À lire avant : Flambée de colère en Corse - Semaine de deuil en Corse.
Les hommages se sont enchaînés, tels ceux d’Anne Nivat ou de Patrizia Gattaceca, alors que la Corse soufflait pendant quelques jours. Mais le conflit politique sous-jacent n’a pas tardé à refaire surface et les actions ont repris.
Lundi 28 mars, les lycéens se rassemblent devant la préfecture à Bastia. Des affrontements commencent seulement un quart d’heure après le début du rassemblement, lorsque les manifestants tentent de passer une barrière anti-émeute. Les flics les repoussent avec lance à eau et lacrymo. Les lycéens reviennent avec des fusées et des cocktails molotov et reprennent l’assaut. Des feux sont allumés dans les rues, les affrontements cessent vers 22h. En déplacement à Dijon, Macron dénonce les violences et appelle au calme. Les syndicats étudiants se réunissent à Corte pour mettre en place une nouvelle assemblée du mouvement mercredi. Un automobiliste qui circulait avec un drapeau corse se fait braquer par les CRS et sortir de sa voiture.
Mardi 29 mars, l’Assemblea Natzionale Sarda publie un communiqué de soutien au mouvement corse. Une manif a lieu à 18h devant la sous-préfecture de Corte. Le frère d’Yvan Colonna appelle à une manifestation le 3 avril à Ajaccio. Les militants de Femu a Corsica, majorité politique de l’île, se sont réunis. Ils décident de continuer la mobilisation et de suivre les décisions du collectif en affirmant : « Femu ne quitte pas la rue. » Leur volonté est de « faire converger les forces nationalistes et élargir la mobilisation à toute la société corse ».
Mercredi 30 mars, le collectif se réunit à Corte et décide de tenir la manifestation voulue par la famille d’Yvan Colonna. Parlemu Corsu tient un rassemblement devant la Préfecture à Ajaccio afin de rappeler sa revendication de coofficialité du Corse avec le Français sur l’île. Des tags de soutien apparaissent à Tarragone, en Catalogne.
Jeudi 31 mars, une offre d’emploi toute particulière vient d’apparaître sur Place de l’emploi public : celle d’Adjoint au chef d’une section chargée de la menace « Séparatisme corse » à la DGSI. Voilà qui en dit long sur les moyens mis en place par l’État pour résoudre le conflit en Corse.
Vendredi 1er avril, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi signent leur ordre de transfert de Poissy vers Bastia. Ils seront transférés d’ici mi-avril. Une manifestation lycéenne se tient à la préfecture de Bastia et occasione quelques affrontements. En marge du rassemblement, un groupe de lycéens se fait kidnapper par un des individus armés et masqués surgissant d’un fourgon banalisé. Cette méthode d’arrestation des CRS a déjà été observé les semaines précédentes et choque les témoins. Les fourgons blancs qui rôdent autour des manifestations et raflent les jeunes isolés, les tirs de LBD dans la tête, les mutilations et la brutalité policière. Tout cela participe du sentiment de mépris ressenti par les Corses. Un rassemblement de soutien se tient devant le commissariat de Bastia.
Samedi 2 avril, au Pays basque, une opération escargot précède le blocage du péage de Parme à Biarritz en soutien aux prisonniers corses et basques.
Dimanche 3 avril, c’est le jour de la grande manifestation à Ajaccio. La circulation est interdite dans plusieurs rues du centre-ville, le stationnement est interdit dans toutes les rues aux abords de la préfecture. Des murs anti-émeute sont installés autour de la préfecture. Les CRS et GM se déploient dans la ville et contrôlent tous les points d’accès. C’est dans une ville en état de siège que la manifestation commence. En tête du cortège, le fils et le frère d’Yvan Colonna. Plusieurs élus et leaders politiques sont présents, dont Gilles Simeoni, président de l’Exécutif, Jean-Christophe Angelini, maire de Porto-Vecchio, Jean-Guy Talamoni, ancien président de l’Assemblée de Corse, Paul Toussaint Pariggi, sénateur de la Haute-Corse, Paul Félix Benedetti, leader de Core in Fronte, ainsi que de nombreux membres du conseil Exécutif et des conseillers territoriaux. Le cortège grossit au fur et à mesure qu’il traverse la ville, acclamé par les commerçants qui ont sorti banderoles et drapeaux. C’est plus de 15 000 personnes qui arrivent place du diamant. André di Scala [1] remercie les participants et déclare que maintenant chacun fait ce qu’il veut.
Des affrontements commencent devant le commissariat et devant la préfecture vers 16h. Le cortège est coupé en deux. Les CRS avancent vers la place du diamant. Des affrontements ont lieu devant la cathédrale, rue Fesch, sur le cours Napoléon et avenue du Premier consul, à proximité de la mairie. 5 véhicules sont incendiés. Les flics tentent de rentrer dans un immeuble, ils se reçoivent une pluie de projectile venant des fenêtres. Une grenade fait exploser une canalisation de gaz qui prend feu boulevard du roi Jérôme. Les flics attaquent les pompiers qui interviennent sur la fuite. Les pompiers et les élus tentent de les repousser. Ce sera finalement une bonne salve de projectiles qui les feront reculer. Pendant ce temps une centaine de personnes se rassemblent devant la caserne de CRS de Furiani et allument des feux autour. Des affrontements commencent. À Ajaccio on dénombre une dizaine de blessures graves dues aux grenades de désencerclement. Les affrontements continuent en début de soirée place Campinchi, les élus sont encore présents et demandent aux CRS de partir, ce qu’ils finissent par faire, se repliant vers la mairie. Un feu est allumé sur la place alors que les affrontements ont toujours lieu cours Napoléon. Les émeutiers tiennent la rue, une voiture arborant le drapeau corse charge les flics. Des barricades sont dressées sur le cours. Les manifestants sont finalement repoussés vers la gare. Les flics reprennent le cours Napoléon. Les affrontements cessent autour de 22h. En début de soirée, la préfecture de Bastia a également été attaquée.
De nouvelles rafles de lycéens ont lieu, ce qui pousse les syndicats à appeller à des rassemblements devant les préfectures d’Ajaccio et de Bastia lundi soir :
De nombreux jeunes ont été kidnappés par des forces dites de l’ordre, organisées en factions barbouzardes dans une camionnette banalisée ayant pour seul but d’enlever et frapper.
Parmi eux, deux de nos militants, jetés dans la fourgonnette, roués de coups et emmenés au commissariat où ils sont toujours retenus à l’heure actuelle.
Ghjuventù Libera :
𝙀𝙭𝙞𝙜𝙚 la 𝗹𝗶𝗯𝗲́𝗿𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗶𝗺𝗺𝗲𝗱𝗶𝗮𝘁𝗲 de l’ensemble des jeunes interpellés.
Appelle les Bastiais à rester vigilants et à signaler tout déplacement des forces de l’ordre, en mission clandestine contre notre jeunesse.
Appelle notre peuple à se rassembler à 18h devant le commissariat de Bastia.
𝗟𝗶𝗯𝗲𝗿𝘁𝗮̀ 𝗽𝗲𝗿 𝗶 𝗻𝗼𝘀𝘁𝗿𝗶 𝗙𝗿𝗮𝘁𝗲𝗹𝗹𝗶 !
La réaction de l’État français ne se fait pas attendre. Lundi 4 avril, il montre son véritable visage, celui du refus d’engager toute discussion avec la Corse. Emmanuel Macron déclare au micro de France Inter : « Le calme et le retour à l’ordre est un préalable à toutes choses. Et ce que j’ai encore vu ce week-end est inacceptable, inacceptable. Y compris avec des responsables politiques en tête de cortège. Donc moi il n’y aura pas de discussion avec des gens qui se comportent comme ça. »
De leur côté les élus nationalistes ne plient pas au chantage de l’État : « La manifestation d’hier à Aiacciu, suite à l’appel de Stéphane Colonna et du Collectif, a été de l’avis général une pleine réussite. L’adhésion populaire demeure pour nous intacte. Les Corses, derrière leur jeunesse, ont soif de justice, de vérité et aspirent à une véritable solution politique. » « Nous assumons un poids politique de 50 ans et nous ne laisserons jamais les jeunes seuls devant, s’ils veulent leur taper dessus, on sera au milieu. » Ils dénoncent l’escalade des moyens répressifs, les blessures très graves, les rafles de lycéens et les poursuites judiciaires. Le collectif d’avocats Sustegnu Ghjuventù s’insurge contre le comportement des forces d’occupation en nombre disproportionné, faisant usage massif d’armes potentiellement létales, gazant les pompiers et interpellant à la volée des lycéens.
Les élus corses reçoivent une lettre de Darmanin qui annule la réunion du 8 avril qui devait ouvrir le cycle de discussion.
U Soffiu Novu, le groupe d’opposition de droite, non nationaliste, annonce qu’il boycotte sa participation au conseil corse tant que le calme n’est pas revenu. Son président, Laurent Marcangeli avait été visé par des tags lors de la manifestation de la veille à Ajaccio : « Marcangeli collabo, salope. Soluzione Politica ».
En début de soirée, 200 personnes se rassemblent devant le commissariat de Bastia, après quelques affrontements le cortège marche en direction de la préfecture et l’attaque. La foule se disperse, mais les affrontements reprennent un peu plus loin lorsque les gendarmes bloquent l’avenue Sebastiani. Les manifestants retournent devant la préfecture mais il n’y a plus l’énergie de se battre. 100 personnes se sont rassemblées devant le commissariat d’Ajaccio.
À propos de la violence
Plusieurs personnalités politiques corses ont été interrogées à propos de la violence ces dernières semaines. Voici quelques unes de leur réponses :
« Il faut être violent pour se faire entendre, c’est pas normal, voilà, c’est tout. Quand on a peur, les affrontements, alors l’État cède. C’est quand même malheureux qu’on en arrive là. Voilà, il faut attendre qu’un homme soit dans le coma pour réagir. On demande l’application du droit pour les prisonniers politiques en Corse, c’est tout, c’est tout. »
« En une semaine, les jeunes ont obtenu ce que personne, ce qu’aucun élu a obtenu pendant 7 ans. Voilà, donc le peuple corse est dans la rue, c’est comme ça et il faut que les actions se poursuivent. »
« Ce qui s’est passé est très grave, la tentative d’assassinat sur Yvan Colonna est très, très grave. Et donc je pense que beaucoup de gens n’ont pas pris conscience sur le continent de ce qui s’est vraiment passé, et des attentes qu’a le peuple corse et des Corses en général. On appelle tous au calme, tout le monde appelle au calme. Jamais personne est pour la violence. Le seul problème c’est que ici il n’y a que ça qui marche. Donc, on appelle au calme, après les jeunes ils feront un peu ce qu’ils voudront. »
« Ce que vous vous appelez la violence aujourd’hui c’est l’exutoire d’un combat populaire. C’est la rue qui s’exprime parce qu’il y a la faillite du respect de la démocratie. […] J’appelle pas ça de la violence, j’appelle ça un combat politique qui utilise aujourd’hui les moyens de la rue parce que la voie de la démocratie a été bafouée, n’a pas été reconnue. » (Paul-Félix Benedetti sur RMC dans « Apolline matin » le lundi 28 mars 2022 à 7h27 - 4e mn)
« Je crois qu’il y a un sentiment de colère très fort, à la fois sur ce qui s’est passé à la prison d’Arles et y compris les auditions en commission des lois et les éléments d’enquête qui ont fuité ne permettent pas de faire la lumière forte sur cette affaire et incriminent la responsabilité de l’État français et je crois qu’aujourd’hui on n’a pas encore du côté de Paris pris la mesure de qu’il se passait en Corse et apporté des réponses qui soient nécessaires pour calmer les causes de la colère. La colère continue de se manifester, je crois qu’il faut un changement de braquet et qu’on ait véritablement un processus historique si l’on souhaite que l’on puisse s’engager calmement dans cette voie-là. » (Petr’Anto Tomasi, Corsica Libera, à France 3, le 3 avril)
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