C. Quand je repense aux manifs qui m’ont le plus marquées et qui m’ont amenées à vivre de manière beaucoup plus quotidienne le militantisme, je me souviens d’une « manifestive » organisée à Dijon il y a plusieurs années. J’ai le souvenir de dizaines de pancartes avec des bulles de bande dessinée qui disaient des slogans marrants, d’un sound system ; il y avait une énergie incroyable que je n’avais jamais imaginé pour des moments politiques comme une manif. Et je crois que c’est ça qui m’a poussé à faire des trucs politiques, quand je me suis rendue compte que lutter contre des injustices, reprendre la rue pour ne pas se laisser détruire, ça pouvait aussi être cool finalement !
Aujourd’hui, il y a les Lentillères, et je crois que pour moi ça incarne aussi un terrain de jeu incroyable où la politique peut se vivre de manière décalée, en laissant place à l’imagination.
Pour cette manif, on avait envie de réfléchir une fois de plus à comment créer ce genre d’ambiance.
A. Ça m’avait fait un peu la même chose : j’aimais fort aller à « Châlon dans la rue » mais à un moment ça a perdu son sens : c’était chouette mais ça ne suffisait pas.
Aux Lentillères, j’ai trouvé l’imaginaire artistique et farfelu de « Chalon dans la rue », mais en plus c’est habité politiquement, aussi dans la vie quotidienne, où c’est autorisé de construire des choses un peu fantasque, de redécouvrir des plaisirs d’enfant. Avec ce fait que c’est tous les jours, de toute l’année, quelque chose de continu, et pas juste le temps d’un festival.
Je pense aussi que si tu as envie de t’impliquer dans la construction de luttes politiques, faire des choses collectivement, ça reste la forme la plus accessible pour rencontrer les gens, parce que faire ensemble des constructions qui demandent un savoir faire de maternelle, ça fait moins peur que de devoir se mettre en jeu dans des grands discours politiques.
C. Les Lentillères, c’est aussi un lieu un peu magique, par rapport au fait qu’il y a plein de choses que tu ne verras jamais en ville : des cabanes dignes de tes rêves d’enfants, des petits animaux sauvages comme des écureuils et des hérissons qui deviennent tes voisins, des roulottes,… D’ailleurs, quand on demandait aux personnes qui participaient si elles avaient déjà fait du papier mâché, elles répondaient toutes « oui, quand j’étais petite », c’est pas anodin, non ?
Mais tout ça, c’est visible que si tu viens, et parfois ça peut être intimidant de rentrer sur un lieu comme celui-là. Faire des marionnettes pour cette manif, c’était une manière de sortir tout ça dans la ville pour que les gens voient, se rendent compte de la richesse de ce quartier, et qu’on partage cet émerveillement le temps de la manif pour donner envie aux gens de se rendre sur place et venir le vivre avec nous.
On a commencé l’atelier la semaine dernière avec des copines de la troupe de théâtre du Projet D, qu’on croise depuis plusieurs années pour les fêtes mais qu’on ne connaît finalement que peu parce qu’on a du mal à prendre le temps dans ces moments fort intenses. Elles nous ont transmis leur savoir faire de marionnettistes avec la technique du papier mâché. C’était l’occasion de parler de nos pratiques et de nos mondes respectifs (celui du théâtre de leur côté et celui du militantisme du nôtre), de se rencontrer mais aussi de donner du sens à leur présence ici.
A. Ensuite il y a des filles qu’on connaissait très peu qui sont venues faire ces marionnettes avec nous, et c’est pas dû au hasard, je pense que c’était un espace vraiment pratique pour se rencontrer, ça a permis qu’elles se trouvent une place ici le temps de ce projet. Espérons que ça va donner envie aux nouvelles personnes, celles qui vont voir nos petites constructions samedi, de faire un prochain atelier avec nous ! Parce que si tu n’es pas passionnée par le jardin c’est pas toujours facile de rentrer aux Lentillères…
On a réussi à faire des animaux en papier maché, des roulottes, des caravanes, tout ça sans échelle collective : il y a des hérissons plus gros que des habitations. Je trouvais ça super parce que c’était comme si on faisait un projet de maternelle : il n’y avait pas de stress, j’avais juste l’impression de m’amuser et c’était pas grave si c’était pas précis, il fallait juste que ce soit là, que ce soit présent. C’était bien moins angoissant que quand, en 2014, on a fait une salamandre géante de 10 mètres de long en soutien à la zad !
C. Sans doute que ce qui permet que ça ait de la gueule malgré ça (malgré le fait que c’est très inégal dans comment c’est soigné) c’est qu’il y a le nombre, l’effet « de masse ». Ce n’est pas un projet d’artiste, individuel, où serait créer un objet d’une grande qualité, mais qui aurait besoin d’un fort dévouement au projet, qui nécessiterait beaucoup de temps. Là, c’est le nombre qui permet qu’avec moins d’énergie on peut faire beaucoup plus, dans une jolie ambiance, à écouter de la musique au Snack Friche en se racontant de temps en temps des bouts de nos vie.
Et comme c’est rare dans notre quotidien de voir apparaître des animaux en papier mâché, dans la rue ou dans la ville, ça apportera forcément une poésie dont on n’a pas l’habitude, qui fait du bien. Sans doute que tout cela aide aussi à déplacer la pression.
Même si ce n’est qu’un premier pas, j’espère que ça permettra de créer un peu cette poésie samedi dans la manif, et que ça donnera des envies et des idées aux gens, notamment en montrant qu’il reste encore plein à explorer pour habiter la ville et la lutte de dix mille manières, dans un rapport poétique au monde. C’est de légèreté dont on a envie, pour que ça pousse à participer et à rejoindre les luttes.
A. Je pense aussi que vu la répression qui s’est installée en manif ces dernières années, instinctivement on a parfois envie d’abandonner ce terrain. Alors choisir cette forme-là c’est une manière de décaler l’imaginaire violent des manifs, d’habiter l’espace publique, de se rendre visible, de ne pas abandonner ces moments mais de se les réapproprier, de se saisir de nos peurs et de les contourner avec d’autres imaginaires.
C. Pour toutes ces raisons là, on espère vous retrouver SAMEDI à 11H place Notre Dame pour une manif festive et colorée en soutien au Quartier Libre des Lentillères : venez avec votre poésie à vous, ce qui symbolise selon vous certaines des beautés du quartier des Lentillères, et flotteront, au dessus de vos têtes, ce qu’on a pu créer lors de ces ateliers de marionnettes en papier mâché !
Ce sera une manière, aussi, de commencer à explorer les imaginaires du prochain carnaval des Lentillères, qu’on organisera pour les 10 ans du quartier, du 10 au 12 avril 2020, à très bientôt !
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