[FàC #4] Des stades aux puits



Les manifestations de mécontentement face à la hausse des taxes sur le gasoil sous prétexte de mesure écologique nous font nous remémorer la solidarité des footballeurs envers les mineurs anglais, bêtes noires des premières mesures soit-disant environementales.

1885 * La mine, le club, ou les deux ?
Des débuts du football professionnel au Royaume-Uni aux années 70, des générations de jeunes mineurs cherchent à devenir footballeur pro. L’extrême dangerosité et la dureté du métier poussent ces Gueules noires à tout faire pour échapper à leurs conditions, le football représente alors le seul « ascenseur social » pour ces jeunes-là. Cette longue association entre football et mine est souvent marquée par des gestes forts, exprimés surtout pendant les grandes grèves (1912, 1926, 1972, 1974, 1984), comme les innombrables collectes d’argent autour des stades. Une quantité phénoménale de footballeurs et managers britanniques furent mineurs de fond. Parmi les plus illustres, citons Billy Meredith, Herbert Chapman, les frères Bobby & Jack Charlton, Jackie Milburn, Matt Busby, Bobby Robson, Gerry Hitchens, Jock Stein, Bob Paisley et Bill Shankly. Rien que le Glenbuck Cherrypicker F.C. forma cinquante professionnels.

1972 * Le retour des mineurs
Il n’y avait pas eu de grève générale des mineurs en Grande-Bretagne depuis 1926.
Le 9 janvier, les mineurs, insatisfaits de l’augmentation salariale annuelle, entament une grève. Le NUM (National Union Mineworkers) revendique une augmentation de salaire de 43% et empêche les livraisons de charbon. Face à la pénurie, le gouvernement décrète l’état d’urgence le 9 février et impose de fortes restrictions énergétiques. 1,4 millions de personnes se retrouvent au chômage forcé. La grève se durcit pendant plusieurs semaines jusqu’à la Bataille de Saltley Gate qui a lieu à Birmingham du 3 au 10 février. Un piquet de mineurs est surpassé en nombre par une intervention policière. Une dizaine de milliers d’ouvriers des usines proches, de l’industrie automobiles du groupe Leyland, débrayent par solidarité et accourent en masse aider les mineurs. Au final, 30.000 ouvriers arrivent à déborder la police et à bloquer le site de production de gaz de Saltley Coke Works. L’État finit par céder et les mineurs acceptent sa proposition d’augmentation. Ils reprennent le travail trois jours après, au terme de 47 jours de grève.

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Brian Clough dit ’Cloughie’, coach de Derby County et futur manager emblématique de Nottingham forest, qui à 17 ans provoquait une grève de ses coéquipiers pour faire limoger son président, participe à sa façon au mouvement. Clough débarque sur le piquet de grève de Spondon Power Station, près de Derby. Il arrive avec ses joueurs à qui il a demandé de rester sur le piquet toute la journée : « Les gars, restez ici et discutez avec ces mineurs, vous verrez comme ils en bavent. Je veux que vous compreniez la chance que vous avez par rapport à ces gars qui doivent descendre dans les entrailles de la terre pour gagner leur croûte. Je vous laisse et quand je l’aurai jugé nécessaire, je demanderai au bus de venir vous chercher. » Cloughie revient chercher ses joueurs en ramenant des billets aux grévistes afin qu’ils puissent assister aux matchs de son équipe qui gagnera le championnat.
Clough demandait à son équipe de jouer avec le ballon à terre et de façon constructive. Avec son tempérament explosif et séditieux, ce personnage, prisé des médias et des milieux populaires, se démarquait de l’establishment footballistique. Il en était de même dans sa conception du jeu face au conformisme britannique de l’époque. Il parvient à faire du pâle club de Derby County, venu du fond de la D2, le champion d’Angleterre 1971-72, coiffant sur le fil les grands clubs comme Leeds United, Manchetesr City, Manchester United et Liverpool. En 1994 il manifestait encore contre la fermeture d’un des derniers puits de charbon du North Nottinghamshire.

1984 * La dernière bataille
En Grande-Bretagne comme en Amérique du Sud, la CIA travaille à mettre en place ses pions et ici elle organise la déstabilisation du gouvernement travailliste afin d’installer la baronne Thatcher comme Premier ministre du Royaume-Uni en 1979. Son plan est de démanteler le secteur du charbon au profit du lobby nucléaire. La Dame de Fer nomme le Président de l’Autorité de l’énergie Atomique de Grande-Bretagne à la tête du CEGB (EDF britannique) en 1982. La partie ne va pas être facile, il lui faut ébrècher la grande popularité dont jouissent les mineurs, surtout depuis les luttes victorieuses des années 70. Pour cela elle paufine un discours écologique et leur construit une image de destructeurs de l’environnement. Le conflit de qui va se jouer lui sert à mettre au point son célèbre discours de 1988 sur le réchauffement climatique prononcé devant la Royal Society, qui initie la création du GIEC. C’est la genèse des grandes déclarations de principe sur la planète en danger qu’il faudrait sauver, qui couvre la véritable préoccupation des gouvernants et industriels à sauver leurs propres entreprises. Rappelons que derrières les belles idées évoquées c’est le passage du nucléaire qui est en jeu. La défaite des Travaillistes aux élections générales de 1983 offre à Maggie toute la latitude pour mettre son plan en place. Elle s’attend donc à de fortes turbulences sociales et une radicalisation de certains secteurs.

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#4 3

La méthodiste, après avoir été obligée d’annuler son programme de fermetures de puits en 1981 face aux grèves, anticipe le coup. Elle fait stocker des réserves de charbon équivalentes à cinq mois de consommation, demande aux centrales thermiques de se tenir prêtes à utiliser des combustibles fossiles autres que le charbon (gaz, fioul, huiles) et fait embaucher des routiers non syndiqués pour le transport entre dépôts. L’armée de terre est même en stand-by, au cas où. En coulisses, Thatcher réunit régulièrement son état-major pour aiguiser au mieux la lame de la division. Elle sait que le moyen le plus efficace pour fragmenter ce bloc pour de bon est de dresser les uns contre les autres. Thatcher échaffaude une série de stratagèmes visant à morceler le mouvement et le faire imploser de l’intérieur ; les négociations se feront puits par puits, les propositions de reclassement seront sélectives, les promesses faites à certains groupes ou puits seulement. Avec dans son arsenal clivant, quelques mesures particulièrement mesquines, des coups bas « ad hominen » telle la réduction des aides sociales aux familles grévistes. Elle réservera aux mineurs grévistes le même surnom qu’elle donnera aux hooligans : the enemy within, l’"ennemi intérieur". Sûre d’elle, elle se permet même des déclarations comme : « Le dernier gouvernement Conservateur a été annihilé par les grèves des mineurs de 1972 et 1974, et bien nous provoquerons une autre grève et nous sortirons vainqueur. » Elle programme ainsi 64.000 suppression d’emploi entre 1984 et 1987.

Le coup d’envoi est donné le 5 mars, à la suite d’une fermeture de puits dans le Yorkshire. La moitié des mineurs de la région arrête immédiatement le travail illégalement. Des heurts avec la police et les non-grévistes éclatent dès les premiers jours. Le 15 mars, un premier mineur décède, dans des circonstances tragiques. Les tensions vont crescendo et les violences graves sont routinières. La grève est longue : 362 jours, 11 morts, 20.000 blessés, 11.500 arrestations, 8500 grévistes assignés en justice. Et au-delà des chiffres, des communautés entières décimées. À la tête du mouvement, Arthur Scargill, l’ennemi juré de Thatcher, président du NUM qui dirige les opérations et organise la résistance depuis son fief de Barnsley, gros bassin minier et épicentre de la lutte, et ne lâchera rien.

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#4 6

Presque naturellement, le football va rapidement s’imposer comme un vecteur d’espoir et d’unité, de solidarité même. Avant la grève, au Easington Colliery AFC, club de la mine d’Easington, on jouait au foot une fois par semaine. Après deux mois de grève, on tape le cuir tous les jours. Le club sert même de centre névralgique et de cantine pour les familles dans le besoin. Et chose impensable, certains scabs (jaunes) et policiers y sont tolérés. Le temps d’un match, on oublie les rôles de chacun.

Barry Harper, ex cheville ouvrière du centre de loisirs de la mine, déclare dans une interview diffusée à la BBC en avril 2014 :
« Le football a toujours été vital ici et arrivé le samedi après-midi, on oublie tout et on joue. Sans le football, beaucoup ici auraient été perdus. En fait, la grève nous a fait jouer au foot bien plus souvent qu’avant, les plus jeunes mineurs y jouaient presque tous les jours. »
Jeff Cranson, mineur gréviste solidement engagé dans la lutte, confirme et précise que le soutien n’était pas que moral pour les meilleurs joueurs du club :
« Le midi, on se retrouvait au Welfare Centre [centre d’aide sociale où étaient mis en commun les dons et la nourriture] pour y manger un morceau et l’après-midi, on disputait souvent un match. Pour moi qui avais trois enfants, c’était peut-être encore plus dur que pour les plus jeunes ou les célibataires, toute une année sans salaire, on tirait la langue. Mais il fallait passer par là, c’est notre gagne-pain, notre vie qu’on défendait. Je jouais dans l’équipe première de la mine, on disputait la County Cup et on se débrouillait bien, pas mal de monde venait nous voir et je touchais un peu d’argent grâce à ça. Sans le football, je ne sais pas si j’aurais tenu le coup. »
Tommy Garside, un autre mineur gréviste et crack de l’équipe, acquiesce :
« La grève des mineurs fut terrible pour la communauté, elle coupa la ville en deux et parfois même les familles. […] Heureusement, ici sur Easington, le football a toujours beaucoup compté et il a agi comme un ciment, en permettant à la communauté de ne pas se disloquer complétement. Grâce à la solidarité, aux dons, aux collectes diverses et grâce aux matchs de foot pour beaucoup, comme spectateur ou joueur, on a tenu bon. Certains non-grévistes étaient tolérés, on jouait plutôt contre eux qu’avec eux et surtout dans les matchs officiels, championnat de District et County Cup mais il nous arrivait de les inclure dans notre équipe du week-end. La plupart d’entre nous savaient respecter cette parenthèse. Y’avait même des flics qui ont joué pour nous si on avait des blessés ou autre. Et pourtant, on les haïssait. »
Tel le policier George Curry, qui raconte :
« Les gars m’acceptaient car j’étais du coin et je les comprenais même si je ne m’exprimais pas trop là-dessus. Je me déplaçais en bus avec eux le week-end et j’ai parfois dû fermer les yeux sur certains trucs illicites, comme le jour où l’un des joueurs a repéré un tas de bûches de chauffage près d’une station service et que tous les gars sont descendus pour les piquer. Enfin, fallait bien se chauffer… »

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#4 1

On y retrouve Brian Clough qui défile avec les mineurs du Nottighamshire en grève en appellant tous les supporters issus de la classe ouvrière à : « faire une donation au fond des mineurs » et Jock Stein, joueur et manager du Celtic Glasgow, qui travailla durant sa jeunesse dans les mines de charbon du Lanarkshire. Stein garde les valeurs de solidarité ouvrière qu’il a apprises au fond des puits tout au long de sa carrière, il participe aux collectes de fonds organisées en soutien aux mineurs et pousse ses proches à en faire autant face à la tactique assumée de Thatcher et de la direction des charbonnages d’affamer les grévistes. Stein a pour habitude d’apostospher durement les camions conduits par des scabs (non grévistes) chargés de transporter le charbon.

L’arrêt de la grève et la reprise du travail sont votés le 3 mars 1985 à Londres, à 52 %, par les 189 délégués du National Union of Mineworkers. Aucun accord n’a pu être signé ou compromis trouvé avec le National Coal Board (Société Nationale du Charbon). 25 000 emplois sont supprimés avant la fin 1985, et 130 000 autres d’ici 1992. Arthur Scargill, s’estimant lâché par le Parti travailliste, hurle au complot politico-médiatique et s’élève contre l’acharnement judiciaro-policier tout en exhortant ses troupes à continuer le combat, au niveau local cette fois.

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1995 * Les Rouges sont de la partie
En septembre, les dockers de Liverpool apprenent que 500 d’entre eux sont licenciés pour avoir refusé de franchir un piquet de grève. Ils décident de bloquer l’entrée des docks jusqu’à ce que la direction revienne sur sa décision. Le 6 mars 1997, lors du 1/4 de finale de Coupe des Coupes qui oppose Liverpool FC à SK Brann Bergen, Robbie Fowler et Steve McManaman affichent leur soutien aux dockers qui en sont à leur 545e jour de blocage. Venant de marquer un but, Fowler dévoile un t-shirt où il est inscrit : « 500 doCKers virés depuis septembre 1995 ». Les instances européennes condamnent Fowler à payer une amende pour ce geste. Il déclare : « À la base, il était prévu de garder le maillot tout au long du match pour montrer le t-shirt à la fin, mais j’ai marqué, alors je l’ai enlevé. J’ai été sanctionné par la fédé, mais je n’ai aucun regret. Ça n’a peut-être pas aidé les dockers sur le long terme, mais ça a mis un gros coup de projecteur sur leurs problèmes. Le retentissement a été extraordinaire, ça a fait du bruit au niveau mondial, alors que jusqu’alors, ils avaient du mal à se faire entendre ne serait-ce qu’à Liverpool. À mon avis, quand on a, comme footballeur, la chance d’être exposé médiatiquement, c’est un peu notre rôle de donner ce genre de coup de pouce. »

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2013 * Délivrance
Le 9 avril 2013, au lendemain du décès de Margaret Thatcher, des processions défilent spontanément en mode carnaval dans les rues des villes de Grand-Bretagne. On y sabre le champagne discount et on y parade avec une Maggie en cercueil avant d’embraser un bûcher sous les vivas de la foule. Et on se remémore probablement les luttes d’antan et peut-être aussi les matchs de foot entre grévistes, flics et scabs, en versant quelques larmes. Les sanglots de la délivrance sans doute.

Pour une histoire détaillée de la longue amitié entre les mines et le foot lisez :

http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2015/03/03/12-le-foot-britannique-dans-la-greve-des-mineurs/



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