Hier, sur France Inter évidemment, le ministre de la culture était invité à la matinale 7/9.
Entre autres informations données à la volée (le nombre de suppressions de postes à Radio France qui, à lui seul, mériterait une grève illimitée !), Franck Riester, le ministre que personne ne connaît, annonce un plan de lutte sans merci contre la « haine en ligne ». S’ensuit une liste de propos convenus et désincarnés sur la discrimination, le sexisme, la xénophobie, l’antisémitisme. Comment ne pas être d’accord ? Ils sont d’ailleurs huit signataires à avoir publié une tribune relayée dans Le Monde, édition du jeudi 20 juin, intitulée « Haine en ligne : vers la fin de l’impunité ».
Jusqu’ici tout va bien, enfin presque puisque dans les signataires figurent côte à côte, Jean-Michel Blanquer et Christophe Castaner, respectivement ministre de l’éducation nationale et ministre de l’intérieur.
Le premier, depuis octobre 2018, maltraite les enseignants protestataires et châtie quiconque ose critiquer son « école de la confiance » [1]. Il redonne du lustre à l’antique « devoir de réserve » qu’Anicet Le Pors en 1983 avait, pour le bien de tous, vidé de sa substance. Les 30 glorieuses de l’enseignant, époque bénie où critiquer la politique du ministre de l’éducation nationale ne se soldait pas par un blâme ou une mutation disciplinaire, où il était encore possible de discuter avec les parents d’élèves dans l’enceinte des établissements scolaires sans craindre des mesures de représailles, où le service des « Ressources humaines » ne ressemblait pas à une annexe de la Stasi.
Jean-Michel Blanquer est un autoritaire de la pire espèce et il accule aujourd’hui les enseignants à faire la grève du baccalauréat pour se faire entendre. En bon professionnel de la communication, il ostracise les grévistes, lâche à une heure de grande écoute une phrase lourde de menaces ( « la grève n’est pas très acceptable ») et livre les professeurs à la vindicte populaire sans l’ombre d’une hésitation. Pour s’en convaincre, il suffit de faire une plongée en apnée dans le blog des lecteurs du Bien Public. À la fin de chaque article (où ce qui en tient lieu) relatif à la grève, des lecteurs affublés de surnoms ridicules se déchaînent.
C’est donc ce même ministre qui organise et entretient la haine qui se propose de la traquer sur les réseaux sociaux ? Lui qui, depuis son arrivée rue de Grenelle, transforme les recteurs, principaux et proviseurs en sicaires ? Lui qui aujourd’hui ne craint pas de préparer une rentrée 2019, seul, sans le consentement des enseignants ? Comment lire sans frémir dans l’article du Monde la phrase suivante : « C’est un travail que le gouvernement entend mener, à la fois à l’école, dans le cadre du service national universel, ou encore dans les missions confiées aux engagés du service civique. » Les enseignants œuvreront donc à rendre vertueux les réseaux sociaux en apprenant à leurs élèves qu’il faut respecter le drapeau français, la Marseillaise, le « vivre-ensemble » et la république en marche. Pour Jean-Michel Blanquer, le professeur est une fonction au même titre qu’une touche sur un clavier d’ordinateur. On appuie dessus et il produit un résultat immédiat.
Faire le portrait à charge du second ministre signataire de la tribune, Christophe Castaner, est presque trop facile. Chevalier blanc du ministère de l’intérieur, il pourfend l’ignominie sur les réseaux sociaux. Faut-il rappeler les yeux crevés, les mains arrachées, la police aux ordres, les déclarations à l’emporte-pièce chaque samedi ? Faut-il même évoquer les scandales d’une politique migratoire infâme qui sépare les familles, traque les enfants dans les établissements scolaires, refuse de recevoir les associations ? Ces associations pourtant vantées par le service national universel puisque les jeunes enrôlés devront « s’engager » dans l’une d’elles pour apprendre le civisme et la courtoisie. RESF [2] sera exclu de la liste à coup sûr !
Comme Blanquer, Castaner veut punir celles et ceux qu’il aura lui-même créés par ses propos outranciers, sa brutalité affichée. Chacune de ses déclarations alimente les réseaux sociaux, chacun de ses projets (le dernier en date, les quotas pour réguler l’immigration « économique ») fait monter d’un cran la haine. Tant pis, il signe la tribune, sans honte et sans reproche.
Pourquoi cette tribune en ce moment ? Pourquoi ce « la liberté d’expression mais » ? C’est assez simple. Au risque d’en agacer certains très prudents (trop ?) sur le choix des mots, nous assistons au basculement de notre société dans un autoritarisme new look, néo-libéral, lisse en apparence et terrifiant dans sa marche inexorable. Jamais un parti au pouvoir ne se sera choisi un nom mieux approprié, « En marche ».
Il ne s’agit pas de s’attaquer aux plateformes, aux réseaux sociaux par vertu mais par vice. Le ministre de la culture a même évoqué jeudi 20 juin la possibilité de retrouver un internaute caché derrière son pseudo par son adresse IP. Qui sera la cible dans quelques mois ? Uniquement le haineux pathologique ou quiconque formulera des critiques virulentes contre la politique menée au plus haut niveau de l’état ? Le devoir de réserve concernera bientôt la société française dans son ensemble.
Non décidément, on ne peut faire confiance aux rédacteurs d’une tribune qui depuis leur accession au pouvoir en 2017 flatte les plus vils instincts des français, méprise, caricature et cogne depuis 31 semaines des manifestants en gilets jaunes, restent sourds aux colères et élans populaires et ne comprennent pas que l’argent que l’on « met sur la table » (sic) ne suffira jamais à combler le désarroi de femmes et d’hommes qui demandent plus de considération et pas seulement 20 euros par mois en plus sur leurs fiches de paie.
Une règle jamais démentie. Quand un méchant veut du bien à la collectivité, il a nécessairement une idée méchante en tête. La tribune du Monde a été signée par huit méchants donc huit raisons de s’inquiéter et de rester vigilants.
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