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Que faire après l’assassinat de George Floyd ?

Un genou blanc sur un cou noir et des milliers de gens marchent dans les rues. Des pancartes sont brandies, des larmes coulent, quelques policiers américains baissent la tête, honteux. On salue le pacifisme des cortèges et on se réjouit que les destructions et les pillages aient cessé dans les villes américaines. La communion est en marche comme elle l’est régulièrement, à de grandes occasions. Omar Sy manifeste anonymement à Los Angeles et écrit sur Instagram « Action changes things », des jeunes gens serrent les poings ou les brandissent pour leur frère noir assassiné par un flic blanc multirécidiviste. L’accord est unanime, rien ne devra plus jamais être comme avant. George Floyd ne sera pas mort pour rien. Le slogan « Black lives matter » est peint en lettres géantes devant la Maison Blanche .

On se souvient alors.
Le 1er décembre 1955, Rosa Parks refuse de céder sa place à un blanc dans un bus. Depuis cette date, les noirs n’en finissent pas de rejouer la scène. Le blanc se pointe et refuse la place au noir. Si ce dernier feint de ne pas comprendre, il finit en taule, attend sa mort dans un couloir, balaye les ordures sur la Cinquième Avenue ou devient Sydney Poitier ou Morgan Freeman. Devine qui vient dîner ce soir ?
Si le noir accède à la présidence, il ne sera jamais qu’un figurant aux mains nues dans une superproduction mondiale en technicolor. Dans les grands films primés à Hollywood, le noir n’existe que pour montrer la grandeur du blanc qui le sauve. On peut préférer Melvin Van Peebles et l’avertissement de Sweetback : « Watch out ! A bad ass nigger is coming back to collect some dues » au Spielberg bien intentionné de "La Couleur Pourpre" et "d’Amistad". L’Amérique aime la mauvaise conscience domestiquée et oscarisée. Un peu comme la France aime l’Algérie perdue des pieds-noirs d’Alexandre Arcady et censure le film de Jacques Panijel "Octobre à Paris".
A chacun sa croix.

Au Canada, Justin Trudeau, très photogénique, s’agenouille devant les caméras, des manifestants se proclament « George Floyd », le hashtag est lancé, les yeux noyés d’émotion partagée. Les éditorialistes des grands journaux, partout dans le monde,se félicitent de la dignité des cortèges. Effusion plutôt qu’insurrection car la violence est une impasse et personne ne tient à ressusciter le débat entre partisans de l’action radicale et défenseurs de la voie institutionnelle. Rosa Parks ne cédera pas sa place dans le bus car finalement, au bout du compte, c’est la seule qu’on lui accordera à l’avenir, à elle, puis à ses petits-enfants. Une place dans le bus pour l’éternité. Le symbole comme unique preuve de la capacité à la résilience, au repentir, un os à ronger.
Vers qui les noirs se tourneront-ils demain aux Etats-Unis pour obtenir réparation après la mort de George Floyd ? Les bulletins de vote, républicains ou démocrates ? Joe Biden le candidat sans envergure, en échec avant même d’être élu ? Que se passera-t-il après l’effervescence émotionnelle ? Remisera t-on les pancartes au fond d’un placard jusqu’au prochain assassinat, jusqu’au prochain condamné à mort noir exécuté au Texas, jusqu’à la prochaine déclaration tonitruante d’un suprémaciste blanc ? Va-t-on épurer la police, la débarrasser de ses éléments nuisibles ? Ouvrira-t-on un parc d’attractions pour expliquer aux petits enfants que le noir est un citoyen comme les autres, qu’il a vécu des évènements traumatiques certes mais que maintenant, il a sa place dans la société américaine, au quatrième sous-sol de la démocratie. La plus grande du monde comme disent tous les présidents depuis George Washington.
Le consensus compassionnel, le folklore de la construction, ensemble et unis, d’un monde meilleur ne suffisent plus à apaiser et, saisi d’une saine colère, we have a dream, un assaut de la Maison Blanche par les manifestants qui ne se contenteraient plus de s’allonger sur le sol, les bras dans le dos, en scandant « I can’t breathe » mais iraient détruire le Congrès, le Sénat, Wall Street et cracheraient sur les figures totémiques des Pères Fondateurs avant de dégommer le mont Rushmore. Réécrire en couleur le roman national monochrome !
Les noirs sont les victimes d’une pièce macabre qui dure depuis des siècles et, si l’on s’émeut aujourd’hui de la mort de Georges Floyd, c’est aussi parce que le portrait qui en est fait dans la presse est celui d’un homme qui, paradoxalement, incarne les valeurs de l’Amérique des pionniers. La foi en la réussite, en la rédemption, en celui qui chute et se relève, en celui qui veut croire en un avenir possible. Personne ne se soulève ou manifeste pour la petite frappe afro-américaine ou latino camée jusqu’à os, pour les enfants qui n’iront jamais à l’école ou pour les millions de chômeurs noirs qui feront les frais de la crise d’après la pandémie. A quoi sert de pleurer George Floyd s’il disparaît des mémoires, bientôt remplacé par un autre martyr ? Il restera des photographies, des biographies qui compléteront l’album illustré de la lutte des Noirs pour les droits civiques, ce récit épique et tragique qui n’en finit pas de s’écrire sans jamais se réinventer. Le blanc tue le noir à la fin.
De Nat Turner à Rosa Parks, de Malcom X, de Martin Luther King à la blaxploitation, il reste la littérature, le cinéma et le jazz pour tenter de comprendre les mécanismes d’une lutte sans fin, ses impasses en même temps que sa grandeur et sa hardiesse. On écoute Billie Holiday chanter « Strange fruit ». Rien ne change vraiment.

La première question qui se pose à tous est donc celle des moyens mis en œuvre en 2020 pour lutter contre la barbarie autrement qu’avec des pancartes, des hashtags et des performances. La seconde est celle de la place que l’on est prêt à occuper ou plus modestement que l’on peut occuper dans ce combat sans merci contre des puissants qui ne sont pas disposés à laisser les clés du monde à leurs larbins. La violence est là, à chaque coin de rue, sous chaque matraque, derrière chaque flic, une guerre qui ne dit pas son nom. Diffuser en boucle les vidéos des pillages, menacer d’envoyer l’armée contre les émeutiers n’est qu’un écran de fumée destiné à masquer la seule sauvagerie, celle du racisme d’état, du capitalisme et du fric.

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