Au bout de six semaines de mouvement, on s’attendait à un faiblissement de la mobilisation. Bien qu’on soit à trois jours de Noël, et après une semaine d’évacuations de ronds-points occupés, force est de constater qu’il n’en est rien. Du moins à Dijon. Samedi après-midi c’est encore plusieurs centaines de personnes (environ 2000 selon nous) qui se sont retrouvées dans les rues du centre-ville.
Au départ de la place de la République, on était pourtant moins nombreux que d’habitude. Quatorze heures à peine passé, on était environ 600 à démarrer en direction de la rue des Godrans. Est-ce qu’ils s’attendaient aussi à ce qu’on soit moins nombreux ? Ou est-ce que, leurs revendications satisfaites, ils ne sentaient plus le besoin d’occuper les rues ? Quoi qu’il en soit on a très vite vu que les flics étaient très peu nombreux. À peine quelques camions de gendarmes mobiles, là où la semaine dernière on avait eu droit à plusieurs compagnies de CRS en plus. On a donc pu défiler comme on l’entendait, ou presque, dans la rue des Godrans, la rue Musette, la rue des Forges, la rue de la Liberté, puis, après une pause place de la Libération, dans la rue Jean-Jacques Rousseau, et la rue d’Assas pour un des groupes, dans le bas de la rue de la Préfècture pour l’autre.
Petit à petit, beaucoup de gens rejoignent le cortège, on est de plus en plus nombreux. Pourtant on est plusieurs à s’ennuyer ferme. La marche est vraiment plan-plan, les slogans sont, au mieux apolitiques, au pire des références antisémites à la quenelle de Dieudonné. On passe au milieu de l’allée centrale du centre commercial de Dijon, mais le train-train n’est pas vraiment bousculé : les passants font leur shopping au milieu des gilets jaunes. Même la fanfare ne suffit pas à égayer le cortège - merci tout de même aux musiciennes ! Comme pendant les premiers actes du mouvement on va donc à la gare, faute d’inspiration semble-t-il.
Les voies sont occupées pendant vingt minutes, une poubelle est brulée sur un quai, l’accès aux toilettes est une nouvelle fois autoréduit.
Ce qui était un objectif inatteignable pendant les mouvements sociaux précédents devient routinier. Que faire ? L’idée d’aller au centre commercial de la Toison d’Or, à l’extrême nord de la ville, commence à émerger.
On sait pourtant que le chemin est semé d’embûches. Sur le trajet on doit passer devant deux marchés de Noël avec leurs stands de vin chaud. Surtout, ce trajet nous fait repasser devant la rue de la préfecture, théâtre des rituels affrontements de ces dernières semaines. Qu’à celà ne tienne ! Pendant qu’une partie des manifestantes choisi l’option du blocage économique, la frange émeutière occupe les forces de l’ordre aux abords de la place de la Rèpublique. Beau mouvement tactique ! On reprend espoir.
En quête de la Toison d’Or
La fanfare lance le mouvement pour une longue randonnée. La manif traverse des quartiers populaires peu habitués à voir défiler les cortèges. Les gens sortent aux fenêtres, ça klaxonne dans les voitures, et le tram est bloqué. Pendant cette petite heure de marche on chante « on n’est pas fatigués », comme pour s’en convaincre. Arrivé à la Toison d’Or un groupe reste à bloquer l’entrée du parking, pendant que la majeure partie s’engouffre dans la galerie par les portes, au nez et à la barbe de vigiles dépassés par la situation. Pas très zélés non plus. Devant Apple et Starbucks la foule leur crie de payer leurs impôts. On rentre dans le Carrefour, surpris d’arriver jusque là, dans un magasin bondé comme jamais à l’approche de Noël. On chante en coeur « travail, consomme, et ferme ta gueule », « caisse gratuite ». Après une vingtaine de minutes dans le centre-commercial certains suggèrent d’aller rendre visite à France 3 Bourgogne, dont le siège est tout proche. C’est parti.
Arrivé sur place, des manifestants veulent prendre l’antenne. Au portail, certains reprochent au rédacteur en chef adjoint des chiffres de participation tronqués, et l’affaire de la pancarte censurée pendant la manifestation de la semaine précédente.
Un tas de palettes commence à être monté sur le trottoir mais le cortège se délite petit à petit. L’énergie est retombée et les flics arrivent. En ordre dispersé on retourne vers le centre-ville.
Pendant ce temps, place de la Rép...
Alors qu’une partie du cortège s’éloigne en direction de la Toison d’Or, on est beaucoup à choisir de rester aux abords de la préfecture. Comme pendant les semaines précédentes, on va s’agglutiner sur les grilles anti-émeutes que les Gendarmes ont montées à la va-vite pendant notre escapade en ville. Le ton monte, une poubelle est enflammée, une canette vole, les premières grenades sont lançées. Personne ne semble dupe, on ne va pas percer ces lignes de flic, la préfecture va rester inaccessible. Mais une foule hétérogène, loin des clichés sur les « casseurs » (vous savez, ces jeunes hommes, sans foi ni loi, assoiffés de violences, et issus de l’immigration), semble considérer que c’est en montrant leur détermination qu’ils arriveront à faire plier le gouvernement. Comme ils l’ont déjà - un peu - fait pendant les semaines précédentes.
Pendant environ deux heures, des affrontements ont donc lieu au croisement de la rue de la préf’ et du boulevard de la Trémouille, à l’entrée de la place de la rép’. Les jets de projectiles en tous genre, de feux d’artifices, alternent avec les tirs de lacrymo, flashball, et quelques grenades de désencerclement. La place est encore une fois noyée de gaz. Plusieurs passants font des malaises, et au moins un manifestant est touché à la tête, a priori par un flashball ou par une grenade. Des feux sont allumés autour de la place avec les poubelles, et le matèriel récupéré sur le marché de Noël. Quelques tags apparaissent, un abribus est mis en miettes. Les flics encerclent la place petit à petit. Un groupe est repoussé du côté de l’avenue du Drapeau, et le reste de la manifestation est dispersé en petits groupes.
Six semaines après son lancement tonitruant, et avant une probable mise en sommeil le temps des fêtes (ou pas ?) ce mouvement arrive à combiner à la fois une capacité à surprendre, et des rituels parfois lénifiants, parfois galvanisateurs. Qui serait capable de dire ce que nous réserve le début de l’année 2019 ? On espère que ce mouvement n’a pas fini de nous surprendre. Tout ne se joue cependant pas dans la rue les samedi. La capacité de ce mouvement à continuer les occupations, et à se structurer à travers des moments de rencontre et d’assemblées sera décisive. Nous l’appelons de nos voeux.
Le temps est plus que jamais venu de nous rencontrer et de conspirer !
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