« Nous sommes fièr·es, nous sommes fort·es » - Récit de la marche nocturne féministe du 7 mars



De mémoire de militantes, le 7 mars 2020, Dijon a vu sa première marche féministe en mixité choisie [2] ... Retour en mots, en son et en image sur ce moment historique, rempli de rage, de détermination et de joie.

Il y a un moment où il faut sortir les couteaux

Il s’est enfin arrêté de pleuvoir, ça faisait des jours que ça durait.
La nuit tombe et le fond de l’air est froid, mais l’atmosphère est électrique et pailletée. À 18h30, une demi-heure avant le rendez-vous officiel, une trentaine de personnes sont déjà réunies place de la Rep. Entre perruque bleu fluo, guirlandes lumineuses, manteau léopard, riot girls des années 2000, dark-anarchiste et néo-punk, les styles se mélangent et les gens affluent pour répéter la performance « Un violeur sur ton chemin » avant le départ de la manif. Les paroles imprimées sur des dizaines de tract circulent parmi celleux qui arrivent et invitent tout le monde à rejoindre la perf, la foule grossit peu à peu autour des personnes qui scandent : « 1 2 3 4 , l’État oppresseur est un macho violeur ». Un coup de sifflet retentit et la batoucada prend le relai, les tambours résonnent et lancent joyeusement la marche, ce sont quelques 300 personnes qui défilent derrière une banderole noir et rouge.

« la Révolution sera féministe »

Il s’agit de prendre la rue, d’être lumineuxses, scandaleuxses, bruyant˚e˚s, dérangeant˚e˚s, fièr˚e˚s et vénèr˚e˚s, de se sentir fort˚e˚s ensemble dans ces espaces qui nous sont d’habitude hostiles. Premier arrêt : Place du théâtre. On bloque la route et on se met en formation, le son des tambours lance la performance et les mains s’unissent pour adresser en choeur à ceux qui passent, à la rue toute entière, aux terrasses des cafés, à la ville : « Le violeur c’est toi, l’agresseur c’est toi, l’assassin c’est toi ! ». On repart au rythme des tambours et des slogans, et on a l’impression qu’on ne s’arrêtera plus de crier :

« Nous sommes fort˚e˚s, nous sommes fièr˚e˚s, et féministes, et radicales, et en colère ! »

Pas une retombée, on hurle, on danse, on a la rage au cœur et on le fait entendre.
Deuxième arrêt : Place de la Lib. Le silence se fait pour la première fois et une meuf lit un texte de Christiane Rochefort, la définition de l’opprimée. Les phrases résonnent sur toute la place, avec un écho qui donne à la lecture quelque chose de solennel :

« Il y a un moment où il faut sortir les couteaux. C’est juste un fait. Purement technique.
Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez-vous à sa place. Ce n’est pas son chemin.Le lui expliquer est sans utilité.
L’oppresseur n’entend pas ce que dit son oppriméE comme un langage mais comme un bruit. C’est dans la définition de l’oppression.
En particulier les « plaintes » de l’oppriméE sont sans effet, car naturelles. Pour l’oppresseur il n’y a pas oppression, forcément, mais un fait de nature.
Aussi est-il vain de se poser comme victime : on ne fait par là qu’entériner un fait de nature, que s’inscrire dans le décor planté par l’oppresseur.
L’oppresseur qui fait le louable effort d’écouter (libéral intelle ctuel) n’entend pas mieux.
Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différents. C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’oppriméE une connotation-souffrance. Ou : faire l’amour-viol. Ou : divertissement-corvée. Ou : loisir-travail.
Etc. Allez donc causer sur ces bases.
C’est ainsi que la générale réaction de l’oppresseur qui a « écouté » son oppriméE est, en gros : mais de quoi diable se plaint-ille ? Tout ça, c’est épatant.
Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’oppriméE se rend compte de ça, ille sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.
Le couteau est la seule façon de se définir comme oppriméE. La seule communication audible.
Peu importent le caractère, la personnalité, les mobiles actuels de l’oppriméE.
C’est le premier pas réel hors du cercle.
C’est nécessaire.

Le couteau, ou tenir l’oppresseur en respect, à distance. Non seulement se défendre mais devenir une menace.

On repart de plus belle jusqu’à la place Emile Zola. On se réunit autour d’une copine qui lit la tribune de Virginie Despentes. L’émotion monte, la copine crie le sourire au lèvre « On se lève et on se casse » et on explose de joie. On repart en vibrant au son de la batoucada, comme un furieux carnaval féministe.
 
 

Extrait de la marche féministe du 7 mars

 
 
C’est pas fini, on arrive devant l’hôtel de police pour un bouquet « presque » final. De nouveau, on se met en formation face aux GM en rang d’oignon qui garde le commissariat.
« EL VIOLADOR ERES TU » La performance s’adresse clairement aux flics, et l’énergie redouble d’intensité au moment de leur crier « El estado opresor es un macho violador ». Soudain, alors qu’on se préparait à reprendre le chant en français, un feu d’artifice éclate dans le ciel sombre. Les flics sont mouchés et nous on jubile définitivement.

Il en aurait fallu de peu que cette marche se termine sur cette belle explosion finale. Mais voilà que les flics bêtement présents devant le commissariat se mirent en tête de reprendre la face. Peut-être un peu genés à l’idée de charger une marche féministe si joyeuse, c’est sur un type qui suivait la manifestation en scooter qu’ils jettèrent leur dévolu. Une arrestation absurde qu’on aura pas réussit à empêcher, et qui nous laissera un goût amer...

Un peu abattu°e°s par ce qui vient de se passer, on essaie de se ressaisir pour finir cette marche ensemble ! On arrive place Wilson et on écoute la lecture d’un texte de Zoé Léonard, qui nous redonne une belle détermination collective :

« Je veux une gouine comme Présidente. Je veux qu’elle ait le sida, je veux que le Premier ministre soit une tapette qui n’a pas la sécu, qu’il ait grandi quelque part où le sol est tellement plein de déchets toxiques qu’il n’a aucune chance d’échapper à la leucémie. Je veux une présidente de la République qui a avorté à 16 ans, une candidate qui ne soit pas la moindre des deux maux ; je veux une présidente de la République dont la dernière amante est morte du sida, dont l’image la hante à chaque fois qu’elle ferme les yeux, qui a pris son amante dans ses bras tout en sachant que les médecins la condamnent. Je veux une présidente de la République qui vit sans clim, qui a fait la queue à l’hôpital, à la CAF et au Pôle Emploi, qui a été chômeuse, licenciée économique, harcelée sexuellement, tabassée à cause de son homosexualité, et expulsée. Je veux quelqu’une qui a passé la nuit au trou, chez qui on a fait brûler une croix et qui a survécu à un viol. Je veux qu’elle ait été amoureuse et blessée, qu’elle ait du respect pour le sexe, qu’elle ait fait des erreurs et en ait tiré des leçons. Je veux que le président de la République soit une femme noire. Je veux qu’elle ait des dents pourries et un sacré caractère, qu’elle ait déjà goûté à à cette infâme bouffe d’hôpital, qu’elle soit trans, qu’elle se soit droguée et désintoxiquée. Je veux qu’elle ait pratiqué la désobéissance civile. Et je veux savoir pourquoi ce que je demande n’est pas possible ; pourquoi on nous a fait gober qu’un président est toujours une marionnette : toujours un micheton et jamais une pute. Toujours un patron et jamais un travailleur. Toujours menteur, toujours voleur, et jamais puni. »

 
 
Et alors que ces mots finissent de retentir, nous nous quittons dans la nuit, en se promettant que cette première marche en mixité choisie serait bien loin d’être la dernière...
 
 

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Notes

[1Le terme « mixité choisie » signifie que si la foule était bien « mixte » en ce qu’elle était diverse, cette mixité était choisie. En l’occurence ce jour-là les hommes cis - c’est-à-dire les personnes assignées homme à la naissance, et qui se reconnaissent dans cette assignation - n’étaient pas invités.

[2Le terme « mixité choisie » signifie que si la foule était bien « mixte » en ce qu’elle était diverse, cette mixité était choisie. En l’occurence ce jour-là les hommes cis - c’est-à-dire les personnes assignées homme à la naissance, et qui se reconnaissent dans cette assignation - n’étaient pas invités.

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