Être français d’origine étrangère, ou carrément étranger, demeure une expérience particulière. Quand cela se voit à la couleur de la peau, cette expérience peut avoir des incidences plus ou moins agréables dans la vie quotidienne, « plus ou moins » suivant les milieux que l’on fréquente, et les autres éléments distinctifs de type religieux, sociaux et culturels qui s’y ajoutent. Être ou avoir l’air étranger c’est vivre à certains moments de sa vie une expérience de la minorité et de toutes les difficultés qui en découlent.
Parfois, pourtant, au gré des époques, cela peut être avantageux. Dans le théâtre aujourd’hui par exemple : on n’a jamais tant cherché d’acteurs noirs et de jeunes actrices d’origine maghrébine pour parler des banlieues, d’auteur africain (les auteurs africains sont les seuls à ne pas avoir de pays, mais tout un continent) francophone (s’ils ne le sont pas, ça risque d’être compliqué) pour parler depuis leur endroit, forcément plus juste, des migrants...
On force le trait, mais cela correspond à une réalité qui nous concerne directement. Ces dernières années, de nombreux dispositifs ont été mis en place pour permettre à des personnes issues des minorités – de la diversité des minorités donc – d’accéder enfin à un peu de représentation. On venait apparemment de se rendre compte qu’elles étaient bien présentes et faisaient part intégrante de la société française, et qu’il était troublant de les voir si peu sur les plateaux de théâtre.
Ces dispositifs sont plus que bien venus, car il était vraiment temps que les choses bougent au théâtre comme ailleurs, mais, en profondeur, quelque chose persiste qui parfois nous gêne, ou nous irrite. Si les choses bougent, dans quel sens vont-elles ? Sommes-nous en accord avec la place que les institutions décident à un moment d’accorder à certains chanceux pour présenter un joli visage multicolore et photoshoppé de la société française et se dédouaner en contrepartie de la persistance de certaines formes de discriminations sociales et raciales ?
Qu’en est-il de ceux qui se retrouvent concernés par cette désignation : l’acceptent-ils ? en sont-ils satisfaits ? En profitent-ils ? Est-ce que les nouveaux rôles qu’on leur offre leur conviennent ? S’en contentent-ils en attendant d’explorer des domaines qui les intéressent davantage ?
D’un seul coup, nous apparaît un danger : il ne faudrait pas troquer une assignation pour une autre. Une assignation à l’invisibilité par une assignation à une place définie
qui enferme. Ne pas s’en tenir à être toujours la figure de « l’autre », « l’étranger » dont la société a besoin pour se regarder et se construire. Quelle société ? Toujours celle dont
la norme est l’homme blanc et hétérosexuel ? C’est un peu trop facile, trop archaïque, nous n’avons jamais tenu à avoir le monopole de l’altérité.
Nous ?
Nous, le divers au sein du divers.
Notre conférence aborde ces questions d’un point de vue critique, mais il ne s’agit pas de se cantonner à dénoncer ce qui tente d’être fait. Il s’agit, à travers nos écritures
singulières, formées par les vies et expériences singulières que chacun d’entre nous a connues, de réfléchir justement à la place qu’on nous assigne. À ce que l’on projette
sur nous. À ce que nous pensons que l’on pourrait projeter sur nous, car nous n’y échappons pas, et luttons aussi à déconstruire certains schémas de pensée.
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