Cet abécédaire du Pays basque insoumis a été rédigé dans les mois précédant le sommet du G7 de Biarritz par des militants français projetant de venir le contester. Il offre à qui ne connaît guère l’histoire politique et culturelle d’Euskadi, 26 entrées par lesquelles la découvrir. Car le Pays basque n’est ni la France au nord, ni l’Espagne au sud, ou du moins il n’est pas que l’Espagne ou la France. On s’aperçoit en l’arpentant qu’y palpite un monde autre, déroutant : le monde en interstices d’un peuple qui se bat pour l’indépendance de son territoire. Borroka, c’est la lutte, le combat, qui fait d’Euskadi une terre en partie étrangère aux grilles d’analyse françaises.
A
Abertzale
Abertzale se traduit littéralement par « amant de la patrie », bien que cette patrie n’ait point d’État, laissant l’idylle inconsommée et le patriotisme équivoque. En français, nous dirions « indépendantiste », la poésie euskaldun se perdant tristement dans la traduction. Cette patrie, vous l’aurez compris déjà, c’est le Pays basque et ses sept provinces. Ses « amants » ont fait de sa défense passionnée l’un des combats les plus acharnés d’Europe occidentale.
L’abertzalisme avait pourtant mal commencé. Quand Sabino Arana Goiri le théorise au XIXe siècle, son imaginaire, vilainement empreint des thèses ethniques et racistes de son époque, n’est pas un modèle d’émancipation. Le drapeau basque qu’il dessine revêt les couleurs ordonnées du peuple, des lois antiques et de la foi chrétienne. Mais les symboles sont instables, et moins d’un siècle plus tard, l’ikurriña devient, sous l’impulsion d’ETA*, le fanal d’un socialisme basque internationaliste et révolutionnaire. Durant le franquisme, alors qu’elle est interdite, les militants l’accrochent aux lignes THT ou la plantent en haut des montagnes, un pain de plastique sous la hampe, de manière à « dissuader » les forces de police de la mettre à bas. Récemment, son déploiement en finale du championnat a valu un an d’interdiction de compétition à un joueur de… pelote basque. Bannière d’un peuple supérieur hier ou outil d’une guérilla d’émancipation, le symbole flotte entre les deux grandes familles abertzale, la droite et la gauche.
La première s’est organisée dans le Parti National Basque (PNB) – opposant majeur au coup d’État franquiste – qui a adopté au fil du temps une ligne chrétienne-démocrate et qui gouverne aujourd’hui la communauté autonome d’Euskadi. Cette entité administrative, née à la fin de la dictature, regroupe trois des quatre provinces du sud (Guipuzcoa, Biscaye et Alava) et dispose d’importantes compétences en termes d’enseignement, de fiscalité (elle perçoit l’impôt et négocie ensuite le pourcentage qu’en reçoit Madrid) ou encore de police (les 8 000 agents de l’Ertzaintza).
La seconde, la gauche abertzale, est née au milieu du XXe siècle d’une dissidence du PNB. De 1959 à 2011, elle sera incarnée par ETA, dont les actions spectaculaires accentuent rapidement la rupture avec le parti historique. Cet abertzalisme, pour lequel l’identité ne s’ancre plus dans un « être » basque ethnique, mais dans un « vouloir être », impose une perception du peuple ouverte, fondée sur le désir et la volonté de partager une langue, une culture et un territoire. Une conception qui va bientôt acquérir une telle influence que sans plus de précisions, le terme abertzale finira peu à peu par la désigner. Si au nord des Pyrénées le PNB est quasiment absent, au sud les conflits avec l’embryon d’État basque qu’il pilote ne manquent pas. « Zipayos », voilà comment les militants désignent les policiers de l’Ertzaintza, traduction basque de « sepoys », terme par lequel on désignait en Inde les soldats locaux recrutés par les occupants coloniaux. Leur brutalité n’a rien à envier à celle de la Guardia civil. Comme elle, ils torturent et répriment les mouvements sociaux, comme elle ils usent de ce flash-ball tirant des billes d’acier enrobées de mousse, une arme qui a récemment tué Iñigo Cabacas, un supporter de l’Athletic Bilbao. Ils finirent donc par devenir, eux aussi, la cible des balles et explosifs d’ETA, ce qui n’est pas allé sans provoquer débats et dissensions.
Mais le terme de gauche abertzale recouvre un champ bien plus vaste que la seule lutte armée. Ambivalent, il désigne tantôt un ensemble d’organisations affiliées directement à sa ligne politique : partis, syndicats paysans et ouvriers, journaux, organisations de jeunesse, longtemps encadrés par le Mouvement de Libération Nationale Basque ; tantôt une mouvance plus large encore : radios, bars, festivals, mouvement féministe, écologiste, gaztetxe*, squats… Celle-ci, pour être indépendantiste, n’en est pas moins indépendante des structures et institutions abertzale dont elle critique parfois avec virulence la rigidité et le dirigisme.
L’ampleur et la diversité de la gauche abertzale est donc telle que, dans les années 1980, un journaliste du quotidien Sud-Ouest en vint même à se plaindre à sa direction : la rédaction doit être noyautée, disait-il, car 80 % des évènements relatés au Pays basque Nord sont liés à cette mouvance. Mais le « problème », on l’aura compris, ne venait pas des supposées affinités politiques de ses correspondants locaux…
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À lire : Jean-Louis Davant, Histoire du peuple basque, éditions Elkar, 2009.
Présentation :
Mercredi 22 mai à 18h aux Tanneries (35-37 rue des ateliers).
Suivi d’un repas à prix libre à 20h.
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