C’est dans les colonnes du journal Charlie Hebdo] que le maire de Chenôve, commune de l’agglomération dijonnaise, a décidé de s’exprimer pour parler de sa ville et nous offrir un diagnostic très assuré sur la « banlieue ». On s’attendait à un examen lumineux qui allait, peut-être et enfin, nous offrir la solution et une grille de lecture nouvelle et audacieuse sur les quartiers mais on est tombé, penaud, dans un schéma réchauffé du discours et de la logorrhée de la droite dure.
Communautarisme, délinquance, parasite, migrants, différentialisme, influence, mouvements religieux, laïcité, décapitation : tout y est. Un fourre-tout lexical, bien connu, qui brouille les pistes et finit en apothéose par la victimisation d’un élu qui nous informe que son courage à faire signer une charte de la laïcité lui vaut de vivre presque caché et son domicile surveillé. Pourtant des milliers de mairies, à travers le pays, ont fait signer des chartes de la laïcité, après le meurtre ignoble de S.Paty, sans en faire un scoop ni un faire-valoir politique ou bien ne se sont retrouvés traqués par leurs administrés qui ont semble-t-il, entre crise sanitaire et marasme social, bien d’autres chat à fouetter. Et pourtant, M. Le maire le sait, il ressort, toujours, indemne et vivant de son hebdomadaire et accoutumé promenade sur le marché du dimanche de la ville. Les habitant.es recevront avec sourire à ce qui s’apparente à une énième stigmatisation de leur propre ville.
Un fourre-tout de concepts mal définis
Élu depuis 2 ans, il avait pris au vol, à la mi-mandat, le siège de maire de son prédécesseur. Confronté à la paupérisation et à la délinquance d’une partie de la ville, M.Falconnet joue la mauvaise carte, la pire même. En choisissant de s’exprimer sur Charlie Hebdo et d’y parler laïcité, M.Falconnet fait le choix d’une laïcité de combat, agressive loin de celle promue par Aristide Briand et les ténors de la gauche. En effet, le journal ne cesse de tirer, par exemple, à boulets rouges contre le défunt Observatoire de la laïcité présidé par J.L Bianco seule ligne raisonnable héritée de l’esprit de la loi de 1905 que le journal mitraille de « faux-cul de la laïcité », de « torpilleurs » ou de président « bedeau » qui s’obstinait » à ne rien voir ». Un journal qui a fait le choix, et qui s’enfonce, dans la ligne que Jean Baubérot, spécialiste incontesté de la laïcité, appelle celle des falsificateurs et des ripoux de la laïcité, principe pourtant censé nous unir et faire cohabiter la diversité religieuse et citoyenne plutôt que de se faire l’auxiliaire de la division et de la stigmatisation.
« Communautarisme » le mot y est aussi largué. Mais qui donc comme associations pratiqueraient la « solidarité sélective » dans la ville. On veut des noms ! Comme ceux des ministres fêtards pendant le couvre-feu. Mais M. Le maire se garde bien de nous en donner et fabrique le scénario fantasmé d’une ville dépassée par des associations malveillantes. 1, 2…combien ? Mystère. Et qui sélectionne-t-on dans ces associations ? Les migrant.es ? Les femmes ? Les musulman.es ? Ou bien celles et ceux en difficulté qui peuvent être en même temps migrant.es, femmes et musulman-e-s ?
Parlons des migrant.es qui sont « par définition en grande difficulté » d’après M. le maire et empêchent, par-là, une mixité nécessaire pour la ville. L’imprécision est parfois une faute. Surtout lorsque qu’il s’agit de la parole d’un élu. Nous rappelons, tout de même, que les DALO (Droit Au Logement Opposable) ne sont pas tous des migrant.es et les migrant.es pas toutes des DALO. Ensuite, il suffit de jeter un œil sur le site de l’association ATD Quart Monde, par exemple, pour se rappeler que la migration est loin d’être systématiquement associée à la pauvreté avec même un niveau d’instruction parfois plus élevé que la moyenne de la population française pour certains groupes.
M. Le Maire cite un autre concept qu’il confesse détester : le différentialisme. Pourtant, ce terme est aussi utilisé par les discriminants qui souhaitent légitimer une inégalité dans les droits reconnus aux citoyens en fonction de leurs différences sexuelles, religieuses… Un terme qui n’a, en plus, aucune réalité tangible sauf à faire croire, dans le sillage du concept mort-né de l’islamo-gauchisme, combattu (au bas mot) par plus de 23 000 chercheurs, à l’infiltration d’idéologies outre-Atlantique comme celles des départements universitaires américains des Women’s studies [1]. Des chercheurs qui avaient accusé la ministre de l’enseignement supérieur d’« ouvrir les vannes de la pensée d’extrême-droite » par des élucubrations qui ne correspondant à aucune réalité du terrain.
L’article s’achève avec une inquiétude et ce qui a tout l’air d’un grotesque sophisme.
« On voit bien que les mouvements religieux souhaitent étendre leur influence dans les quartiers et la politique de la ville » affirme le maire.
Cet appel à la croyance répandue, par les gros moyens d’information par exemple, que les mouvements religieux nous submergent est un sophisme qui, de la part d’un élu, est stupéfiant. Si certains maires s’avouent vaincus, selon M.Falconnet, et achètent la paix sociale face à ces mouvements, lui nous offre une tribune à la d’Artagnan pour dire qu’il ne pliera pas.
C’est pourtant bien le défi de la paupérisation qu’il faut relever et M. le Maire l’avoue à demi-mot, « l’extrême pauvreté » c’est « le substrat de tout ce chaos » affirme-t-il. Mais ce n’est pas que le substrat, c’est l’origine même du chaos. Et la gauche le sait, la réponse des défis que l’on doit relever, ce sont plus de moyens pour l’éducation, plus de moyens pour la santé et contre la pauvreté, plus de promotion pour une laïcité fidèle à l’esprit libéral de 1905, plus de travail avec les associations de terrain et les bonnes volontés sans fausses suspicions ni anathèmes. S’enfoncer dans la logique de la droite dure ou d’une gauche qui vire à droite parce que assaillie par un manque de fraîcheur et de solutions et la perte de son identité est une imposture. La réponse est sociale, elle n’est pas identitaire.
La modestie « va bien aux grands hommes » et doit rester le marqueur de tout élu qui a choisi la complexité d’une ville de banlieue.
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