Elle s’appelle Berthe. L’année des B, comme pour les chiens à pedigree. Ses parents ont redécouvert avec émerveillement, en même temps que les vieux légumes, les vieux prénoms. Ses copains s’appellent Octave, Léonie et Raymond.
Cette Berthe vient d’emménager à Dijon. Elle a d’abord pleuré. Quitter Argenteuil₋ pays de l’asperge- pour Dijon- pays de la moutarde- lui a semblé un déchirement inutile. Elle a regardé sur une carte. La mer est loin et les clochers nombreux. Il faut suivre les parents quand on a 17 ans, où qu’ils aillent. Papa en a assez de la banlieue, maman de son boulot.
Premier jour dans son nouveau lycée de "centre ville". 35 têtes nouvelles, quelques vieux prénoms et bizarrement pas un seul noir. Avec le temps, elle apprendra que les noirs, les français d’origine maghrébine (elle a appris l’année dernière en éducation morale et civique qu’il ne fallait pas dire arabes) sont en professionnel ou en technologique, pas tous, ouais, mais beaucoup et dans d’autres bahuts.
Le temps passe, Berthe s’habitue. Elle découvre que Dijon est un Paris miniature. Il y a même une réplique de l’Arc de Triomphe et du jardin du Luxembourg sur une même place. C’est pratique, t’as pas à prendre le métro pour aller de l’un à l’autre. Elle découvre aussi que certains lieux brillent d’un éclat particulier. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais entendu le mot « préfecture ». Ici, tout le monde parle de la « préfecture ». La presse locale quand il s’agit de transmettre un communiqué de la « préfecture », les associations militantes qui demandent un rendez-vous en « préfecture » et les gilets jaunes qui, chaque samedi, se retrouvent coincés rue de la « préfecture ». Le préfet ici semble avoir du pouvoir, un peu comme un vieux roi, de ceux dont on parle en cours, qui passent leur temps à bouffer pendant que des pauvres crèvent. Ceci dit Berthe, le préfet, elle s’en fout. Elle se fait de nouveaux potes, traîne au Chez Nous (seul café où des vieux ressemblent à des jeunes à moins que cela ne soit l’inverse) et va aux Tanneries le samedi soir écouter du gros son.
Mais voilà, la vie de Berthe va entrer en collision avec la « préfecture ». Le jour où elle apprend qu’une de ses copines au lieu d’aller prolonger sa nuit en maths à 8h comme tout le monde, est allée faire un tour à Metz -rien que le nom de la ville fait trembler, surtout le -z à la fin- Sa copine est albanaise, un de ces pays bizarres auquel personne ne comprend rien mais qui fait très peur au préfet. Peut-être craint-il qu’un brigand de là-bas menace de l’égorger ou que sa femme fuie avec un bel homme venu des montagnes (Berthe ne sait pas s’il y a des montagnes en Albanie mais dans sa tête, ça peut pas être plat comme la Hollande).
En tout cas, Elita (c’est le nom de sa copine), elle est dans une prison qui ressemble à un cri de corbeau, un CRA. Elle n’a même eu le temps de prendre une brosse à dents quand les gendarmes sont venus la chercher à six heures du matin comme si elle avait assassiné ses parents et planqué leurs corps dans une poubelle. Depuis, Berthe n’a pas de nouvelles car des gros bras pas trop gentils ont piqué le téléphone de sa copine. Il paraît qu’elle va rencontrer un juge qui porte un drôle de nom « juge des libertés ». Pourquoi pas juge des oiseaux dans le ciel ou du vent dans les voiles ?
Berthe avait 15 ans en arrivant à Dijon et aujourd’hui, après un an passé dans la ville proprette entourée de vignes, elle a le sentiment d’avoir vieilli de 10 ans. Elita est en Albanie et Berthe n’a plus de nouvelles. Et depuis son départ, plein d’autres ont visité Metz et l’aéroport de Roissy. Sans compter ceux qui se sont retrouvés sur un terrain vague près de la rocade, sous des tentes comme celles dans les documentaires qui se passent en Afrique. Pas pour faire du camping ou pour la joie de faire caca dans un seau prêté par la mairie. Non, juste parce qu’un sale bonhomme a décidé qu’il allait empêcher des femmes et des hommes venus d’ailleurs de vivre ici (peut-être auraient-ils dû envoyer une carte postale pour annoncer leur arrivée se demande Berthe ?).
Si tous les préfets du France se donnent la main, la France ressemblera bientôt à un chenil où les chiens de race aboieront après les bâtards. Berthe, elle en a fait un rap. Pas mal.
Mais Berthe a de l’espoir car elle a appris à l’école que si les bâtards se mettent ensemble, ils peuvent parvenir à bouffer les préfets. C’est arrivé dans l’histoire même si le problème, c’est que les préfets, de par le monde, il y en a vraiment beaucoup.
Pas grave Berthe a de l’appétit ! Et ses potes aussi.
Allez, à la prochaine...
« On a pas rêvé de venir en France » - Interview au Chemin des Cailloux
« C’est la France qui a créé les problèmes chez nous, qui a soutenu les dictateurs, et c’est pour ça que nous on est venu en Europe, sinon on serait jamais venu. »
Interview réalisée en septembre 2019.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info