Quand Allure coiffure décoiffe son ancienne employée dans la presse



A la tête d’une société SARL Allure Coiffure, Aïda M’Dalla ne paie pas une de ses salariées, condamnée devant les prud’homme, elle inverse les rôles et se présente en victime dans la presse : elle accuse son ancienne salariée d’avoir « abusé de sa faiblesse ». Qu’en est-il vraiment ?

Dans un article du Figaro datant du mois d’octobre 2018, Aïda M’Dalla, à la tête de la société Aida SARL - plus connue sous l’enseigne de Allure Coiffure - se définissait comme « persévérante, spontanée et entière » . Vraisemblablement, elle n’a pas changé. Toujours aussi persévérante, spontanée et entière. Une ancienne employée en aura d’ailleurs, sans le vouloir, fait les frais.
Tout remonte au 16 avril 2019, lorsque Le Bien Public prend l’initiative d’annoncer dans son journal la fermeture de 14 des salons de coiffure de la société. « Trop de soucis, trop de loyers chers, trop de gilets jaunes, trop de tout. » C’était avec ces mots qu’Aïda M’Dalla expliquait son choix de procéder à une importante phase de restructuration.

Marie Morlot, journaliste au Bien Public et auteure de l’article, avait travaillé l’entretien en amont, ce qui lui a permis d’apprendre que madame M’Dalla s’était retrouvée au moins une fois devant le conseil des prud’hommes. A la question de la journaliste à ce sujet, la réponse de Aïda M’Dalla fût il faut le dire, assez surprenante, sa spontanéité ne fera qu’un tour :

Oui, on a profité de ma faiblesse à un moment donné. Mais les recours au conseil de prud’hommes font partie de la vie d’une société, non ?

Ainsi donc, l’ex-salariée l’ayant menée au prud’hommes aurait abusé de sa faiblesse... et fait les frais bien malgré elle de la "spontanéité" de Aïda M’Dalla en interview. En effet, ces propos sont-ils fondés ? La question a le mérite d’être posée, l’accusation portée à ladite salariée n’est pas insignifiante, qui plus est lorsqu’elle est faite publiquement comme c’est le cas par le biais de cet article.

Le CIDTD enquête ! Objectif, savoir si Aïda M’Dalla dit la vérité…

Tout l’objet de notre enquête n’a qu’un objectif, répondre à la fameuse question qui intrigue tout le monde maintenant. Cette ancienne salariée a-t-elle vraiment profité de la faiblesse de Aïda M’Dalla ? Mais par où commencer ? Rien de plus simple à nos yeux, pour répondre à cette question, nous décidons d’ouvrir les cartons de nos archives, pour y trouver les jugements liés à cette affaire. Il nous faut effectivement définir le contexte dans lequel la salariée aurait profité de la faiblesse de madame Aïda M’Dalla.

Nous retrouvons rapidement deux jugements, le premier émanant du Conseil des Prud’homme en date de 4 juin 2013, et le deuxième de la cour d’appel, en date du 14 septembre 2014.

Nous y apprenons que ladite salariée avait signé un CDD le 28 mai 2007 : la SARL Johanna Allure Coiffure, qui exploite un fonds de commerce de coiffure et qui dépend du groupe Allure, l’avait alors embauchée en qualité de coiffeuse qualifiée pour une durée de six mois.

Puis, le 28 novembre 2007, la SARL Johanna Allure Coiffure a embauché cette salariée en qualité de coiffeuse pour une durée indéterminée. À compter du 1er janvier 2009, cette même salariée a été rémunérée comme coiffeuse responsable. Jusque-là, on peut dire que c’est un parcours sans faute pour cette salariée.

Tout se gâte à partir du 7 juin 2011, quand la salariée bénéficie d’un arrêt maladie qui sera prolongé de façon quasi continue jusqu’au 16 octobre 2011. Le 9 juin 2011, le groupe Allure convoque la salariée à un entretien préalable à une possible rupture conventionnelle, entretien fixé le 17 juin 2011. Le 18 juin 2011, la salariée prend l’initiative de répondre qu’elle pourrait accepter une rupture conventionnelle du contrat de travail à la condition d’être indemnisée des 984,5 heures supplémentaires réalisées depuis le début de la relation contractuelle.

Le 4 juillet 2011, la SARL Johanna Allure Coiffure indique à la salariée qu’elle n’entendait pas lui proposer une indemnisation supérieure aux indemnités légales auxquelles elle pouvait prétendre eu égard à son ancienneté. « Persévérante, spontanée et entière », madame Aïda M’Dalla ne veut vraisemblablement rien lâcher !

Le 19 juillet 2011, la salariée refuse l’offre de l’employeur tout en sollicitant le paiement des heures supplémentaires accomplies ainsi que du complément de salaire et en déplorant le climat de travail délétère régnant dans le salon de coiffure ainsi que les propos et notes de service blessants et irrespectueux de la gérante. Il n’y a pas à dire, ça décoiffe chez Allure…, bonjour l’ambiance selon la salariée.

Et ce qui devait arriver, arriva ! La salariée ne faiblit pas, et, le 3 août 2011, elle fait attraire la SARL Johanna Allure et la SARL Aïda devant le Conseil de prud’hommes de Dijon, et réclame des rappels de salaire et d’heures supplémentaires ainsi que les congés payés afférents, des rappels de repos compensateurs, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, un solde d’indemnité de préavis et les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la remise sous astreinte de documents de rupture rectifiés et une indemnité pour frais irrépétibles de défense, le tout, avec le bénéfice de l’exécution provisoire.

Le 4 juin 2013, le conseil des prud’homme, section commerce, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, ordonne la jonction des procédures inscrites au rôle sous le numéros 11/01012 et 1101013.

Dit que le contrat de travail signé par la salariée avec la société JOHANNA s’est poursuivi en un même contrat avec la société Aïda, cette dernière étant seule redevable des condamnations prononcées par le présent jugement.

Le conseil des prud’hommes prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 25 août 2011 aux torts de la société Aïda et condamne cette dernière à payer à la salariée :

– 5000 euros brut de préavis

– 14000 euros de rappel de salaires

– 5000 euros de dommages et intérêts

– 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civil.

A cela, le conseil des prud’hommes a ordonné la fourniture de bulletins de paye rectificatifs, d’un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés, sous astreinte de 15 euros par jour de retard à dater du 20e jour suivant le jugement, astreinte que le conseil des prud’hommes se réserve de pouvoir liquider.

Madame Aïda M’Dalla à été condamnée ! Premier coup de massue pour la patronne ! Mais sa persévérance prend le dessus une nouvelle fois : elle décide de faire appel de la décision. Ce qui d’ailleurs est de son plein droit.

Le 11 septembre 2014, la Cour d’appel de Dijon donne son verdict. Condamne la SARL Aïda à payer à la salarié :

- 23.815,81 € à titre de rappel de salaire sur minima conventionnels et rappel d’heures supplémentaires, outre 2.381,58 € pour congés payés afférents,
  • 8.868,05 € à titre de rappel de repos compensateurs,
  • 6.228,96 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 622,89 € pour congés payés afférents,
  • 12.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
  • 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Fixe la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 3.114,48 €,
Donne acte à X E de ce qu’elle se reconnaît redevable envers la SARL Aïda de la somme de 34,88 € par mois au titre de la quote part salariale de la mutuelle d’entreprise,
Ordonne la remise par la SARL Aïda à X E de bulletins de paye rectifiés pour la période du 1er octobre 2008 au 25 août 2011, sans astreinte,

Déboute la salariée de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé,
Déboute la SARL Aïda de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La persévérance de madame Aïda M’Dalla lui aura joué un mauvais tour puisqu’elle fût condamnée à verser à la salariée plus de 56000 euros.

Fin de l’enquête : la réponse à notre question est dans le jugement…

Notre enquête se termine, nous disposons d’assez d’éléments pour répondre à notre question. Le contexte est clair. Les propos de madame Aïda M’Dalla dans l’article du Bien Public en date 16 avril 2019 ne sont, il faut le dire, pas très corrects à l’égard de cette salariée au regard du jugement de la Cour d’Appel de Dijon.

Accuser son ancienne employée d’avoir profité de sa faiblesse dans la presse (article du Bien Public du 16 avril 2019), alors que la SARL Aïda à été condamnée à verser à cette même salariée plus de 56000,00 euros... Nous pouvons le dire ici, madame Aïda M’Dalla ne manque pas de culot !

Nous pourrions même nous demander si, dans cette affaire, ça ne serait pas madame Aïda M’Dalla qui aurait tenté d’user de la faiblesse de la salariée au regard de la condamnation prononcée par la Cour d’Appel de Dijon... Mais il revient à chacun d’en juger, une fois toutes les pièces en main.

Madame Aïda M’Dalla affirme que les recours au conseil de prud’hommes font partie de la vie d’une société. Certes, elle n’a pas tort. Faut-il encore assumer cette vision des choses jusqu’au bout. Être « persévérante, spontanée et entière » n’autorise pas à faire tout et n’importe quoi. Madame Aïda M’Dalla en prendra peut-être conscience un jour, mais ça, c’est une autre histoire…


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