration dans de bonnes conditions ? Les
[19] Mais surtout, la question des impacts sur la biodiversité me semble biaisée d’avance. Alors pourquoi ? Parce que les éoliennes industrielles prennent place dans des territoires ruraux dominés par une agriculture productiviste. On le voit ici en Champagne crayeuse ardennaise avec cette usine de déshydratation et les paysages agro-industriels.
[20] C’est aussi le cas en Allemagne7.
[21] Comment pourrait-on connaitre l’impact réel des éoliennes industrielles sur la biodiversité alors qu’elles se localisent dans des espaces agricoles qui ont été largement transformés et appauvris biologiquement durant la seconde moitié du XXe siècle ? Je pense ici à l’arrachage des haies, le recours au pesticide, etc. et aux études qui documentent l’effondrement des populations d’insectes et d’oiseaux dans les dernières décennies8.
Si les éoliennes industrielles ont un impact « limité » sur les oiseaux, c’est qu’elles prennent place sur des espaces intensivement cultivés, où les populations d’oiseaux ont été décimées. À tel point que si l’on fait fi des vignobles où elles sont en général très fortement contestées, les éoliennes se spatialisent dans les espaces où les utilisations de pesticides sont les plus fortes en France. Les éoliennes industrielles sont des objets techniques dont l’émergence et le déploiement en Europe est intimement lié à l’existence préalable d’un capitalisme agricole ayant totalement reconfiguré les milieux à son image et pour ses besoins. À quoi bon compter les oiseaux et chauves-souris morts aux pieds des éoliennes ? La véritable question serait de savoir quel serait l’impact des éoliennes industrielles dans des écosystèmes agricoles plus riches en biodiversité ? On peut émettre l’hypothèse que d’autres formes d’agricultures, favorisant une biodiversité plus riche, conduiraient à repenser l’éolienne en elle- même pour limiter ses impacts.

[22] À la fin de sa période de fonctionnement, l’éolienne produit des déchets qui ne sont pas recyclables9, comme les pales des éoliennes. Aux Etats-Unis, les pales sont enfouies (photo), en Allemagne elles sont incinérées en cimenterie, aucune solution satisfaisante n’existe, alors qu’elles vont représenter plusieurs centaines de milliers de tonnes à traiter dans la décennie à venir en Europe. Le béton des fondations, quand il est récupéré, sert à constituer des sous-couches routières et autoroutières ou à combler des carrières comme remblais. Il n’est donc pas recyclé mais valorisé, dans des infrastructures de transport pour le moins non écologiques. Au sens propre, une éolienne n’est

effets cumulés sont à la fois l’addition des effets de chaque centrale sur un milieu (ex : addition du nombre d’oiseaux morts en migration), mais vont au-delà, car toutes les centrales prises ensembles peuvent changer la nature des impacts (ex : fatigue cumulée des oiseaux en migration liée à l’évitement de nombreuses centrales successives). Les interactions négatives de plusieurs projets peuvent conduire à augmenter de manière plus que proportionnelle l’impact total.
La question des effets cumulés des éoliennes sur l’avifaune est pourtant soulevée depuis presque deux décennies en France. Or, aucune étude hexagonale n’a encore été menée à ce sujet, malgré le développement de l’éolien en « réacteur ». Pour avoir une connaissance fine de ces effets, il faudrait une étude dans chacune des régions, car elles présentent toutes des enjeux spécifiques non transposables.
7 La particularité de cet espace est qu’il a été totalement créé par les sociétés humaines successives. En effet, ces éoliennes sont situées sur des polders (voir annexe). L’existence de ces terres résultent d’un millénaire de conquête sur la mer et de drainage de zones humides, permis par des innovations dans la construction de digues ou dans l’agriculture qui ont profondément modifié l’environnement. Cela aboutit à l’endiguement de 8000 km² pour forger le littoral allemand de la mer des Wadden, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il en résulte la disparition d’une proportion importante des espèces présentes sur ces milieux, jusqu’à 90%, et de la « complète annihilation du milieu naturel maritime ». Ce territoire, façonné par l’espèce humaine, est parfaitement plat, peu de haies sont présentes, si bien que l’agriculture intensive, sur de grandes surfaces, y est possible, d’autant plus que les rendements sur ces sols sont très bons, très largement supérieurs à la moyenne nationale allemande. En effet, si les réseaux de digues sont utilisés pour faire paitre des ovins, les espaces inter-digues où fleurissent les éoliennes sont des plaines céréalières pauvres en biodiversité. Le capitalisme agricole n’a guère laissé de place à d’autres espèces et a façonné là aussi sa propre écologie. Toutes ces raisons géographiques et environnementales, expliquent la prolifération des éoliennes sur ces espaces, en plus des vents constants soufflant dans cette région qui renforcent son attrait.
8 Deux études menées par le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS montrent qu’en 17 ans, un tiers des oiseaux a disparu des campagnes françaises. L’Europe aurait perdu, quant à elle, 421 millions d’oiseaux en 30 ans. En cause, une utilisation croissante des pesticides (néonicotinoïdes et glyphosate), qui tuent les insectes, principale nourriture des oiseaux. Des chercheurs allemands ont récemment montré que 80% des invertébrés ailés ont été décimés en moins de 30 ans en Europe.
9 Si chaque éolienne produit 7,3 tonnes de déchets électroniques, et qu’il faut installer 100 000 nouvelles éoliennes d’ici 2050 en Europe, alors l’énergie éolienne entrainera 730 000 tonnes supplémentaires de déchets électroniques.
donc absolument pas recyclée, ses matériaux sont valorisés mais ne permettent pas de reconstituer une nouvelle éolienne.

Là aussi c’est le gigantisme de l’éolien qui lui fait défaut. Notamment pour la question des pales, car à partir d’une certaine longueur (au-delà de 30-40 mètres), les pales des éoliennes ne peuvent plus être produite en bois, mais en matériaux composites (fibre de verre et fibre de carbone) pour allier légèreté, souplesse et robustesse. Ce n’est donc que parce que les éoliennes ont connu cette course vers le gigantisme qu’elles sont devenues non durables.

7. Les inégalités sociales et environnementales

[23] La répartition de l’éolien industriel ne peut se comprendre à partir des seuls gisements de vent ou des surfaces disponibles pour installer ces équipements. Des régions fortement ventées sont dénuées d’éoliennes (des secteurs normands) alors que d’autres où la ressource éolienne est moindre en sont saturées (Meuse, Côte-d’Or, etc.). De la même manière, de vastes espaces agricoles non contraints techniquement (Seine-et-Marne), comptent très peu d’éoliennes, alors que d’autres territoires où les zones disponibles se réduisent à de maigres « confettis » en arborent davantage (Bretagne). La captation de celles-ci relève d’un enchevêtrement d’enjeux matériels et de rapports de pouvoirs sociaux et politiques.

Dans un ouvrage récent, intitulé Où sont les « gens du voyage » ? Inventaire critique des aires d’accueil, le juriste William Acker s’est attaché à répertorier les lieux où sont logés les « gens du voyage » en France. Sur un échantillon de plus de 1300 aires d’accueil, l’inventaire montre qu’elles sont majoritairement situées par les pouvoirs municipaux dans des lieux où les expositions aux nuisances sont les plus nombreuses : infrastructures électriques (centrales électriques, transformateurs, lignes haute tension, etc.) et de transport (autoroutes, échangeurs, voies ferrées, aéroports, etc.), sites industriels (abattoirs, stations d’épuration, déchetteries et décharges) et chimiques dangereux toujours en fonctionnement (Seveso), etc. Comme ces sites sont eux-mêmes relégués loin des centres- villes et bourgs-centre, 70% des aires d’accueil éloignent leurs habitant·es des services élémentaires urbains, ce qui témoigne de la relégation spatiale de ces populations. Seules 19% de ces aires ne subissent ni pollution visible du ciel ni effet de relégation. Les résultats de cette recherche raisonnent particulièrement avec le « racisme environnemental » mis en évidence par les mobilisations états- uniennes, tant il s’agit là aussi de populations discriminées de longue date (Manouches, Sinté, Kalé, Yéniches, Roms, etc.).
Cette recherche récente invite à transférer, et inverser, la réflexion à propos de la « transition énergétique » : les nouvelles infrastructures énergétiques ne sont-elles pas reléguées dans des espaces populaires, près de populations pauvres, produisant ou reproduisant des inégalités environnementales
 ? « Où sont les éoliennes industrielles », pourrait-on se demander, tout en veillant à dénaturaliser les explications (ou justifications) des éco-modernisateurs qui visent à dépolitiser cette question en la technicisant (espaces disponibles, contraintes techniques, gisements de vent, etc.) ? La spatialisation des éoliennes industrielles n’est-elle pas liée à des phénomènes de domination et de rapports sociaux de pouvoir inégaux ?

[24] L’extractivisme éolien créé des inégalités environnementales parce qu’elle concentre les risques et nuisances dans les campagnes populaires (Somme, Pas-de-Calais, Aisne, Ardennes, Marne, Aube, Meuse, Haute-Marne, etc.). Il tend aussi à réduire la qualité de l’environnement des populations qui contribuent pourtant le moins aux pollutions (les classes populaires).
[25] On peut objectiver cela avec des cartes qui croisent des données socio-économiques et la spatialisation des éoliennes. On peut voir sur cette carte de la région Hauts-de-France la part que représentent les classes populaires dans chaque commune. Globalement, plus on s’éloigne des métropoles, plus les classes populaires sont nombreuses dans la population communale. Les points verts sont les éoliennes construites en région. On peut observer que les éoliennes se spatialisent dans des communes où les classes populaires sont les plus nombreuses : dans l’intérieur et le sud de Pas- de-Calais en évitant Arras et les littoraux, dans toute la Somme à distance d’Amiens, dans le nord de l’Oise en évitant le sud et l’établissement de cadres parisiens, le nord de l’Aisne plus populaire que le sud du département.

[26] J’ai donc repris une distinction minimale qui permet de positionner les espaces ruraux sur un axe composé d’une multitude de gradation et ayant à une extrémité les campagnes récréatives et bourgeoises et à une autre les campagnes productives et populaires.
Le développement de l’éolien dans les premières est très peu probables alors qu’il est facilité dans les secondes et ce pour diverses raisons.
D’une part, par le territoire lui-même. Les habitants des campagnes bourgeoises peuvent faire valoir un enjeu économique majeur, comme les vignerons du Champagne, un intérêt patrimonial d’importance national, comme les châtelains, ou un enjeu environnemental capital, comme certains habitants du massif des Vosges. Au contraire, les habitants des campagnes populaires ont des enjeux paysagers, environnementaux et patrimoniaux non reconnus ou jugés plus faibles, et qui ne sont pas susceptibles de remettre en cause ces projets éoliens pour les tribunaux compétents.
Par ailleurs, les entretiens localisés montrent que les membres des classes populaires ont de moindres capacités à résister face à ces projets comparés aux membres des classes supérieures. Pour ces catégories sociales populaires, mener la bataille est coûteux en termes de temps, d’argent, et redouté pour ces effets sur les relations sociales à l’échelle locale ; alors que d’autres travaux sociologiques montrent la capacité des classes supérieures à peser sur les décisions quand il s’agit de territorialiser la politique éolienne.
Enfin, ces campagnes productives se singularisent également par la puissance économique, sociale et politique des agriculteurs-céréaliers qui vont soutenir ces projets. Ces acteurs sont à la fois surreprésentés dans les instances de politiques locales dont ils ont le contrôle, et détiennent le foncier sur lequel les éoliennes prennent place, ce qui fait d’eux des acteurs centraux dans le démarrage des projets éoliens. Plus généralement, les élus de ces espaces ruraux sont relativement homogènes et favorables à l’arrivée de l’éolien ; alors que dans les campagnes récréatives, l’arrivée de nouvelles populations favorise un positionnement plus partagé voire défavorable.
Ces mobilisations socio-spatiales inégales tendent donc à concentrer les éoliennes industrielles dans les espaces où les classes populaires sont surreprésentées et à créer ou renforcer des inégalités socio- spatiales. Avec l’arrivée de ces nouvelles technologies « renouvelables » les territoires du productivisme agricole continuent de s’industrialiser, alors que d’autres territoires sont protégés pour des raisons paysagères et/ou environnementales.
[27 et 28] Les éoliennes industrielles entrent en conflit avec d’autres usages de l’espace rural. À la fois dans l’espace domestique qu’ils soient improductifs (le repos, la détente, la fête, etc.) ou productifs (les jardins ouvriers, petit élevage, le bricolage chez soi) et dans l’espace agricole (maraîchage, la chasse, l’élevage, etc.) et forestier (les affouages, les balades et randonnées).
[29] Le coût du développement de l’éolien en France s’élève à des dizaines de milliards d’euros payé par les consommateurs et consommatrices d’électricité. Cet argent est directement capté par de grandes multinationales et des fonds d’investissement internationaux (BlackRock) qui se sont jeté à corps perdu dans ce secteur qui garantit des prix de revente exorbitant sur quasiment deux décennies assurant ainsi d’énormes profits sans risque.

Dans le cas des Gilets jaunes, les pauvres étaient invités à payer l’augmentation d’une taxe sur le carbone censé financé des politiques environnementales alors que les riches entreprises (transport aérien et maritime) en étaient exemptes, avec l’éolien ce sont les riches entreprises de l’énergie qui profitent d’une politique environnementale payé par le plus grand nombre (les consommateurs d’électricité)  l’argument économique, peu mobilisé dans les milieux radicaux, est très repris dans les luttes locales contre l’éolien industriel, car plus tangible pour les foyers (notamment populaires).

[30] À l’échelle locale, les riches céréaliers s’enrichissent avec ces projets alors que la majorité des habitants subissent les nuisances sans aucune compensation.

Plus généralement, le pouvoir économique, et donc social et politique, de ces acteurs se renforce avec ces projets éoliens (sans compter les méthaniseurs, les hangars solaires, etc.).

8. [31] Comment sortir du gigantisme et de l’extractivisme éolien ?

Je ferais une réponse en deux points pour conclure ma présentation.

[32] Sortir du productivisme « renouvelable », questionner les besoins

Les différents scénarios parus en 2022, de RTE, de l’ADEME ou de NégaWatt fixent des objectifs spectaculaires de production d’électricité éolienne. Pour l’association NégaWatt, l’éolien terrestre et maritime doivent produire 300 TWh d’électricité à horizon 2050. C’est davantage que la production électronucléaire en 2022 (279 TWh).
L’État a comme objectif de construire 50 centrales éoliennes offshore à horizon 2050 pour une puissance d’environ 50 GW, ce qui ressemble d’ailleurs trait pour trait au choix de l’électronucléaire de 1974 qui aboutit à une cinquantaine de réacteurs nucléaires pour une soixantaine de gigawatt installés.

Si ces scénarios veulent tourner le dos aux énergies fossiles (et parfois fissiles) ils ne questionnent quasiment pas les besoins (au-delà du gaspillage), le confort moderne, et aboutissent donc à des objectifs de production spectaculaires, qui ne remettent pas en question la surproduction/surconsommation d’énergie de nos sociétés industrielles.
Une manière de questionner les besoins pourrait être justement de reconnecter la production énergétique et les usages finaux.

[33] La « transition énergétique » : à peine commencée, déjà terminée ?

Les grands barrages hydroélectriques, les éoliennes industrielles et le photovoltaïque produisent déjà
120 TWh (suivant les années). Prenons un peu de recul historique, à quoi correspondent ces productions « renouvelables » ? En 1950, la production électrique totale s’élevait à 33,5 TWh, puis 72 TWh en 1960 et 140 TWh en 1970. La production électrique « renouvelable » actuelle est donc
équivalente à la production électrique totale de la fin des années 1960. Cette production n’est-elle pas déjà suffisante dans un scénario de décroissance ?

[34] Repenser d’autres techniques énergétiques

D’une part, il semble nécessaire de repenser d’autres techniques énergétiques.

[35] À travers l’histoire, les convertisseurs éoliens sont nombreux et variés : moulins à vent, bateaux à voile, éoliennes de pompages américaines, éoliennes électriques hors-réseau de petite et moyenne puissance. Ce n’est que depuis quelques décennies que l’éolienne moderne représente l’unique façon de penser les utilisations du vent.

[36] À ce stade de la « transition énergétique », ne peut-on pas envisager d’arrêter le développement des énergies « renouvelables » high-tech pour amorcer une bifurcation vers des énergies renouvelables low-tech afin de s’affranchir des énergies fossiles et fissiles ? L’éolienne Piggott est un exemple d’éolienne plus petite, qui permet d’alimenter des habitations à une échelle locale et sans produire des impacts significatifs sur la nature. Elle a l’avantage d’être appropriable, constructible, réparable, par presque n’importe qui. Il existe 200 éoliennes Piggott en fonctionnement en France, dont la plupart sont fabriquées lors de stages d’auto-construction collectifs.

Cette éolienne se situe également dans la démarche low tech : la fabrication est peu coûteuse, nécessite un outillage limité, la conception est simple et robuste dans le temps (certaines de ces éoliennes fonctionnent encore, plusieurs décennies après leur mise en service), utilise des matériaux ou pièces recyclés (est évoqué l’exemple des moyeux de voitures). Les pales sont en bois et sculptées par les stagiaires, si elle casse pendant la période de fonctionnement, ils sont ainsi capables de la réparer rapidement. Le générateur est auto-monté, avec des petits aimants et des bobines de cuivre. Le succès de l’éolienne Piggott vient de sa simplicité, sa robustesse, sa durabilité10.

Ce mouvement correspondrait à une désindustrialisation de nos imaginaires énergétiques. Mais peut- être pouvons-nous aller plus loin, en désélectrifiant nos imaginaires énergétiques. Comme nous l’avons vu, l’électricité pose un certain nombre de problème.

[37] Aux Pays-Bas, il existe des scieries à vent, et des chauffages éoliens au Danemark : pourquoi ne pas s’inspirer de ces techniques énergétiques alternatives ? Pourquoi sommes-nous obligés de passer par l’électricité (éolienne) pour ensuite chauffer nos maisons (avec des pompes à chaleur) alors que nous pourrions nous passer du vecteur électrique en optant pour un chauffage éolien. De la même manière, pourquoi passer par l’électricité pour faire tourner des scieries alors que le vent peut directement opérer ce travail ?

Pour revenir au chauffage éolien, le choix d’une production calorifique à partir des éoliennes s’avère moins chère, plus économe en énergie et est plus durable que la production électrique. Leur moindre complexité les rend plus abordables, mais elles sont surtout moins gourmandes en ressources et ont une durée de vie plus importante. Pas de générateur électrique, pas de convertisseur de puissance, pas de transformateur et de boîte de vitesse pour produire de la chaleur. Puisque les vents de faible vitesse – les plus nombreux – peuvent également être captés – contrairement à la production

10 Plusieurs modèles existent : la plus petite ayant un diamètre de 1,2 mètre pour une puissance de 200 W, alors que la plus grande mesure 4,2 mètres de diamètre pour une puissance de 2000 W. L’éolienne Piggott coute 3000€, soit considérablement moins que celles vendues sur le marché du petit éolien.
électrique qui exige une vitesse minimale – la conversion en chaleur est plus efficace sur le plan énergétique.

Ces éoliennes low-tech de petite ou moyenne puissance, fabriquées avec des matériaux abondants (bois, acier, toile) et de récupération (pièce automobile, dynamo, etc.), constituées d’éléments facilement remplaçables leur conférant une durée de vie quasiment illimitée, pourraient rendre de nombreux services, relocaliser des productions essentielles tout en évitant les pertes en ligne et de rendement des multiples transmissions et conversions liées au fluide électrique. Leurs effets territoriaux seraient considérablement plus mesurés que les éoliennes industrielles aujourd’hui développées.

[38] Revenir aux fondements de l’écologie politique

Utopique ? Pourtant, la pensée écologiste est originellement traversé par ces aspirations

L’opposition au nucléaire et au modèle centralisé et technocratique conduit les écologistes des années 1970 à proposer un contre modèle radicalement différent : décentralisé, populaire, démocratique, etc. Un penseur comme Ivan Illich critique les techniques hétéronomes, Lewis Mumford critique les techniques autoritaires, etc. Cette pensée radicale est dominante dans les années 1960 et 1970.

Mais certains écologistes vont se conformer au modèle dominant à partir des années 1980.
L’association négaWatt est un exemple de cette dissolution et absorption caractérisé par le primat de la technique sur les enjeux sociaux et politiques



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