Nous avons reçu cette lettre (d’amour) ouverte de la part d’une de nos lectrices.
Comme vous le savez peut être, la Loi Avia récemment votée par l’assemblée nationale obligera bientôt les sites à supprimer dans les 24h (1h pour ce qui concerne la pédopornographie et le terrorisme) certains contenus illicites, tels que des contenus « haineux » signalés par le public ou la police.
Les notions très floues de "contenu illicite" et de "terrorisme" permettront aisément à des policiers de nous obliger à supprimer des contenus dans des délais impossibles à tenir pour notre équipe de bénévoles, sous peine de nous voir infliger de très lourdes amendes, voire un déréférencement de notre site sur les moteurs de recherche, ce qui constitue une grave menace pour la survie de médias d’informations indépendants tels que le notre.
Dijoncter, tu sais, je t’aime. Tu m’as souvent permis d’échapper au désespoir, tu m’a fait sentir jeune quand j’étais vieille et toutes ces méchancetés sur les flics et la République en Marche dans tes colonnes m’ont souvent permis d’économiser les 60 balles d’une séance de psy. Grâce à toi, je sais ce qu’il faut faire quand une grenade lacrymogène explose à mes pieds et je n’ignore rien de la culture de la salade feuille de chêne. Je mange des vieux légumes, ceux qui rendent un peu malade et je n’ai plus honte de me rendre à des réunions où il n’y a que des filles parce que franchement les mecs, parfois, ça saoule.
J’ouvre ta page et je rejoins la famille. J’ai envie de trinquer et de manger des chips aux lentilles. Je me marre et je gueule. Bref, Dijoncter, tu me tiens chaud et tu me permets d’oublier les lecteurs du Bien Public, ceux qui écrivent des vilenies à la fin de chaque article sur les migrants. Un des blogueurs se fait appeler Diego de la Pampa et défend les idées de Jojo le facho. L’exotisme bourguignon.
Mais voilà, une dame, Lætitia Avia, députée de "En marche !" a décidé qu’elle avait une mission. Combattre la haine en ligne. A Dijoncter, combattre la haine, on est plutôt pour. Celle des forces-de-l’ordre qui balancent Steve dans la Loire, celle des ministres autoritaires qui nous veulent du bien, du MEDEF qui milite pour le rallongement de la journée de 24 heures, de la préfecture qui suce des pastilles Vichy, des banques, ces chiennes féroces à mâchoire de fer. Bon, il semblerait, à y regarder de plus près, que la haine labellisée "En marche" ne soit pas tout à fait la même que celle combattue dans ces colonnes.
Madame Avia ne ménage pas sa peine depuis des mois et parle de "protéger" ses "concitoyens". De quoi ou de qui exactement ? D’elle (ses collaborateurs se lâchent à son sujet sur Mediapart) ? De ses camarades qui depuis deux mois enchantent nos soirées confinées quand ils dessinent les contours du monde "de demain", cette invention des éditorialistes à cours d’idées ? Nicole Belloubet (elle, elle fait très peur surtout quand elle crispe la mâchoire à la tribune de l’assemblée nationale, on dirait une cousine version cheap de Benito Mussolini) lâche le mot fédérateur, pourvoyeur de hashtags et d’appel à l’union sacrée, "terrorisme". Quel lecteur, de Valeurs Actuelles à Dijoncter, en passant par Le Chasseur Français cautionnerait le terrorisme ? Le terroriste à barbe noire et sourcils de Méphisto, venu du fond des âges, identifié clairement, nommé même, celui qui a ensanglanté des capitales occidentales et fait vaciller la glorieuse Amérique. Celui-là, on ne l’aime pas et on ne veut pas voir ses vidéos de décapitation tourner en boucle sur le net. Tous les amateurs de polar le savent bien, pour ce genre de distractions, on embarque sur le Redoutable, sous-marin du glauque et on descend dans les profondeurs du "darknet".
Ça c’est le paravent, le terroriste consensuel qui empêche de penser la définition du "terrorisme" proposée par le gouvernement qui pour le moment reste aussi floue que la vision d’un myope. Si on résume "l’esprit" de cette loi, les plateformes auront désormais 24 heures pour retirer des contenus illicites, une heure s’il s’agit de pédopornographie et de terrorisme. Pour le moment, l’indécision flotte sur les plateformes (lesquelles ?) mais pas sur le dispositif de répression envisagé. Exit le juge, cet emmerdeur qui pourrait mettre son nez là où il ne faut pas, bonjour la police qui le remplacera avantageusement. Une avocate, spécialiste du numérique, prévient " Ce texte délègue le pouvoir de censure à des organismes privés". Le Parti socialiste, quelques os blanchis au fond d’un canyon, était contre le texte et s’est donc abstenu de le voter. Quel courage !
Je reviens à toi Dijoncter, graine bio tonique et rentre-dedans, plantée dans le "Réseau Mutu", devenue belle plante en dépit de l’aridité de la terre dijonnaise. Te voilà peut-être menacée par le Roundup Avia, condamné à publier des articles sur l’arrivée du printemps dans la Combe aux fées, sur Annette, coiffeuse, qui rouvre son salon après deux mois de confinement et sur la foire exposition qui n’aura peut-être pas lieu. Quant à moi, que vais-je devenir si je ne peux plus écrire sur le dégoût que m’inspire Macron, sur la bêtise et la servilité de ses députés marcheurs, même les plus contestataires d’entre eux ressemblent à des enfants de chœurs pris en faute, sur l’épidémie de Covid 19 qui cryogénise les libertés individuelles et liquéfie les cerveaux, sur le bon dieu et les bonnes sœurs.
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