Alors que l’organisation du jour a été émaillée de très nombreuses divergences entre gilets jaunes et les structures plus institutionnelles (deux manifestations étaient appelées à peu près en même temps à 200m l’une de l’autre) mais aussi d’embrouilles diverses entre organisations « classiques » sur des désaccords de termes (Solidaires a ainsi refusé de signer l’appel à une « manifestation pacifique »), nous ne pouvons que nous réjouir du monde présent dans un contexte si particulier. Nous avons dénombré plus de 2000 personnes sur le court et trop classique parcours officiel « République - Wilson ». Même la préfecture et ses journalistes parlent de 1800 manifestant·es.
Une telle mobilisation sur une thématique éloignée des questions du travail est assez rare, elle est donc d’autant plus significative. Les syndiqué.e.s n’en étaient pas moins nombreux·ses, aux côtés de militants d’organisations politiques, écologistes, associatives, de collectifs féministes, de nombreux gilets jaunes venus de tous les départements alentours, et de personnes tout simplement inquiètes de cette loi.
Une fois le contexte posé, revenons à la manifestation.
Celle-ci s’élance donc de la place de la République avec comme mot d’ordre « retrait de la loi Sécurité Globale » et toutes les immondices qu’elle porte en elle (floutage de la police, usage de drone dans le cadre d’une surveillance généralisée de la population, etc). Le cortège s’élance doucement, silencieusement, dans le boulevard Thiers. Les premiers fumigènes éclairent la foule qui arrive place du 30 octobre.
Un feu d’artifice est entendu au milieu de la foule, plutôt même au fond de la manifestation. Les têtes se lèvent. Un artifice et un drone s’amusent. Un drone sur une manifestation « autorisée », au bout de deux cents mètres, un triste symbole de cette nécessaire mobilisation contre la surveillance. L’usage d’un drone n’est pas une première à Dijon, mais c’est resté très rare jusqu’à maintenant.
La manifestation continue son chemin, le boulevard Carnot se peuple. Des drapeaux rouges de la CGT sont là, tout comme des drapeaux verts, des chasubles roses de Solidaires, de gilets jaunes mais aussi de personnes en noir. Hantise préfectorale qu’est la synergie. Nous noterons aussi les drapeaux rouge et noir de la « Libre pensée ». Quel monde !
A l’approche de la place Wilson, une certaine tension se fait sentir en tête de cortège, ça se questionne, ça prend le temps, comme trop souvent. Les flics sont aperçus dans Chabot-Charny, ça donne envie, il est à peine 15h.
Après l’arrivée place Wilson et la « dispersion » officielle une autre manifestation commence. Les guillemets sont de rigueur, puisqu’en réalité seul le carré de tête des drapeaux est parti. Les manifestant.e.s qui ont quitté le cortège à ce moment sont moins nombreux.ses que celles et ceux qui sont resté.e.s.
Très vite c’est le face-à-face en bas de la rue Chabot-Charny, où un déploiement massif de CRS empêche tout mouvement vers le centre-ville. C’est un bouquet final qui donne le véritable coup d’envoi de cette deuxième mi-temps : les fameux « mortiers » évoqués par la préfecture et ses journalistes. Des poubelles prises de froid s’enflamment. S’ensuivent des dizaines de tirs de lacrymo tous plus inefficaces les uns que les autres.
Flics lâchez l’affaire, vous perdez votre temps. Deux ans de gazage intensifs nous ont immunisé. On en a vu l’illustration ce samedi : les salves de gaz ne provoquent plus de mouvements de panique. On s’en amuse. C’est à qui renverra, enterrera ou noiera le plus de palets dans les fontaines publiques. La sono dub et la battucada égayent ce moment et passent aux moins téméraires l’envie de partir.
Après une demi-heure de ce petit jeu les cognes se décident à avancer à travers la place Wilson, en direction des allées du parc. La manifestation, loin de se disperser, se diffracte : des groupes partent vers la rue Charles Dumont, vers les allées du parc et vers la rue d’Auxonne, faisant même craindre un encerclement aux flics imprudemment avancés rue de Longvic. Difficile de continuer un récit chronologique. Quelques heures plus tard, chacun·e aura une manifestation différente à raconter à ses proches autour d’une bière, ou d’une boisson chaude.
Un groupe part direction boulevard Thiers sans aucun flic sur ses talons. Il tentera de s’approcher du centre (ville) commercial mais sera repoussé vers l’église Saint-Mich’. A cet endroit on nous rapporte que la volaille a savaté au sol un pauvre manifestant et gazé une personne agée. Un contre cinq, même en MMA ça ne marche pas.
Un deuxième groupe enjaille la rue d’Auxonne. Il se perdra – semble-t-il – au long de la rue, après quelques feux de poubelles et un manifestant arrêté.
Un troisième décide de ne pas lâcher les allées du parc, malgré une pluie drue de lacrymos. Après quelques minutes vient une éclaircie. Le gaz s’interrompt, sans raison apparente. Les flics sont en réalité à court de cartouches. Ils se retirent des allées du parc, au pas de course d’autant qu’un autre attroupement venu de la rue du Transvaal menace leurs arrières. Les manifestant.es se mettent à courir en direction de la place, les bleus, eux, courent en direction de leurs fourgonnettes usagées. Euphorie. De courte durée. Le gaz rechargé, le footing repart mais dans l’autre sens…
On en oublie peut-être, mais, quoi qu’il en soit, il aura fallu plusieurs heures pour que les flics parviennent finalement à ramener la paix aux abords du centre commercial Dijon Centre Ville TM. À notre connaissance les derniers gazages et charges de CRS ont eu lieu vers 18h... à l’autre bout du centre-ville, place de la république là où cette manif avait commencé 4h plus tôt. Là une centaine de personnes, essentiellement des gilets jaunes, continuaient jusqu’au bout de tenir le pavé.
Il est temps d’interrompre ce récit kaleïdoscopique par un constat plus critique : un centre-ville quasiment inaccessible malgré quelques percées, huit arrestations a minima, une désorganisation toujours prégnante. Surtout un sentiment de n’avoir depuis deux ans que deux scénarios de fin de manif : à République avec une dispersion vers Drapeau/ Jouvence, ou à Wilson avec une dispersion vers les allées du parc et la rue d’Auxonne.
Face à une telle mobilisation, on ne va pas cacher notre joie de voir une foule si solidaire, de voir des flics égarés, mais les prochaines fois visons mieux, visons plus ! Les flics qui s’agenouillent sous leurs propres gaz ne doivent pas nous suffire.
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