Frédérique Vidal, le bonsaï qui cache la forêt.



Sur le tableau, Frédérique Vidal en train de pacifier l’université française. En bas, à droite, une étudiante, de blanc vêtue, qui n’appartient pas à un groupe féministe radicalisé.

Quand j’étais petite fille, des adultes bien intentionnés m’ont expliqué que tout était très compliqué et qu’un jour, comme eux, je comprendrai.
Plus tard, alors que j’étais devenue moi-même une adulte, des gens qui pensent m’ont expliqué que ma conception de la société et du monde manquait de discernement. J’étais manichéenne, je croyais reconnaître un pauvre, d’un riche, un noir, d’un blanc et une couleuvre, d’une vipère (l’une s’avale, l’autre pas). En fait, non, car ces questions sont complexes et méritent une réflexion approfondie. Un pauvre n’est pas que pauvre, il peut aussi être noir, handicapé et même être une femme, pauvre, noire et handicapée. Là encore, tout faux, je me rends coupable « d’intersectionnalité » et c’est très grave. Peut-être suis-je même indigéniste sans le savoir et si par malheur, j’ai pris le thé avec un groupe de copines, sans mecs à la table, j’ai sombré dans le radicalisme « non mixte ». Heureusement, l’état veille sur moi et m’incite à la nuance. La nuance, dentelle de l’esprit. Je n’ai hélas rien d’une dentellière et je m’obstine à ne pas comprendre. Je préfère les filets en chanvre aux napperons en fil d’Écosse.
Faute de dentelle, j’ai une mémoire et certaines « subtilités » actuelles ont un air de déjà-vu, déjà-lu, déjà-pensé. Je me souviens d’un essai qui, au moment de sa publication, a fait parler de lui, "Le Sanglot de L’Homme Blanc". Ecrit en 1983 par le fringant Pascal Bruckner, il développait une idée simple, pardon au contraire très complexe, l’homme blanc, faut qu’il arrête de se faire des nœuds au cerveau, qu’il remise son mouchoir au fond de sa poche et qu’il cesse de penser qu’il est responsable de tous les maux de la terre, notamment ceux des anciens colonisés. Pascal B tapait du poing sur la table, trépignait, faisait valser les « idées reçues », autant de signes qui ne trompent pas. Lui, pas comme moi, percevait la subtilité du monde. Blanc et noir, pas si simple, entre les deux toutes les nuances de gris. Et puis, merde, la culpabilité empêche d’aller de l’avant. Pas de malaise. En route pour un avenir commun, après tout camarade du continent que l’on prend pour un pays, l’Afrique, de quoi te plains-tu, tu n’es plus en fond de cale avec un anneau dans le nez. T’es même plus un nègre, t’as gagné tes galons de « black » et tu peux si ça te chante, devenir rappeur californien.
En 2021, Pascal Bruckner a vieilli mais dans la poubelle jaune de l’histoire, une seconde vie s’offre à lui grâce au recyclage de certaines de ses idées, surtout avant les élections présidentielles en 2022 qui verront sûrement s’affronter, à ma droite, Emmanuel Macron et à sa droite Marine Le Pen, à moins que cela ne soit l’inverse. On ne sait plus trop car, je le rappelle à qui l’aurait oublié, cette affaire est plus complexe qu’il n’y paraît. Quiconque soupçonnerait l’actuel futur président de se vautrer dans la fosse à purin de l’extrême-droite afin de rester le chef ferait preuve d’un simplisme coupable. Il faut se méfier des apparences et ne pas croire qu’un Mogwai est toujours un Gremlin en puissance. Elevons le débat.

Pour ce faire, il serait opportun de ne pas prononcer certains noms, Frédérique Vidal par exemple, de ne pas citer certains lieux, au hasard, Trappes, ou de faire référence à un curieux mot valise qui reprend du galon « Islamo-gauchisme » et qui devient tellement tendance qu’il fera bientôt la une de "Biba" ou de "Détective". Un islamo-gauchiste zoophile agresse un troupeau de moutons, Frédérique Vidal demande au CNRS d’enquêter. Les bergers publient une tribune dans "Le Monde".
Je suis d’accord. Une plaisanterie idiote ne fait pas avancer la réflexion, elle n’a qu’un rôle prophylactique. Comment, en effet, ne pas être alerté par la mauvaise tragi-comédie qui se déroule sous nos yeux ? Quand du fond des marais remontent les demi-cadavres de vieilles gloires qui ont fait les beaux jours de l’extrême droite, quand on assiste, atterrés, au spectacle d’un professeur de philosophie qui déclare au Figaro, à propos de Trappes : « Nous ne sommes plus en France. Nous ne sommes plus non plus dans une République (...) » la France fait « face à un ennemi qui n’est pas une armée ». Il manque un « général » mais ouf, on a eu peur « pas au sens propre » bref, quand on met bout à bout ces débats, ces polémiques, ces prises de positions, ces témoignages vécus « en vrai », on comprend que la France encore plus qu’en 2017, s’apprête à vivre un printemps 2022, brun plutôt que vert-tendre. Pas le brun des années 1930, non, celui relooké par des communicants qui ont fait Sciences-Po, un brun couleur de merde mais une merde technocratique, numérique, pragmatique qui exerce son emprise sur la société toute entière et qui gagne chaque jour du terrain, entre autres grâce à un activiste dangereux, Jean-Michel Blanquer. Qu’en l’espace de quelques jours, un hybride génétiquement modifié, « l’islamo-gauchisme » ait pris une telle ampleur, une telle « réalité », que l’on soit sommé de se prononcer « pour » ou « contre », que l’on diligente des enquêtes à l’université pour en débusquer les thuriféraires qui confondraient militantisme et recherches en sciences sociales prouve que 2022 est en marche. On sait que le langage est un champ de bataille, que certains mots seront kidnappés, que d’autres seront réquisitionnés, déformés et que peu à peu, à force de répétitions, de communications, de colloques, d’articles, de plateaux télé sur les territoires perdus de la république, le français mettra le bon bulletin dans l’urne, celui qui sauvera de la catastrophe annoncée. Sauvé par Pascal Bruckner, Comte-Sponville, la Revue des deux Mondes, Zemmour, Blanquer, Le Figaro, Valeurs Actuelles. Lecteur de Houellebecq jusqu’à la fin des temps, condamné à relire "Soumission" en boucle. Sort pire que celui de Sisyphe.

C’est vrai, le peu de subtilité qui me restait, le soupçon de mesure qui faisait de moi un être social à peu près viable est en train de disparaître. Je rêve de fracas et peine à me convaincre que le défilé de tronches macabres qui hante l’actualité depuis des mois me veut du bien. L’université sera sous peu un espace vide (en cours d’ailleurs puisque les étudiants en sont chassés), sans chercheurs où l’on ne réfléchira plus qu’aux chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru comme dans le film d’Alain Resnais. Un havre de paix débarrassé de ses éléments perturbateurs, un centre d’études palliative.

Et pendant ce temps-là :

Trappes pourra bien continuer de galérer, les femmes de se faire taper et les migrants de traverser la Méditerranée, du moment que l’Universalisme prôné par des progressistes formés dans des écoles de commerce triomphe et que les va-nu-pieds ferment leur gueule, que demander de plus ? Si t’es pas éclairé par les Lumières de la Raison, achète une bougie et fais pas chier. Dans la pâte du monde, tu n’es qu’un grumeau et on ne t’étudiera même plus à la fac.

Frédérique Vandale, le bonsaï qui cache la forêt. Un sabbat s’y prépare et cela n’est pas une bonne nouvelle.
Après la pandémie la plage ? Non, les élections présidentielles en 2022.
Nous aussi, préparons-nous.



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