À travers la France, la manifestation des gilets jaunes du samedi 24 novembre laisse des images marquantes.
La sous-préfecture de Saint-Nazaire occupée pour en faire un lieu d’organisation de la lutte.
À Montpellier, Les #Giletsjaunes ont fait une haie d'honneur au cortège de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles.
De quoi mettre fin à certains préjugés qui circulent sur eux.
Les deux luttes sont belles. #24novembre #NousToutespic.twitter.com/7EbCEgYHUe— Jean Hugon🔻 (@JeanHugon3) November 24, 2018
Et surtout les explosions, barricades, et tonelles d’hotels de luxes en feu sur les Champs-Élysées, qui tournent encore en boucle sur BFM TV.
Sans oublier quelques tags bien inspirés.
Et à Dijon, que s’est-il passé ce samedi ?
Si la semaine dernière le récit que nous vous proposions était marqué par la perplexité quant à la nature de ce mouvement (« quels seraient les mots d’ordres ? est-ce que les fachos seraient à la parade ? »), c’est sa capacité à durer et son évolution qui alimentaient nos principales interrogations en nous rendant au rassemblement appelé ce samedi à 14h place de la République.
D’abord, il faut bien constater que le rassemblement était bien moins massif que celui de la semaine dernière, qui rassemblait un nombre de personnes qu’aucune manifestation n’avait plus réuni à Dijon depuis de nombreuses années. Pas de quoi s’en attrister, ou crier à « l’essoufflement ». Ce rassemblement a été appelé tard dans la semaine, et sa diffusion a été entravée par les petits-chefs des groupes facebook qui ont cherché à dissuader leurs abonné·es de s’y rendre, ce qui n’est pas rien quand on sait l’importance que prennent les réseaux sociaux dans ce mouvement. Surtout les arrêtés préfectoraux interdisant les rassemblements en ville ce jour-là, et les images des Champs-Élysées qui commençaient à tourner depuis une heure ou deux ont du dissuader une partie de potentiel·les manifestant·es. Beaucoup de gilets jaunes ont donc préféré mettre en place des points de blocage tout autour de la ville : péage de Dijon-Sud, de Crimolois, rond-point d’Ahuy, centre commercial de la Toison d’Or, et dans plusieurs autres points stratégiques du département.
À vrai dire, là où nous avons trouvé un petit millier de personnes, nous nous attendions plutôt à voir une place totalement bouclée par des contrôles de polices, à l’instar de ce que nous avons parfois vu pendant la loi travail ou au printemps 2017. En soi, le fait que cette manifestation puisse avoir lieu était déjà une petite réussite ; nous n’avions pas encore idée de ce que nous réservaient les prochaines heures.
La manifestation n’était pas encore partie de la place de la République que la tension montait déjà entre les personnes présentes et les forces de l’ordre qui, par l’intermédiaire du commissaire De Bartolo (de sinistre réputation) ont tenté de faire porter le chapeau de l’organisation du rassemblement aux militants habitués des manif’ syndicales de ces dernières années.
Dès le départ de la place de la République, une ligne de policiers nationaux et de gendarmes mobiles (GM) tente de couper le passage du cortège, mais se fait forcer par les manifestant·es malgré les coups de gazeuse. S’ensuit une série de manoeuvres incompréhensibles de la part des GM, qui recoupent le cortège, puis en laissent repasser une partie, avant de venir recréer une ligne au milieu des personnes qui sont déjà passées, et de tenter d’isoler un petit groupe de manifestant·es. Ont-ils tenté de saucissonner le cortège ? D’arrêter quelques personnes ? Dur à dire, mais quoi qu’il en soit ils ont été largement dépassés, obligés de rebrousser chemin, sans avoir arrêté personne, mais en ayant déclenché la colère des manifestant·es, parmi lesquels se trouvaient des personnes âgées et des enfants en bas âge qui ont connu leur baptême du gaz.
Le cortège sera à nouveau gazé quelques minutes plus tard dans la rue des Godrans, puis à plusieurs reprises durant toute la manifestation.
Faire le récit détaillé des suites de l’après-midi serait fastidieux et aurait peu d’intérêt, mais on peut évoquer plusieurs moments marquants.
Dans l’ensemble, les manifestant·es ont tentés, tout au long de la manif, d’atteindre la rue de la Liberté, qui - c’est devenu une habitude depuis plusieurs années - était totalement bouclée par les forces de l’ordre. Le cortège a donc contourné cette rue par le sud, jusqu’à la place de la Libération, des points de tensions plus ou moins forts se formant à chaque rue adjacente. Les gilets jaunes sont alors petit à petit dispachés dans tout le centre-ville, avec des groupes plus ou moins gros qui s’aggrègent par endroit.
L’un de ces groupes, plusieurs centaines de personnes, a, comme la semaine dernière, décidé d’aller occuper la gare. Les rails ont été bloqués pendant une bonne vingtaine de minutes avant que le cortège ne reparte vers le centre-ville. Si on se réjouit de voir de telles actions de blocage de l’économie, c’est aussi dans ces moments que l’on constate le manque d’objectifs communs. Après une vingtaine de minutes, le blocage semble déjà lasser tout le monde et on repart en ville avec l’impression d’errer sans but.
De retour vers le centre-ville, les GM se mettent à nouveau en travers du cortège... seulement sur la moitié de la rue. Après un instant de flottement, toute une partie du cortège s’élance au pas de course vers les rues marchandes en tentant de prendre les GM de vitesse. En quelques secondes ceux-ci se déploient, chargent, et saturent la place Darcy de lacrymo. Toutes les personnes présentes sur la place, y compris la foule du shopping, doivent fuir les gaz dans la confusion.
Quelques minutes plus tard un nouveau groupe se forme devant la Préfecture laissée sans défense. En quelques secondes des barricades viennent barrer la rue, des poubelles sont enflammées, l’euphorie gagne la foule, vite balayée par la troupe de GM arrivée pied au plancher depuis la place Darcy. Quelques barricades sont ensuite montées jusqu’à l’entrée de la place Notre-Dame, avant que les dernièr·es manifestant·es ne se dispersent.
À notre connaissance, aucune interpellation n’était à déplorer en fin de journée, mais deux personnes ont du être évacuées par les pompiers, après avoir reçu un tir de flashball dans les testicules et subi une explosion de grenade de désencerclement sur le pied.
Un mot, pour finir, sur la composition de la manif. Si le cortège est resté très hétérogène, comme la semaine dernière, le resserement des rangs permettait d’y voir plus clair. Au milieu des familles, on pouvait encore voir des militants antifascistes, des syndicalistes, des punks à chiens, ou des groupes de motards. Si la Marseillaise s’est beaucoup moins fait entendre que le 17, on a quand même aperçu quelques personnes dont la sympathie pour l’extrême-droite était manifeste, notamment un membre de l’Action Française [1]. Il faudra donc rester vigilant, et continuer à porter des mots d’ordre qu’ils ne pourront pas se réapproprier, et qui n’opposent pas écologie et préoccupations sociales.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info