On continue



... sans discontinuer.

Le verbe continuer a le vent en poupe. Que l’on soit en train de mourir ou en plein mouvement social, on « continue ». Le corollaire de « on continue » est « on ne lâche rien ».
Au bout de dizaines d’années passées à continuer de ne rien lâcher, on peut au contraire avoir envie d’arrêter.
Qui répond encore aux injonctions des grandes centrales syndicales qui incitent « la base » au mouvement vers l’avant et dans le même temps, s’immobilisent autour de la table des négociations non sans avoir « claqué la porte » deux ou trois fois avant, histoire d’afficher une pugnacité jamais démentie ? Que penser des syndicats hors système qui peinent à se faire entendre au-delà d’un cercle restreint d’invisibles actifs mais trop peu nombreux ? Vertueux mais inaudibles.
Dans l’éducation nationale, le système est rodé, les postures et les figures connues d’avance s’enchaînent. Le SNES, syndicat majoritaire écrit des textes et n’hésite pas à mettre en scène sa légitime colère sur le mode Matamore, retiens-moi ou je fais un malheur. Tout ce que je pourrais entreprendre, mazette, si les circonstances s’y prêtaient mais que le pragmatisme m’empêche hélas de mettre en œuvre. Realpolitik tik tik.
Donc, faisons semblant de croire qu’au lendemain de la mobilisation « historique » du 13 janvier, des avancées « significatives » ont été obtenues mais qui ne suffisent pas d’où le « on continue » du début. Une date pour une nouvelle journée d’action est même prévue le « 27 janvier » ce qui laisse le temps de se retourner, de faire les courses et les cours, dès le lundi 17 et d’attendre les masques chirurgicaux qui, selon le ministère de l’éducation nationale, arrivent d’ici la fin du mois de janvier quand le pic à glace Omicron sera passé. Des rumeurs courent sur la façon dont le ministre Blanquer entend reporter les épreuves de spécialité de terminale de mars en juin avec des arrangements dignes d’un faiseur ou d’un faisan.
Oui, je suis sceptique et l’ironie ne m’aide pas forcément à mieux appréhender la situation . Ceci dit, en tant que manifestante « historique », plutôt atrabilaire, je m’interroge sur les récents remous sociaux,sur les déclarations des uns, des unes et des autres.
Quelle est ma place ? Où ai-je envie de me poser, d’être ? De moins en moins sous un ballon qui ne décolle jamais, sous un drapeau triste comme tous les drapeaux ou derrière une sono mal réglée, motivé-e-se, motivé-e-s, il faut se motiver. J’ai la nostalgie des ronds-points (sans y avoir jamais foutu les pieds, un comble !) même si je sais que leur temps est passé, que je n’ai pas osé, par un bête réflexe de classe, les rejoindre et qu’il faut donc trouver d’autres lieux à habiter, loin de l’uberisation des manifestations.
J’aime en revanche les assemblées générales hétéroclites, reflets du pays réel (l’aura-t-on assez reproché aux Gilets Jaunes traités de tous les noms d’oiseaux, accusés de dérapages non contrôlés), les revendications qui ont les pieds dans la terre, pas celles de principe que l’on récite comme des mantras pour justifier la cotisation mensuelle des adhérents et qui s’égrènent dans des tracts que personne n’a le courage de lire jusqu’au bout (embauche immédiate de…, augmentation substantielle de…, revalorisation, remise à plat, abolition, non, non, non puis finalement oui mais, etc), j’ai de l’affection pour la parole quand elle s’incarne, s’énerve, enfle, se matérialise en objectifs concrets, non solubles dans un horizon lointain, hors de portée. Comment faire en sorte que chacun mange à sa faim, se loge, se déplace sans se ruiner et sans ruiner la planète, ait accès à l’instruction et ne soit pas ostracisé et chassé car étranger ? Comment arrêter de penser que le salut viendra d’une classe politique usée jusqu’à la corde ou de syndicats paralysés par leurs appareils, divisés en tendances qui s’écharpent lors de congrès nationaux aussi exaltants qu’une foire aux bestiaux dans le Bas-Limousin. Quand un syndicaliste professionnel se met à ressembler à un maquignon qui met de l’ail dans le cul d’un cheval pour le vendre au meilleur prix, il est temps de prendre la tangente.
À écouter les gens de mon entourage, je ne suis pas la seule à cet endroit-là, cet endroit pas nommé, pas circonscrit, pas inféodé, foutraque mais vivant, prêt à se lancer sans déambulateur dans la bataille. Le monde que je veux est le contraire d’une dystopie puisqu’il s’ancre dans la réalité, dans la capacité à s’abstraire d’une nasse capitaliste façonnée et imposée par l’Etat. Je conchie la bienveillance institutionnalisée, le vivre-ensemble/dessine-moi un mouton de Macron qui est tout sauf adapté aux êtres humains que nous sommes et relève de l’imposture la plus crasse.
Quand on est un enfant, on passe un temps infini à se mettre debout puis à marcher sans reculer. Adulte, on fait le chemin à l’envers, de nouveau craintif, apeuré. Si cela se trouve, en avril, on ira même voter au second tour car quand même on s’est battus, de par le monde et au cours de l’histoire, pour le droit de vote et puis le danger d’un basculement à l’extrême-droite est trop grand. Certains militants de gauche, plus gentils et désintéressés que leurs chefs, sont même prêts à faire la grève de la faim pour « l’union » afin d’éviter l’extinction de leur clan.

Des personnes formidables, toutes classes sociales confondues, il en existe beaucoup. Mes ami-e-s, qu’avons-nous donc à foutre de l’extinction des partis-de-gauche (ne sommes-nous pas "la gauche ?), dont les restes sont en voie de putréfaction depuis longtemps, de la perte de vitesse des syndicats, de la soi-disant zemmourisation de la société française vendue à longueur d’antennes et de colonnes par des journalistes fatigués, si nous parvenons à ne plus douter de nous-mêmes, de notre capacité à reprendre la main, à renverser la table (des négociations ?) à vaincre notre épuisement de femmes et d’hommes très civilisé-e-s mais très largué-e-s ?

Alors après le 13, j’étais un peu triste. Pour que la journée fût vraiment « historique », il eût fallu qu’elle soit suivie du 14 et qu’elle ne se dissolve pas dans une réunion de l’intersyndicale « vendredi 17h00 » (à noter dans son agenda, la contestation à l’heure du tea-time et des scones). L’usure ne fait pas la force. Or, les cortèges étaient composés de manifestants contents de se retrouver mais usés.

J’espère que d’ici le printemps, nous parviendrons à marcher dans les rues à visages découverts, sans regarder nos pieds, moi la première. La proximité d’une catastrophe trop annoncée, la réélection de Macron, sera peut-être l’étincelle qui ranimera nos corps et nos têtes laminés par l’épidémie et 15 ans de Sarkolandacron. Ou pas.

Je me ferai dans ce cas une joie de retrouver mes semblables qui ne me ressemblent pas dans un « quelque part » à occuper. Faire en sorte qu’après le 13, il n’y ait que des 14, des 15 et des 16 qui nous appartiennent.

France, Zad et Zac, zone à défendre et zone à construire.

À bientôt qui sait.



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