Laurent Nuñez à Chalon : L’Opération Clémentines


Saône-et-Loire

Récit de la soirée du 30 janvier à Chalon, contre la réforme des retraites, contre les violences policières, Macron, et son monde.

En cette soirée du jeudi 30 janvier 2020, le dispositif policier aux abords de la rue aux Fèvres était sans précédent.

Il faut dire que le sous-préfet était passablement agacé depuis la veille. Ses services n’avaient rien vu venir concernant l’attaque aérienne de la sous-préfecture par des milliers d’avions en papier sur fond sonore de chevauchée des Walkyries. Mais qu’avait-il fait pour être entouré d’une telle bande d’incapables ? Comment ce bâtiment de l’État avait-il pu être attaqué une seconde fois en l’espace d’une semaine sans que ses équipes n’anticipent rien ? La semaine dernière, passe encore, un jeté de livres par des enseignant-e-s en colère... mais là, des origamis se scratchant sous ses fenêtres ? Lancés pour certains par des enfants ? C’en était trop.

Tout à sa rancœur, il broyait ainsi du noir dans son bureau, quand son conseiller frappa à la porte et dit en entrant, l’air paniqué :

"- Monsieur le sous-préfet, nous avons intercepté ce courriel en provenance de l’AG interlutte de Chalon. On dirait bien un message codé, il se trame quelque chose pour la venue du secrétaire d’état !"

- Calmez-vous mon cher, donnez-moi cette missive, et laissez-moi seul."

Une fois le messager reparti, il chaussa ses lunettes et lu :

De : AGinterluttesChalon@caramail.com
A :
Envoyé : jeudi 30 janvier 2020 à 06:56:57 UTC+1
Objet : Clémentines à récupérer ! / jeudi 30 janvier 18h30

Salut tout le monde, en fait c’est un message codé du genre des carottes sont cuites, mais à base d’agrumes. Une astuce informatique pour contourner les limiers numériques de la police scientifique : ils étaient là hier à Chalon en appui logistique au commissaire Pique (les yeux) pour faire des relevés d’empreintes génétiques et d’acide désoxyribonucléique. Nous avons jugé bon de signaler leur présence par le générique des Who sur le doblo-sound-sytsem. Mais bon c’est quand même pas les e xperts-Miami : un camarade toujours prompt à brocarder la maréchaussée, nous affirmait qu’ils sont tout juste capables de tremper une bandelette-test dans un flacon d’urine. Ceci dit nous nous sommes quand même adapté-e-s au rapport de force peu favorable hier et sommes restés prudent-e-s, afin de ne pas se retrouver comme certains camarades samedi à manger des oranges. Tout ça pour dire que vous pourrez récupérer les clémentines ce jeudi soir à 18h30 à la maison des syndicats.

Ainsi donc les opposants à la réforme des retraites ne lui laisseraient aucun répit. Au moins cette fois était-il prévenu à l’avance qu’ils comptaient passer à l’action. Il allait pouvoir agir en conséquence et faire l’étendue de ses compétences auprès du Secrétaire d’État à l’Intérieur. Celui-ci devait en effet assister ce soir à la réunion publique du candidat LREM à la mairie de Chalon, en compagnie du député.

Le sous-préfet s’imaginait déjà les retombées possibles pour sa carrière, avec - qui sait - une nouvelle médaille dans l’ordre de la légion d’honneur, quand son portable sonna. Le numéro qui s’affichait était celui du candidat LREM aux municipales.

Merde, ce tocard est déjà au courant, se dit-il. Il va certainement vouloir tout annuler. Il faut que je l’en empêche, sinon adieu à ma distinction...

"- Allô, Monsieur le sous-préfet, je suis encore visé ! fit le candidat, visiblement surexcité. Des opposants ont l’intention de perturber ma réunion publique ! Je dérange, donc on veut m’abattre !

Ce crétin a pris la grosse tête, pensa le sous-préfet, mais il faut à tout-prix que je le rassure.

- Calmez-vous Monsieur, on va faire front, on ne va rien annuler du tout, répondit-il.

- Mais vous vous rendez compte, on ne peut pas laisser une bande d’activistes venir interpeller Monsieur le Secrétaire d’État, je vais passer pour qui moi aux yeux de mes électeurs ?

- Je vous intime l’ordre de vous calmer, vous allez maintenir votre réunion mais nous allons adapter notre dispositif de sécurité."

Et c’est ainsi que le grand meeting public qui devait lancer en fanfare la campagne LREM sous le parrainage du secrétaire d’état, prévu initialement dans une salle de 300 personnes, se transforma en un minable huis-clos d’une quinzaine de figurants dans un local exigu au milieu d’une rue piétonne de Chalon.

Une ruelle entièrement privatisée pour l’occasion, tous les accès étant bloqués par les forces de répression : la police locale, les CRS, la BAC, les renseignements territoriaux... en tout une bonne cinquantaine de gens armés, pour ce que les autorités avaient baptisé du nom de code : « l’Opération Clémentines ».

Le sous-préfet avait vu juste : aucune distribution de clémentines n’était prévue, c’était un leurre, et nous avions en effet bien l’intention d’empêcher cet ignoble secrétaire d’état aux violences policières de venir se pavaner en toute tranquillité dans notre ville.

Nous ne tardâmes donc pas à faire notre apparition, munis de portraits des victimes de la répression du régime macronien et brandissant une banderole : "essayez donc la démocratie, et vous verrez." Nous fîmes suffisamment de bruit avec des slogans très inventifs pour perturber ce qui subsistait du grand raout initialement prévu, en tentant d’imaginer l’ambiance festive et amicale qui devait régner entre le sous-préfet, le député, le secrétaire d’état et le candidat en marche, cloîtrés dans leur petit pied-à-terre. Nous fîmes également preuve de réconfort à l’égard des riverain-e-s qui tentaient d’expliquer avec toutes les peines du monde à la bleusaille qu’ils-elles habitaient dans la rue et aimeraient quand même bien rentrer préparer le souper : "voilà ce qu’ils appellent la démocratie !"

Après 3h de ce face-à-face, nous aperçûmes Nuñez le secrétaire d’état se faire exfiltrer du local, sous l’œil du sous-préfet pensant avec amertume à sa carrière stoppée en pleine ascension, et du candidat en marche pensant à sa prochaine traversée du désert.

Quant à nous, nous terminâmes autour d’un petit canon à la maison des syndicats, puis nous nous donnâmes rendez-vous à lundi et demi. Encore un message codé.

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