Depuis le début du mouvement, il y a bientôt six mois, les Gilets Jaunes ont considéré les médias avec méfiance. S’ils ont au départ été traités avec une certaine bienveillance par les rédactions des grands médias, les Gilets Jaunes ont pu constater un retournement du traitement médiatique en leur défaveur, à partir de l’acte II (24 novembre), et surtout après l’explosion de colère de l’acte III (1er décembre).
Depuis, le divorce est acté. La défiance envers les médias n’est certes pas un fait nouveau, leur collusion avec la sphère politique étant depuis longtemps dénoncée, mais elle a pris une tournure nouvelle, avec un regain d’agressivité face aux journalistes pendant les manifestations, notamment à Paris, à Toulouse, à Rouen, ou dans la Drôme.
Les rédactions quant à elles, cherchent à comprendre le phénomène. Toutes le dénoncent avec virulence, mais certaines y voient aussi l’occasion d’une remise en question. Depuis la mi-janvier, le sujet des violences policières, jusqu’ici passé sous silence, et ce depuis plusieurs années, fait la une des JT et de la presse papier, notamment grâce au travail de recensement et de contre-information de David Dufresne. Doit-on y voir une tentative de réconciliation des médias avec les Gilets Jaunes ? Ce nouveau retournement médiatique est en tous cas une victoire pour le mouvement, qui parvient ainsi à imposer une de ses problèmatiques dans le champ médiatique.
Comme nous l’avions fait précédement avec la question de la violence dans les manifestations, nous sommes allé·es demander à des Gilets Jaunes ce qu’ils pensaient des médias, pendant la manifestation du 19 janvier (Acte X) à Dijon.
Place de la République, 14:20
« — T’es là depuis combien de temps sur les manifestations ?
— Je suis là, sur les manifestations, depuis le 7ème (acte). Autant dire que j’ai mis du temps à démarrer, comme pas mal de gens j’étais un petit peu perplexe au début. Enfin... j’aimais bien dès le début mais je m’y serais pas investi forcément. Je bosse beaucoup le samedi, donc il faut que je me libère, et maintenant je me libère.
— Quelles informations t’ont donné envie de venir ? Est-ce que c’est plus des choses que t’ont dit les gens ou bien des choses que t’as pu lire ?
— Les informations... beaucoup internet évidemment... certainement pas ce que les gens disaient de ce qu’ils avaient vus dans les médias. À partir du 1er décembre, comme pas mal de personnes je me suis beaucoup renseigné sur le mouvement, et... ça m’a donné envie d’agir, par solidarité, parce que depuis un moment on sait tous qu’il faut être solidaires, qu’on arrivera à rien chacun de notre côté. Quoi qu’il se passe il faut participer, du moins c’est ce que je pense.
— Du coup c’est quoi toi les journaux, les chaînes de télévision que tu vas regarder ?
— Oula, je regarde pas vraiment de chaînes... J’écoute France Culture quand il faut que j’écoute la radio, mais sinon je vais voir les choses sur Mediapart... Je vais plutôt voir des noms que des chaînes de télé. Denis Robert par exemple, Thomas Porcher, des noms comme ça, Frédéric Lordon, et compagnie.
— Souvent dans les grands médias, les Gilets Jaunes ils vont être qualifiés de fascistes, de complotistes, ce genre de termes. Toi ça t’as pas fait peur ?
— Non, absolument pas, quand on voit la superficialité des médias sur pas mal de sujets, non absolument pas. Pis quand on sait que la plupart des médias sont possédés par des grands milliardaires... Ça m’a pas fait peur du tout.
[...]
— Au niveau du traitement médiatique des violences des manifestants et des violences policières c’est quoi ton avis ?
— Pour le peu que j’entends des gens qui regardent la télé parler... c’est terrible ! On ne réduit le mouvement qu’aux casseurs et à ce que ça a fait à l’économie, alors qu’il y a tellement de choses à dire dessus. On ne parle que des casseurs, les syndicats de police sont les invités des plateaux, pour le peu que j’en vois c’est massif aussi, et on voit très bien qu’il y a un traitement qui est pas égal.
— Pour toi c’est quoi dont il faudrait parler quand on parle des Gilets Jaunes ? Est-ce que c’est des revendications ? Est-ce que c’est de la diversité des personnes ? Est-ce que c’est des pratiques ?
— C’est tellement énorme le nombre de choses qu’il y a à parler ! ...la justice fiscale pour commencer puisqu’on semble tous d’accord, et puis ça a l’air vraiment urgent. Y a tellement, tellement de choses dont on parle pas du tout dans le mouvement, comme l’écologie par exemple, et qui passera après c’est vrai, après certains changements qui sont nécessaires. Mais... oui il faut que cette caste au pouvoir, faut qu’elle dise son nom, qu’elle soit vue et sue...
— Pour toi c’est quoi l’objectif des médias dans la manière dont ils traitent le mouvement ? Est-ce que c’est de le décrédibiliser ? De l’amoindrir ? Est-ce qu’ils savent juste pas en parler ? Est-ce que pour toi y a un réel objectif dans la manière dont le mouvement est traité, pour avoir un impact sur lui ?
— Je sais pas, je pense qu’ils sont un petit peu dépassés aussi. Bon, on sait que la majeure partie des médias, voilà, ils sont vraiment... y a neuf milliardaires pour la presse écrite, on sait qu’ils ont placé des gens à eux partout, et c’est pas complotiste que de dire ça, je viens de commencer Crépuscule de Juan Branco, où il explique ça, ou d’autres comme Denis Robert expliquent très bien comment ils ont placés leurs pions partout. Je sais pas si ils ont vraiment un objectif. Si, ils ont tenté le pourrissement, après de réduire à la violence, et pis là peut-être qu’ils sont un petit pris... parce qu’en plus ils sont pris pour cible, donc peut-être qu’ils sont un petit pris au dépourvu... je sais pas honnêtement. Mais... ils doivent se poser des questions eux aussi. »
Rue Devosges, 14:30
« — Tu disais que c’était ta quatrième manifestation ?
— Oui, c’est la quatrième fois que je viens, j’ai pas pu venir tous les samedis. Je suis pas très impliquée, mais je suis ça avec un très grand intérêt ce mouvement des Gilets Jaunes.
— Quand tu dis que tu suis ça c’est sur les médias ou par tes amis ?
— Surtout dans les médias, oui. Bon j’ai pas la télé, j’écoute beaucoup la radio, pis je regarde sur internet aussi, des vidéos. Voilà, donc à la radio j’entends beaucoup de choses, beaucoup de témoignages, donc je suis ça avec beaucoup d’attention.
— C’est quelles radios que t’écoutes ?
— Moi j’écoute France Inter, France Culture, et France Info.
— Les témoignages qu’est-ce qu’ils retranscrivent du mouvement ? Qu’est-ce que ça montre du mouvement ?
— Moi je trouve qu’il y a une évolution... Au début par exemple, France Info c’était vent debout contre les Gilets Jaunes, après ils ont commencé à laisser un peu de place à des témoignages de gens qui parlaient de leur vie, de leurs difficultés de vie. Bon pis sur les autres radios on entend de plus en plus de gens de tous bords, sociologues, historiens, tout ça, qui analysent ce qu’il se passe et dans un sens assez favorable. Par contre je trouve que y a énormément de choses sur la violence, dans les radios nationales, et toujours orienté sur la violence des manifestants et pas celle de la police. La question de la violence policière elle commence seulement à occuper des médias, par exemple comme France Info, ils commencent d’en parler pas mal. Mais c’est vrai que ça a mis longtemps à venir, et voila je trouve que de ce point de vue là y a quand même... Moi je vois pas la télé alors je sais pas trop ce qu’il se passe avec TF1, tout ça, mais c’est vrai que j’ai vu plusieurs entretiens, retranscrits par exemple sur BFM TV, tout ça, et je trouve que y a une espèce de violence contre les manifestants des fois qui est quand même assez incroyable de la part de certains journalistes. J’ai vu par exemple Clémentine Autain qui était sommée de s’expliquer sur l’histoire du boxeur, d’une manière qui était quand même très insistante, comme si elle était responsable de ce qui s’était passé. Enfin je trouve qu’il y a une instrumentalisation de la violence contre le mouvement des Gilets Jaunes qui est quand même assez grosse, très visible de la part de certains médias.
— Comment elle devrait être traitée selon vous cette violence de la part des manifestants, et de la part des policiers ?
— Je pense que de la part des policiers déjà il faudrait vraiment dire ce qu’il se passe réellement, et que y compris au niveau politique, du gouvernement, que ce soit traité. Macron il en parle pas du tout, c’est complètement évincé, ses ministres non plus. C’est toujours présenté comme étant "la violence des manifestants". Le mépris qu’a eu Macron en parlant de la "foule haineuse", je trouve que c’est vraiment pas rendre compte de la réalité. Il a jamais dit un mot sur les blessé·es, les membres de son gouvernement non plus, et ça c’est quand même lamentable.
— Vous, vous pensez que les vidéos sur internet c’est une bonne manière de s’informer du mouvement ?
— Ben ça dépend ce qu’on regarde, c’est toujours pareil hein ! Y a des choses on sait pas d’où ça vient, on peut pas trop identifier, mais y a certains médias auxquels je fais confiance. Par exemple moi je vais voir sur Mediapart, je vais voir sur Là-bas si j’y suis, voilà, je fais assez confiance... Parce que c’est toujours ça la question quand on voit des vidéos, bon ben y en a on sait pas d’où elles viennent, on en a regardé beaucoup de ce qui s’était passé dans les rues de Paris, on sait pas trop qui a filmé, mais bon je pense que ça rend compte quand-même de choses qui se sont passées réellement, je pense pas que ça soit toujours des choses... des fake news quoi. Mais c’est vrai que, il faut aller fouiller, et pis après faut avoir un peu confiance dans ce qu’on regarde.
— Pour vous ça serait quoi la bonne manière de traiter médiatiquement des Gilets Jaunes ? Est-ce que d’ailleurs faudrait le faire ou pas ?
— Je trouve par exemple que les rares interview de Gilets Jaunes que j’ai vues sur des plateaux télés, moi j’ai trouvé ça assez époustouflant de vérité, parce que c’est des gens qui prenaient la parole qui ne l’ont jamais, et j’ai trouvé que ça c’était comme un évènement médiatique le fait qu’il se soit passé ça, et qu’on ai vu des Gilets Jaunes venir parler devant des ministres et des gens comme ça. Pour moi c’était un évènement... comme un retournement de situation, et je trouve que ça c’était important de leur donner la parole.
— Sur le fameux grand débat [...] est-ce que vous avez un avis là -dessus ?
— Pas encore parce que j’ai pas regardé, par contre ce matin j’ai entendu un débat sur France Inter où j’ai compris que les questions étaient très très orientées. C’est-à-dire que la manière même de poser les questions, et des choix qui sont donnés aux gens étaient déjà très orientés par rapport à la politique actuelle de Macron. Voilà, pis il a quand même bien dit en gros qu’il allait pas remettre en cause sa politique. Moi j’ai compris que le débat était déjà cadré comme ça, donc ça pose question, si on en est là à dire aux gens "D’accord vous avez des revendications mais on sortira pas du cadre que j’ai fixé"... Je le vois mal engagé ce débat ! Moi je pense qu’il faut s’en saisir pour faire autre chose. Les cahiers de doléance, tout ça, c’est une idée qui me plaît bien. »
« — Est-ce que les médias sont un bon moyen de se faire entendre ?
— Je prends du recul depuis quelques années déjà sur les grands médias quand j’entends la façon dont reviennent les informations. Quand on entend ces grands médias parler de fake news alors qu’on voit de leur part des fake news. Quand ils ne parlent pas des 2000 blessé·es dans le mouvement des Gilets Jaunes. Quand ils condamnent systématiquement les violences des Gilets Jaunes alors qu’à aucun moment ils ne parlent des violences policières. Il y a eu aussi beaucoup de personnes arrêtées de façon préventive. C’est du jamais vu ! Quand ces grands médias ne relaient pas ça... J’ai encore une anecdote. Ça date d’il y a plus d’un mois. Un journaliste parlait de personnes arrêtées avec une ‘‘arme par destination’’. C’était des lunettes de piscine. Depuis quand des lunettes de piscine sont une arme par destination ? Le journaliste n’a fait aucun commentaire à ce sujet. Ça ne l’a pas choqué. Depuis quelques temps je vais beaucoup sur internet lire des journalistes d’internet ou des médias alternatifs. J’écoute beaucoup RT.com, le Média, les Moutons Rebelles.
— Il est déjà arrivé que des manifestants attaquent ou insultent des journalistes. Est-ce légitime selon vous ?
— Je ne prône pas la violence. Je ne pense pas que c’est la bonne façon de faire. Par ailleurs il y a violence et violence. On nous dit qu’il y a des violences sur les policiers. On nous a parlé d’un cas où les policiers avaient 2 jours d’ITT (incapacité temporaire de travail). Si on prend les 40 Gilets Jaunes blessés gravement c’est plusieurs mois d’ITT. Les violences verbales aussi sont condamnables. Mais se retrouver à l’hôpital plusieurs mois ce n’est pas comme être un peu secoué parce que les Gilets Jaunes en ont marre d’entendre un seul discours au sein des grands médias. Celui qui va dans le sens du gouvernement. »
Place Darcy, 14:47
« — Quels médias regardez-vous ou lisez-vous ?
— Je regarde tous les médias télévisés. J’essaie de faire le tri dans tout ce qu’ils nous racontent. Tout à l’heure je regardais TF1, Antenne 2, FR3 : ils ont une seule image à montrer. Il n’y a qu’un cameraman qui recouvre toutes les télévisons. Il n’y a qu’une image, qu’une télé. Ils racontent tous les même mensonges.
— C’est quoi ces mensonges ? Qu’est-ce qu’ils racontent ?
— Ils défendent pas forcément les maillots jaunes. Ils défendent la politique à Macron. Les gens qui travaillent à la télévision c’est toute une grande famille. Quand tu vois des gars comme Ardisson, qui gagnent 90 000 € par mois, tu penses bien qu’il ne va pas mettre son Gilet Jaune.
— Et c’est quoi le lien entre les politiques et les médias ?
— C’est toute la même grande famille de gens qu’ont trop d’argent. Eux ils ont tout et nous on a que dalle. »
Rue de la Liberté, 15:00
« — Vous disiez que le traitement médiatique des Gilets Jaunes a évolué ?
— Oui. Depuis cette semaine on commence à parler des blessé·es Gilets Jaunes.
— Parce qu’avant comment c’était traité ?
— L’enfumage. On était des casseurs, des illettrés, des incultes... des vilains.
— Comment se fait-il qu’on parle maintenant des violences policières ?
— C’est grâce aux réseaux sociaux. Avec toutes les images qui tournent, les médias sont obligés d’ouvrir les yeux.
— Vous vous informez beaucoup sur les réseaux sociaux ?
— Depuis le 17 novembre oui. Quand on vient réellement, qu’on voit ce qu’il se passe et ce qu’on entend ce que disent les médias...
— Lors de manifestations de Gilets Jaunes des journalistes on été attaqués et insultés. Qu’en pensez-vous ?
— Alors moi je regarde Le Quotidien. Un chroniqueur a pris un flash-ball dans la tête et ce n’était pas par un Gilet Jaune. »
Place de la Libération, 15:05
« — Qu’est-ce qui t’as donné envie de venir aux manifestations ?
— C’est des conversations. Les deux premières manifestations comme j’écoutais la télévision j’avais peur qu’il y ait des trucs d’extrême-droite et compagnie qui ne me correspondent pas du tout. Et en fait en y allant la troisième fois je me suis rendu compte que les gens avaient plutôt des propositions censées. Il faut aussi dire que les propos tenus par le gouvernement m’ont fortement déplus. C’est pas du tout dans ce sens-là que le pays doit aller. Et c’est pour lutter contre et m’exprimer que j’ai commencé à marcher. Il y a une quinzaine de jours le gouvernement protestait en disant qu’il y avait trop de Gilets Jaunes à la télévision et que ça incitait à la révolte. Selon moi, si un événement d’une telle ampleur se pose dans un pays, c’est normal que les personnes qui y participent trouvent un écho dans les médias. Ce sont des colporteurs : ils doivent rapporter ce qu’il se passe.
— Quel doit être le rôle des médias dans le mouvement ?
— J’aimerais que les plateaux télévisés soient plus équilibrés. Par exemple sur un plateau il y a le journaliste qui gère le débat, les soit-disant experts et en face un invité. Comme c’est le seul à manifester une opinion démocratique et de rébellion il est toujours marginalisé. À chaque fois c’est ce déséquilibre qui est gênant. On a l’impression que ce qui est dit par le peuple est ostracisé par un plateau d’experts. Ils confisquent la parole ou cherchent à imposer leurs idées par des questions insidieuses très orientées. Par exemple, si on suggère que le Grand Débat National est un faux débat, que c’est manipulé et que c’est le programme d’En Marche mis sous forme de question, on a l’impression de dire une énormité. Alors qu’en réalité c’est ce que l’on constate. Dans les médias il y a un décalage entre le constat, ce qui est réel, et la vision déformée qu’ils en proposent à chaque fois. Ils ont un parti-pris idéologique qu’ils ne veulent pas reconnaître en prétextant une soit-disant neutralité.
— Selon vous quelle est la meilleure manière de s’informer de ce qu’il se passe ici ?
— Pour m’informer je suis toutes les déclarations politiques qui passent sur les médias télévisés. Mais en général ce que j’entends me hérisse le poil. J’écoute aussi les déclarations des dirigeants politiques ou des députés. Jean-Luc Mélenchon, Quatennens, Ruffin et compagnie, sur leur chaîne YouTube. Dans ce format-là ils peuvent parler autant qu’ils le veulent. Je regarde aussi Brut, Le Média et Médiapart. C’est comme ça que je croise les opinions pour me faire mon idée. Mais c’est toujours en allant sur place et en discutant avec les manifestants qu’on se rend le mieux compte de ce qu’il se passe. Au moins c’est direct.
— Des journalistes de grands médias ont été agressés pendant des manifestations. Qu’en pensez-vous ? Trouvez-vous cela légitime ?
— Je suis contre le fait de frapper les journalistes qui sont sur place, se gèlent comme nous, manifestent avec nous, se prennent des flash-balls comme nous. En plus ils sont mal payés. Il faut vraiment dissocier les journalistes de terrain, qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, des journalistes de plateau, qui ne sont même pas des journalistes. Ce sont juste des commentateurs de l’information. Ils ne font qu’encaisser l’argent en diffusant l’idéologie du pouvoir. Je fais alors une séparation entre le journalisme d’investigation et les commentateurs de plateau. En clair entre vous et Aphatie il y a une petite différence. »
« — Vous écoutez depuis le début. Quel est votre avis sur le traitement médiatique des Gilets Jaunes ?
— Je partage en partie l’avis de mon collègue. Il y a une fracture dans les médias. Certains médias traitent plutôt bien le mouvement tandis que les médias plus mainstream sont plus à la traîne : ils restent réservés et ont tendance à minimiser les choses.
— On entend de plus en plus parler dans les grands médias des manifestants blessés et des violences policières ? À votre avis à quoi est dû ce changement d’angle de vue ?
— Je pense que ce n’est pas concerté : il y a une sorte d’effet de groupe. À mon avis ce n’est pas forcément la volonté de cacher les choses. C’est plutôt une habitude ou un confort de travail qui entraîne un manque de moyens mis en place pour aller sur le terrain et donner une vraie information. J’étais choqué aussi. J’ai longtemps défendu les médias, mais pour la première fois je me suis rendu compte en allant sur place et en parlant avec mes collègues que ce qui se passait ne correspondait pas du tout à ce qui était relayé. Il y a des choses qui sont diffusées et qui ne sont pas justes.
— À quel niveau ?
— Au niveau des débordements, de la violence, de tout ce qui est relayé. Il suffit de voir dans cette manifestation l’état d’esprit des gens. Ça ne correspond pas du tout à ce qui est dit. Ce n’est pas forcement explicite mais dans le traitement de l’information ça passe par des soupirs, des non-dits, des petits détails qui font qu’on comprend vite de quel côté on se situe. Hélas, sur certaines radios du service public que j’écoute et que j’adore normalement, je suis extrêmement déçu par le traitement de l’information.
— Selon vous ce traitement particulier n’est pas réfléchi en amont ? C’est aussi subi par les médias ?
— Je ne suis pas certain qu’il y ait tout le temps une volonté de manipulation. Je pense que chez certains médias le mouvement fait peur aussi. Je pense aussi qu’ils ne traitent pas bien l’information parce ce qu’il n’y a pas suffisamment de dialogue. C’est délicat en même temps sur un mouvement comme ça, sans leader, d’arriver à avoir un point de vue juste.
— Selon vous comment avoir un point de vue juste en tant que média ?
— Il y a une question de temps qui se joue. Peut-être qu’il pourrait y avoir plus de transparence dans les rédactions (des portes ouvertes), plus de communication et que les médias acceptent parfois d’avoir tort. Cependant on n’a pas à frapper qui que ce soit, et surtout pas un journaliste. C’est tellement dur comme travail. Après quand on va sur un théâtre de guerre on ne maîtrise pas tout. Dans un mouvement de foule il y a toute sorte de personnes et forcement il y a une part de danger. Mais il ne faut pas réduire le mouvement à quelques violences.
— De quoi devrions-nous parler lorsqu’on traite du mouvement des Gilets Jaunes ?
— Ce qui manque le plus c’est de parler de la forme de la manifestation. La diversité des personnes présentes on ne la sent pas. Quand on est dedans on la voit. On voit des personnes âgées, des enfants, toute sorte de personnes. En effet, si on fait la somme de toutes ces revendications elles sont extrêmement diverses. Par contre il y a la soif d’être entendu et la volonté de plus de démocratie. C’est un vrai bol d’air pour ça. »
Place Wilson, 15:30
« — Comment vous vous informez ? Quels sont les médias que vous lisez, regardez ou écoutez ?
— Bien évidemment je regarde la télévision : les grosses chaînes d’information. Mais ce ne sera pas pour avoir « une vraie information ». C’est pour voir ce qui se dit et pouvoir comparer à ce que moi j’ai vécu. Sinon je regarde plutôt des chaînes d’information indépendantes sur les réseaux sociaux.
— Sur YouTube, par exemple, il y a le Fil d’Actu.
— Selon vous quelle est la meilleure manière de montrer ce qui se passe ?
— C’est difficile de retranscrire ce qui se passe réellement. Il faudrait faire un live de toute la manifestation. Ce qu’on a tendance à faire c’est de montrer une seule partie d’une vidéo, sortie de son contexte. On le voit notamment avec l’actualité. C’est compliqué de retranscrire par la vidéo ce qui se passe ici. Le mieux c’est vraiment de se faire sa propre idée en venant.
— Quand on voit des images de violence, on n’est pas réellement témoin, on ne peut pas savoir ce qui s’est passé. Souvent elles sont récupérées par un côté ou l’autre de manière extrême. J’avais vu le témoignage d’un gars. Ce n’était même pas un Gilet Jaune. Il était descendu voir ce qui se passait en bas de son immeuble et il a perdu un œil à cause d’un LBD. Je suis certain que s’il avait été filmé, des anti-Gilets Jaunes auraient pu dire « c’est bien fait pour lui, il n’avait qu’à pas être là ! »
— Les images de violences c’est ce qui est le plus montré dans le mouvement. Est-ce que pour vous il y en a trop ?
— On parle de la violence comme si c’était le but principal du mouvement alors que pas du tout... Bien évidemment il y a des violences et de la casse. Mais les personnes ne sont pas là que pour cela. Il n’y a pas des milliers de personnes qui veulent tout casser. Et pourtant c’est ce que je ressens en allumant la télévision.
— Si on veut tout montrer faut aussi montrer la violence. Mais dans les gros médias ce n’est plus proportionnel : il n’y a que la violence qui est montrée.
— C’est le sensationnel avant tout.
— Que faudrait-il montrer pour bien parler du mouvement ?
— Il faudrait interroger les gens individuellement. Voir ce que chaque personne ressent. Et en croisant tout on aurait l’essence du mouvement. »
Rue Berbisey 16:00
« — Tu disais que tu regardais pas trop de médias. Tu ne regardes pas ni n’écoutes pas de médias ?
— Non parce que ça fait déjà des mois et des mois que... de toutes façon même avant le mouvement des Gilets Jaunes, les médias ils déformaient déjà tout ce qui se passe en France. Là depuis le mouvement des Gilets Jaunes c’est même accentué. Moi ça fait depuis bien avant ce mouvement-là que je regarde plus les médias.
— Tu refuses de risquer qu’on te mentes dans les médias et du coup tu refuses de les écouter ?
— Ben c’est pas vraiment que je refuse, mais pour moi c’est une perte de temps de regarder les médias parce que ça m’apportera rien dans tous les cas.
— Du coup tu t’informes de quelle manière ?
— Je m’informe en venant sur le terrain. Je crois ce que je vois. Je regarde aussi beaucoup de vidéos sur internet : on ne peut pas vraiment déformer des images. Sur la télévision les vidéos sont coupées, on n’en voit qu’une partie. Par contre sur internet on a accès à des vidéos où on voit toute la scène.
— Est-ce que l’avis donné dans les vidéos t’intéresse également ?
— Il y a des vidéos dans lesquelles il n’y a pas de discours. C’est uniquement des actes. Justement sur cette place, des vidéos ont circulé. Il n’y avait pas de « discours » mais on voyait clairement ce qui se passait : de la rue à gauche ça a gazé directement alors qu’on n’avait rien fait. Sinon d’autres vidéos intéressantes, c’est les témoignages de Gilets Jaunes et de street medics. Eux on ne les voit pas dans les médias. Dans les médias on a l’avis des politiciens, en gros on a l’avis d’un seul camp.
— Est-ce qu’on peut considérer que ces vidéos sur internet sont en fait une nouvelle forme de média ?
— D’une certaine manière oui, c’est un média beaucoup moins censuré.
— Que doivent faire les grands médias pour que tu recommences à les regarder ?
— Il faudrait qu’ils redeviennent objectifs.
— Qu’est-ce que tu entends par « objectif » ? En quoi ils ne le sont pas ?
— Les médias perçoivent beaucoup de subventions de l’État donc forcément ils sont du côté du gouvernement. Ils ne montrent pas ce qui se passe réellement. »
Gare, 16:30
« — Comment vous vous informez ?
— À Dijon on regarde le Bien Public, Dijoncter et de temps en temps on regarde les grands médias nationaux.
— Quelle est la manière de traiter le mouvement qui vous a semblé la plus intéressante ?
— Le plus objectif c’est France Bleu, mais c’est assez court. Dijoncter ils arrivent à rapporter une parole qui n’est pas du tout portée dans les grands médias. Après ce n’est pas objectif, c’est un média libertaire : ils ne seront jamais du côté de la police.
— Vous dites que France Bleu est un média « objectif ». Pourquoi ?
— Les quelques reportages que j’ai vus de France Bleu Bourgogne c’était le compte a priori juste du nombres de manifestants et des faits objectifs. Après si je veux creuser c’est pas là que je vais. Ce n’est pas un média qui m’intéresse particulièrement. Mais au moins le travail qu’ils veulent faire : relater un évènement, c’est bien fait.
— Votre voisine travaille à France Bleu. Est-ce qu’elle vous a parlé des consignes qu’on lui donnait pour parler du mouvement des Gilets Jaunes ?
— Ce qu’on a pu voir avec elle c’est qu’il y a des grandes différences entre les médias de terrain et les grands médias nationaux. Les journalistes des médias régionaux tentent de faire un vrai compte des personnes, avec des techniques rigoureuses. Sur le France Bleu local ou sur des médias indépendants on a souvent des chiffres assez bons. Le problème c’est que tous les journalistes sont assimilés à des boîtes tel que BFM : des journaux qui ont la consigne de ne pas déranger et donnent les chiffres de la préfecture, bien amoindris.
— Que pensez vous de la manière dont est traité le mouvement : de la prédominance des images de violences ?
— Globalement on ne parle que d’un type de violence et on minimise les violences d’État et les violences policières. Si au moins il y avait une égalité de traitement ce serait juste. On ne demande pas de parler uniquement des violences policières. Le journalisme, c’est censé être une objectivité maximale face à un événement. Actuellement il y a une manipulation des médias et ce n’est plus du tout objectif.
— Qu’entendez vous par « objectif » ? Quelle est la recherche à avoir en tant que journaliste ?
— Ça peut-être interroger des personnes au hasard avec leurs motivations propres. Allez voir éventuellement des membres de la Police.
Si on a une caméra, l’objectivité c’est de montrer l’ensemble de la situation pour comprendre pourquoi on en est arrivé là. Ce n’est pas, comme on le voit parfois, de montrer des images qui commencent seulement au début de violences de la part de manifestants sur des policiers, sans voir ce qui s’est passé avant.
— Le journalisme c’est aussi porter une analyse. À ce niveau-ci c’est difficile d’être « objectif ». Est-ce que la partie de l’analyse vous semble importante ou préférez-vous un contenu brut ?
— C’est très important les analyses. Il faut à la fois des données brutes et des analyses. On a besoin des analystes avec leurs penchants politiques. Il y a aussi un militantisme journalistique. Par contre il faut que ce soit affiché. BFM ils nous expliquent qu’ils sont neutres alors qu’on sait que ce n’est pas le cas. »
Place Darcy, 16:45
« — Avez-vous l’habitude de participer à ces manifestations ?
— J’habite en Allemagne et je suis originaire de Dijon. J’ai voulu rester plus longtemps en France pour être présente dans ces manifestations et voir de mes propres yeux le mouvement.
— Comment les médias allemands traitent le mouvement des Gilets Jaunes ?
— Les partis politiques essaient de s’accaparer le mouvement. En Allemagne comme dans le reste de l’Europe il y a une montée de l’extrême droite. Ils s’approprient le mouvement. Selon eux la France est dans le bonne voie du nationalisme. La politique allemande est très différente de la politique française. Les médias allemands valorisent le mouvement. C’est vraiment propre aux Français de sortir dans la rue lorsqu’il y a des conditions sociales difficiles.
— Quel est la contre-information qui vous a permis de voir que le mouvement des Gilets Jaunes n’est pas un mouvement d’extrême-droite ?
— J’ai suivi le mouvement à travers les réseaux sociaux, notamment Facebook. Le mouvement représente l’ensemble du peuple : de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Les revendications sont très différentes et pas forcement cohérentes. Après je suis très sceptique avec les médias et j’ai tendance à prendre de la distance avec ce qu’ils disent.
— Vous êtes sceptique vis-à-vis des médias, mais les consultez-vous tout de même ?
— Oui. J’essaie de croiser mes sources pour arriver à une certaine neutralité, même si c’est difficile de parler de neutralité en politique. Je consulte des journaux alternatifs et j’évite la télévision.
— Comment parler du mouvement des Gilets Jaunes en tant que journaliste ?
— C’est très difficile. Il y a tellement d’opinions différentes. Ce qui me semble important c’est de venir voir, discuter avec des personnes et essayer de comprendre ce que représente dans notre société actuelle ce mouvement.
— Il est arrivé que des Gilets Jaunes soient violents envers des journalistes. Est-ce que c’est légitime selon vous ?
— Les médias sont censés informer. Aujourd’hui dans notre société c’est majoritairement de la désinformation. Selon moi il ne faut pas s’en prendre aux journalistes eux-mêmes mais à ce qu’ils représentent et à ceux qui les dirigent. Ce n’est pas légitime d’agresser des journalistes sur le terrain. Je privilégierais plutôt le dialogue.
— Des Gilets Jaunes se sont déjà rassemblés devant les bureaux de la rédaction de BFMTV. Est-ce que cela a davantage de sens pour vous ?
— Oui ça a plus de sens. Par contre si le but c’est de casser la gueule aux journalistes, je trouve que ce n’est pas légitime et que ça décrédibilise le mouvement. »
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info